Forte mobilisation des jeunes contre le 5e mandat

Le visage flamboyant des manifs



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Dimanche 24 février, place Audin. Il est presque 16h. Alors que la manif à laquelle avait appelé le mouvement Mouwatana était censée se terminer vers 14h, des vagues incessantes de manifestants anti-5e mandat, des jeunes pour la plupart, venaient à chaque fois rallumer la flamme de la contestation citoyenne.

Si bien que le cœur battant d’Alger a continué à gronder tout au long de ce dimanche jusqu’en fin de journée. On peut l’affirmer pour être restés avec eux jusqu’au bout : c’étaient à chaque fois de petits groupes dominés par des visages juvéniles qui allaient hurler dans la gueule des flics : «Hadha echaâb la yourid Bouteflika we Said» (Ce peuple ne veut pas de Bouteflika et Saïd) ou encore : «Makache el khamssa ya Bouteflika/Djibou el BRI ou zidou essaïqa» (Il n’y aura pas de 5e mandat Bouteflika, ramenez la BRI et les forces spéciales).

Lors des manifestations épiques du 22 février, on a pu là aussi constater l’implication massive, flamboyante, des jeunes, dans l’animation de cet immense soulèvement pacifique qui a pris désormais les contours d’un acte populaire fondateur.

Ainsi, au moment où d’aucuns parlent d’une désaffection de la population des moins de 30 ans pour la chose politique, du désenchantement de nos jeunes concitoyens, de leur «dépolitisation», voilà que cette mobilisation exceptionnelle de la jeunesse DZ avec tous ses compartiments (étudiants, chômeurs, blogueurs, militants associatifs, membres de clubs de supporters, «bleus» en politique, ex-harraga…) vient nuancer un avis présomptueux, quand elle n’apporte pas carrément un cinglant démenti à un discours qui, à l’opposé du «jeunisme», dénie aux jeunes toute capacité à porter un grand dessein national.

«Je suis né en 1999 et je n’ai connu que Boutef»

Wassim, 20 ans, bouille avenante, imberbe, vêtu d’un sweat-shirt gris, le chef coiffé d’une casquette noire, est étudiant en 2e année management à Ben Aknoun. Il fait partie d’un groupe de jeunes manifestants, dont des lycéens de 16-17 ans.

Ils ne sont guère pressés de rentrer chez eux, malgré le déploiement imposant des forces de l’ordre qui ont bouclé hermétiquement la rue Didouche Mourad, appuyés par des contingents de flics en civil. Repoussés par des policiers excédés, Wassim et ses camarades se rabattent sur la rue Mustapha Ferroukhi (ex-Richelieu) où nous l’avons rencontré.

Loin de céder à la panique, il scande avec conviction : «Makache ouhda 5 !» (Pas de 5e mandat) ou encore : «Silmiya ! Silmiya» (manifestation pacifique) au moindre soupçon de dérapage. Wassim nous confie que c’est la première fois qu’il participe à une manif. «C’est un sentiment très fort», décrit-il de sa voix douce, un brin ému.

Cela fait plus de deux heures qu’il bat le pavé sans répit. «Vendredi, je ne suis pas sorti. Mais quand j’ai vu les images, j’ai regretté de n’avoir pas été de la fête.

J’ai décidé de me rattraper à la prochaine sortie. C’est pour ça que je suis là», explique-t-il en précisant qu’il avait quand même assisté aux cours de la matinée.

Hasard de calendrier : Bouteflika est arrivé au pouvoir l’année même où Wassim est venu au monde : «Il se trouve que je suis né en 1999. J’ai ouvert mes yeux sur le portrait de Bouteflika et il est toujours là», résume-t-il subtilement. «Et ça fait maintenant six ans qu’on ne l’a pas vu. C’est inadmissible ! » Notre jeune étudiant n’est pas très favorable à un encadrement des manifs : «Il faut que ça reste spontané.

On ne croit ni au pouvoir ni à l’opposition», assène-t-il. Cependant, il nous confie : «J’aime bien Nekkaz, il est sympathique. Mais celui dont j’apprécie vraiment le programme et pour qui je serai prêt à voter, c’est Ghani Mahdi. Mais pour qu’on puisse voter librement pour le candidat de notre choix, il faut que Bouteflika parte. Il a confisqué l’avenir de la jeunesse.

