Un clairvoyant et son bâton de pèlerin



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Quand Fodhil Lounnas, écrivain non-voyant se déplace depuis Tizi Ouzou par taxi pour rejoindre la Maison de la presse Tahar Djaout à Alger muni de sa canne, son «bâton de pèlerin» et faire du porte-à-porte pour la promotion de son nouvel ouvrage en tamazight, c’est l’évidence de son courage, ténacité, passion et engagement.

 

Fodhil  Lounnas a poussé la porte de notre rédaction pour nous remettre un exemplaire de son nouvel ouvrage en tamazight, un recueil de poésie intitulé La Goutte de lumière paru le 12 décembre 2020. Fodhil Lounnas n’est pas un «rimailleur». C’est un vrai poète. De ses mots jaillissent une clarté, une félicité et une bonté humaine qui animent certains humains ici-bas.

HOMMAGE à MATOUB ET AZEM

«Dans ce nouveau recueil de poésie, j’évoque ce handicap, être non-voyant en Algérie. C’est autobiographique. Je parle du pays et de la Kabylie en particulier. J’effectue une réflexion, sans prétention, sur tamazight. C’est ma langue maternelle. Je me suis attardé sur la représentation de la langue tamazight au Maghreb et surtout en Algérie… Dans ce nouveau livre, j’ai tenu à rendre hommage au grand poète et chanteur d’expression kabyle, Matoub Lounes, mort lâchement assassiné.

Lui, le troubadour qui était engagé pacifiquement avec des mots comme d’autres qui ont lutté avec un stylo, un dessin, une création… Matoub Lounes combattait poétiquement, sans armes, en disant, je le cite : ‘‘Pour une Algérie meilleure et une démocratie majeure’’.» Ce recueil de poésie compte aussi un autre hommage à une grande figure de la chanson d’expression kabyle, Slimane Azem en l’occurrence. «Je rends hommage à Slimane Azem.

C’est un sultan sans palais. Mais c’est un grand souverain, un roi. Il a combattu le colonialisme  avec de la poésie. Les Français le craignaient. Ils redoutaient ses messages. Et puis, il y eut l’exil. J’espère qu’un jour ses ossements retourneront en Algérie. Et qu’il sera inhumé en son pays. Slimane Azem pleurait pour l’Algérie…».

MASTER EN JOURNALISME (AUDIOVISUEL)

Fodil Lounnas, deuxième année en master de journalisme (spécialité audiovisuel),  a déjà publié un livre intitulé Amalou’n’tirth (la Forêt d’Amalou). Un conte en tamazight, qui a été traduit en arabe et en français.

C’est l’histoire de Da Meziane. Une histoire d’eau, de vie, d’exode forcé. Une histoire ancestrale, du temps où il y avait de l’abondance. Le troc du blé contre du sucre. Et puis, une plaie, la sécheresse. 110 pages d’un conte puisant sa trame dans la morphologie de Vladimir  Propp. Cette structure  issue du merveilleux, avec ses situations, ses opposants et autres adjuvants. Ce déracinement engendrera de la vie dans une autre dechra (hameau). Une fleur dans un nouveau terreau. Une  nouvelle vie, de nouveaux  espoirs.

VICTIME D’UN ACCIDENT, UNE ERREUR MÉDICALE

Fodil Lounnas, alias Amar Ouali, 28 ans, originaire de Sanana (Draâ El Mizan, wilaya de Tizi Ouzou), à l’issue d’un accident de la route, alors qu’il avait 5 ans, perdra la vue, et son grand-père, la vie. «Je dormais quand cela est arrivé. C’était dans  la localité de Adjiba. En me réveillant à l’hôpital, écran noir. Je ne voyais plus. On a accusé un retard pour une éventuelle opération.  C’était  une hémorragie qui en était la cause. Les veines n’étaient pas irriguées. C’est une négligence médicale. Ce n’est qu’à 9  ans que j’ai fréquenté l’Ecole des non-voyants, à Boukhalfa, (Tizi Ouzou)…La première année primaire, le BEM… Apprendre le braille, au début, c’était difficile.

Puis, c’est  parti  tout seul. J’ai persévéré. J’ai beaucoup  appris en écoutant les  émissions radiophoniques portant sur la culture, la littérature, l’histoire… J’ai écouté des livres audio. Le Fils du pauvre de Mouloud Feraoun, La Colline oubliée de Mouloud Mammeri, du Tahar Djaout…Le braille en tamazight est un problème. Pour moi, il faudrait écrire tamazight en latin mais pas en tifinagh. C’est un message pour le peuple algérien.

C’est comme cela que l’on va avancer… » commentera Fodhil Lounnas.  Prochainement, Fodhil Lounnas rééditera et traduira  les recueils de poésie La vie, c’est l’espoir et La Rose du maquis en français chez les éditions Imru. Fodhil Lounnas nous rappelle toujours qu’il ne connaît pas les couleurs.

Mais en plongeant dans ses vers brillants et sa poésie de cristal, il discerne mieux que nous les tons et leurs intensité. En définitive, Fodhil Lounnas est clairvoyant. Pas obscur, c’est clair.


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