En Algérie, on ne sait pas nommer un chat un chat !



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«Un nom doit-il toujours signifier quelque chose ?» se demandait l'écrivain Lewis Carroll, matheux à la base et photographe à des heures heureuses. On peut se demander à notre tour d’Algériens de quoi un nom est-il effectivement le nom, car un nom signifie forcément quelque chose. Et l'on sait depuis Victor Hugo que «le nom grandit quand l'homme tombe». Mais le nom en Algérie n'est, toutefois, pas toujours là où il doit être et n'a pas souvent le sens qu'il faut pour mieux évoquer les lieux, la mémoire et les personnes. Nul doute qu’il y a manifestement un problème de nom dans un pays où l'on ne nomme pas normalement un chat un chat.
C'est surtout l'administration qui a un sacré problème avec l’anthroponymie et la toponymie. Pour s'en assurer, voir et revoir tout simplement les noms des rues et des places publiques. Considérer, pour la énième fois, ceux des nouvelles cités d'habitation et noter encore le fait que l'on ne puisse pas choisir librement un prénom berbère. Nom d'un nom de nom, ce «blocage» onomastique et cette schizophrénie toponymique relèvent d'un surréalisme qui n'a pas de nom ! Notre mal-nommée administration a décidément un souci avec la mémoire collective, l'Histoire avec un grand H, les personnes de renom, les contributeurs au génie national, les terroirs et les territoires. Et globalement avec l'identité.
Dans tous les pays du monde, les noms de personnes et de lieux, aussi bien que les prénoms s'inspirent le plus souvent de la réalité, de la culture et de l'Histoire. On en est bien loin chez nous. Et quand on veut bien s'inspirer de l'Histoire, on se limite alors à des périodes précises tout en «effaçant» de longues ères historiques, comme si l'Histoire n'est pas un continuum. Pour nombre de noms de lieux et de prénoms, l'Histoire en question commence avec l'adoption de l'Islam et trouve son point d'orgue dans la guerre d'Indépendance. Et quand, par ailleurs, l'administration a fini par autoriser l'adoption de prénoms berbères, elle établit alors une nomenclature restrictive de 300 prénoms des deux sexes, au mépris même des préconisations du Haut-Commissariat à l'amazighité qui en a proposé 1 000 !
Là aussi, schizophrénie oblige, on a accepté des prénoms de certains rois numides et pas d'autres. Dans la liste des prénoms masculins, à titre illustratif, on a Massinissa mais pas son second fils Gulusa, ou son petit-fils Massiva. Et si les Mastanabal, Micipsa, Juba et Takfarinas sont libres d'adoption, les Hiempsal, Capussa, Masukan et Isalcas sont, en revanche, interdits. Et encore, il faudrait que les prénoms autorisés soient transcrits selon la phonétique arabe. Ce qui donne Youba pour Juba, Yanayer au lieu de Yennayer, Kousseïla à la place de Koceïlah et Sifaks comme substitut à Syphax. Idem pour le prénom féminin Dhihya transformé en Dahiya arabe. Dans la liste des prénoms de femmes, on s'est même payé le luxe d’autoriser un étonnant Koukou qui sonne paradoxalement masculin et qui rappelle le royaume kabyle éponyme.
On a même considéré comme féminin le prénom Ayilmas qui est en fait celui de l'arrière-grand-père de Massinissa. Et peut-être en raison d'un trou de mémoire, on a «oublié» aussi Senifer, prénom de la mère de Massinissa. Omission encore plus troublante dans le cas de la Kahena. L'explication se trouve probablement dans le fait d'avoir combattu les envahisseurs arabes ou dans sa conversion improbable au judaïsme. Schizophrénie mémorielle rime également avec obsession idéologique lorsqu'il s'agit de donner des noms d'endroits. On a, par exemple, le boulevard Che-Guevara et la place Emiliano-Zapata à Alger. Mais point de place ou d'avenue Massinissa, Jugurtha, Takfarinas, Micipsa, Mastanabal ou Saint-Augustin. Sans oublier Apulée de Madaure (Afulay en berbère) ou notamment le génial Nonius Datus de Lambèse qui fut à l'origine des aqueducs de Bougie et qui est le découvreur de Toudja, l'eau minérale la plus ancienne du monde.
Le comble est atteint lorsqu'on fait également preuve d'un incroyable tic numérique qui consiste à nommer les nouveaux quartiers urbains ou ruraux par le nombre de logements construits. On habite par exemple la cité des 820 logements à Bab-Ezzouar, alors que les cités possédaient naguère des noms empruntant leur quintessence à la flore ou à l'arboriculture. Exemples, la cité des Bananiers, les Eucalyptus, les Glycines ou les Asphodèles. Les temps changent et la convivialité fout le camp, annihilée qu'elle est par des esprits en béton armé qui confondent bien-être et poésie avec statistiques et numéros d'immatriculation.
Nom d'une pipe, cette tendance à effacer repères, référents et références propres à la mémoire, la culture, l'Histoire et les territoires, on la retrouve jusque sur les billets de banque ! Ailleurs, on frappe monnaie et émet des billets souvent à l'effigie des grands noms qui expriment le génie national et rappellent l'Histoire et l'identité du pays. Dans la bien-nommée et bien-aimée Algérie, à l'exception de l'Émir Abdelkader dont la tête a orné un jour certaines coupures d'argent, aucune figure de martyrs et autres grands du pays n'illustrent nos billets de banque ! Des noms attribués pourtant à des rues, des villages et autres agglomérations. Absence schizophrénique alors même que nos glorieux martyrs sont également des repères dominants dans nos rues. Pour les billets de banque et les pièces de monnaie, place donc à certains animaux qui assurent ailleurs un spectacle de cirque.
Enfin pour se consoler de cette absurdité qui n'a pas de nom, convoquer encore une fois Victor Hugo qui a dit pourtant que «le plus beau patrimoine est un nom révéré». Et c’est Paul Valery qui disait, en guise d'écho décalé dans le temps, que «la plupart ignorent ce qui n'a pas de nom ; et la plupart croient à l'existence de tout ce qui a un nom». Sacré nom d'un chien errant sans nom !
N. K.


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