S’il reste encore, tous les jeunes voudront quitter le pays.» Wassim nourrit de grands espoirs dans le mouvement citoyen dont il est désormais l’un des acteurs : «Pendant le 4e mandat, la contestation était faible. Cette fois, c’est tout le peuple qui s’est soulevé. Je pense que ça va faire bouger les choses», prédit-il avec optimisme.

«On ne veut pas d’une monarchie !»

A quelques mètres de là, près des arrêts de bus de la place Audin, une discussion animée fuse entre un groupe de jeunes et un vieux monsieur élégamment habillé, arborant des lunettes noires, qui avait l’air d’exprimer une opinion contraire. «Moi-même j’ai un fils titulaire d’un mastère 2 en électronique et qui ronge son frein toute la journée à la maison.

Si sa maman ne glisse pas quelques pièces dans sa poche, il serait totalement fauché», se justifie-t-il pour dire qu’il partage leur détresse.

Un jeune dans la trentaine résume son propos en martelant : «Tonton, nous, tout ce qu’on demande, c’est makache malakiya (pas de monarchie). L’Algérie est une République et on veut qu’elle redevienne une République, point barre !» Un autre enchaîne : «Qu’il (Bouteflika) prenne tout l’argent qu’il veut, qu’il aille se soigner avec à Genève et qu’il y reste.

Yakhtina bark (pourvu qu’il nous foute la paix !» Un homme d’un certain âge, qui était juste de passage, se joint à l’attroupement et accable les jeunes frondeurs en assénant d’un ton furibard : «C’est un plan sioniste ! L’Algérie est le dernier pays qu’Israël n’a pas réussi à déstabiliser !»

Un sentiment partagé par ce badaud, dans les 22 ans, posté à quelques pas de là. «Tout ça c’est beau, mais j’ai peur que ça bascule dans la violence et le chaos», prévient-il. «C’est comme ça que ça a commencé en Syrie. Au début, c’était pacifique, après, il y a eu la répression du régime qui a poussé au pourrissement. Je crains qu’il ne nous arrive la même chose.»

«C’est aussi un acte de féminisme»

Lamis, 17 ans, est lycéenne. Elle avait pris part, elle aussi, au mouvement de protestation auquel avait appelé Mouwatana.

Depuis vendredi, elle ne rate aucune occasion pour faire entendre sa voix et faire parler sa fureur libertaire. Buvant les flots de cet air enivrant même pollué par les lacrymos, elle ne veut pas en perdre une miette. «Vendredi, j’ai marché du Champ de manœuvres au Square», confie-t-elle fièrement.

A voir les étoiles qu pétillent dans ses yeux rieurs, on devine que la magie de ce moment fondateur opère encore. Pour elle, sortir manifester, c’est «avant tout un acte de féminisme». «Pourquoi seuls les garçons ont le droit de donner leur avis ? Je pense qu’une femme a aussi le droit le plus légitime d’exprimer son opinion» plaide-t-elle avec énergie.

Et de faire remarquer : «La population algérienne était terrorisée par ce qui s’est passé durant la décennie noire», ce qui l’a empêchée d’agir plus tôt, notamment lors du 4e mandat et la névrose autocratique du président sortant. Le «22 février», c’est presque une deuxième indépendance à ses yeux, même s’il est encore tôt pour les grandes phrases. «On a vécu 20 ans de dictature sous Bouteflika. Depuis que je suis née, c’est lui qui tient le pouvoir. Je suis pour une deuxième Algérie indépendante», revendique la jeune militante.

Contrairement à Wassim qui nous disait préférer les manifs sans leadership, Lamis ne fait pas de différence entre actions spontanées et protesta encadrée. Elle appelle à l’union sacrée jusqu’au départ du Président invisible : «Quand on manifeste, on a tous le même slogan à la bouche : ‘‘Makache 5e mandat !’’ On a donc tous le même but, alors pourquoi se diviser ? Il faut militer contre le 5e mandat jusqu’au bout. Mon père me dit : il n’y avait pas autant de harraga durant les années du terrorisme comme au temps de Bouteflika. On a besoin d’un changement impératif. On a besoin d’un printemps.»

Les étudiants entrent dans l’arène

Khaled, 23 ans, barbe de trois jours, traits fins, corps élancé, est étudiant en 3e année biologie à la fac centrale. Natif de La Casbah, Khaled respire les vibrations telluriques d’Alger et ses profondes pulsations populaires. Rencontré lui aussi sur la place Audin, il a été très actif durant toutes les dernières manifs et coordonne par téléphone avec un de ses camarades de fac la préparation des manifestations étudiantes prévues pour aujourd’hui. La date, l’heure et le lieu sont déjà fixés. «On n’a pas encore diffusé l’info, on fait circuler ça entre nous via messenger», glisse-t-il.

Khaled était en première ligne lors des grandes manifestations de vendredi dernier. Son background politique, il dit le tenir de son grand-père, mort en chahid dans le Constantinois, et son père, également militant nationaliste qui a participé activement à la Guerre de Libération nationale, aujourd’hui décédé. Il puise ainsi son inspiration dans ce long combat filial qui a cultivé en lui ce goût pour la justice et cet attachement viscéral à la dignité humaine.

«Ce que j’ai remarqué cette fois-ci, analyse-t-il, c’est la haute conscience du peuple. La preuve, les gens n’ont pas cassé. Ils ont manifesté dans le calme.» Et de nous avouer : «Honnêtement, je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait autant de monde. En fait, c’est quand le mot d’ordre ‘‘silmiya’’ a circulé en insistant sur le fait que la manif était pacifique, que les gens ont commencé sérieusement à sortir.»

«Il faut faire partir tout ce système»

Vendredi dernier, Khaled s’est rendu à la Grande-Poste vers 13h. Dès les premiers cortèges, il s’est empressé de poster quelques images via son smartphone : «Même si la connexion était mauvaise, j’ai essayé de faire un live Facebook.

Et ceci a encouragé les gens de mon entourage qui étaient au début sceptiques. Moi je touche au théâtre, j’ai des amis artistes. Ils étaient un peu méfiants. Au début, l’élite était hésitante à cause justement de la crainte de violences. Quand ils ont vu les premières images et constaté que la manif se déroulait dans le calme, là, ils ont décidé de rejoindre nos rangs.» «La casse, c’est ça qui tue n’importe quel mouvement», décrypte-t-il en fin connaisseur des mouvements de foule.

Pour lui, le fait d’agiter le scénario du «chaos libyen» ne marche plus. «Notre peuple a montré un haut niveau de maturité. Quand un jeune était sur le point de lancer une pierre, les gens l’arrêtaient avant la police.» D’après lui, il faut continuer à harceler la citadelle présidentielle et festoyer sous les remparts du système : «ça ne va rien donner, si on ne remet pas ça. Il faut impérativement occuper El Mouradia, c’est le lieu symbolique du pouvoir», répète-t-il.

Il ajoute d’un ton lyrique et néanmoins déterminé : «Ils ont beau affamer ce peuple, il ne s’arrêtera pas en si bon chemin. Mon grand-père est mort en chahid et mon père était moudjahid pour qu’on vive dans la dignité. Ils ne sont pas morts pour ça. Eddem âmro ma yiwali ma (le sang ne se mue jamais en eau).» S’agissant des étudiants, il affirme avec ardeur : «Les étudiants se sentent plus que jamais concernés. Ils ont certes des positions différentes, mais ils ont tous un point commun : on ne veut plus de ce pouvoir !» Il poursuit avec la même ferveur : «Ramenez qui vous voulez, même quelqu’un de chez vous s’il le faut. On veut juste qu’il marche et qu’il parle à son peuple.

Arrêtez de nous prendre pour des imbéciles.»Hormis la casse, ce qui nuit aux manifs, pense notre fougueux justicier, «c’est le fait de les encadrer politiquement» en désignant précisément les appareils partisans et les politiciens «siglés». «Le premier parti aujourd’hui en Algérie, c’est les réseaux sociaux», dit-il.

Le jeune leader se projette déjà dans la manif de vendredi prochain, le 1er mars, qui drainera, gage-t-il, plus de monde. «Le choix du vendredi n’est pas un marqueur islamiste. C’est simplement parce que beaucoup de gens observent la prière du vendredi.

C’est juste un repère, ni plus ni moins.» En fin stratège, Khaled conseille : «Laissons l’idéologie de côté, ki nefrouha on en reparlera. Il faut parer au plus urgent. Et l’urgence, c’est de dire non à ce pouvoir. Il faut que tout le système parte, pas seulement Bouteflika. Il faut faire partir tout ce système.»


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