Voyage au bout de la démocratie



...

Il a quitté le tarmac de l’asservissement un 22 février, le réservoir chargé de rêves d’émancipation. Le décollage tumultueux, jugé risqué par les tours de contrôle, fut vite oublié par les passagers du «Houria Airlines» grâce à un service à bord irréprochable.

La tête dans les nuages, les pieds bien sur terre, cela fait maintenant huit semaines que les voyageurs traversent le ciel de la résistance, avec comme seule certitude l’envie de faire leurs premiers pas en terre promise. Maintes fois ils avaient rêvé de ce pèlerinage sans oser franchir le pas.

«Vous êtes trop jeunes, trop vieux, trop immatures, trop inexpérimentés, trop idéalistes, trop pauvres… pour réaliser vos rêves» leur avait-on bien trop souvent répété, au point d’anéantir tout élan d’ambition.

Et puis on s’arrangeait, la plupart du temps, pour leur fournir leur lot quotidien de pilules liberticides afin d’avorter tout fantasme d’affranchissement. Mais ce contraceptif de la raison ne fait plus son effet, car l’éveil des consciences a fini par avoir raison de l’effet placebo et il a suffi de quelques cliques pour valider une réservation sur le premier vol direction la démocratie ! L’industrie de fabrication du consentement serait-elle en rupture de stock ?

Ou est-ce l’immunité pacifique qui a développé une résistance aux piqûres de rappel ? En tout cas, depuis cette annonce diffusée sur la Toile, même les vaccinés ont cédé à la tentation, et en moins d’une semaine les 48 sièges de l’Airbus populaire étaient entièrement occupés.

C’est non sans nostalgie que les passagers se rappellent aujourd’huileur premiers jours de vol : «Le plus dur était d’embarquer !» se remémorent les séniors qui avaient survécu au crash funeste des années 90 et qui ont réservé les sièges proches des issues de secours.

Les jeunes, quant à eux, étaient les premiers à avoir franchi le pas, l’idée de changer d’horizon avait balayé le doute et fait taire les voix de la modération qui criaient prudence. Une poignée de courage en guise de bagage à main et une valise pleine d’espoir chargée en soute, ils n’avaient pas hésité à sauter pieds joints dans l’aventure même s’ils savaient que le pilote n’avait même pas prévu de plan de vol.

Comme tout voyage aérien conventionnel, ils avaient été priés de se débarrasser de tout objet dangereux avant d’embarquer : la violence, le mépris, l’incivisme n’étaient pas tolérés à bord. L’obstacle de la peur franchi, le voyage s’est déroulé jusque-là dans une ambiance festive, au point même de faire oublier aux acrophobes leur peur du vide.

Après plusieurs semaines de vol, les passagers aperçoivent enfin les côtes des terres tant désirées et si elles semblent à portée de la main, l’écran de bord indique qu’elles se trouvent encore à plusieurs jours de traversée. Cela n’empêche pourtant pas nos globe-trotters de tergiverser.

«Comment allons-nous diviser les terres ?» interroge le fédéraliste.

«Pourquoi devrions-nous diviser ? Notre force est dans notre union !» s’indigne le traditionnaliste.

«Avez-vous pensé à quel emblème planter en premier une fois arrivés ?» questionne le téméraire.

«Nous n’avons qu’un seul emblème !» défend le conservateur.

«Renierais-tu tes origines ?» accuse l’autochtone.

«Arrêtez de vous chamailler comme des enfants ! parlons plutôt des droits des femmes», suggère la féministe.

«Les femmes ? Qu’est ce qu’il vous faut de plus ? Cet avion va vers la démocratie, si c’est vers la débauche que vous comptiez aller, je suis heureux de vous annoncer que vous vous êtes trompé de vol !» s’énerve le phallocentrique.

«C’est la religion qui pose problème, la laïcité doit être instaurée !» affirme le libéral.

«Si c’est en enfer que tu veux atterrir, tu es libre mais ne nous entraîne pas avec toi !» s’alarme le fidèle.

Le ton monte, les esprits s’échauffent et l’avion commence à tanguer sous le poids des discordes. Les hôtesses et stewards avant-gardistes interviennent d’urgence : «Nous traversons actuellement une importante zone de turbulences et l’équilibre de cet avion repose entièrement sur votre cohésion et votre stabilité.

Vous êtes priés de regagner immédiatement vos sièges, de boucler votre ceinture et de rester concentrés sur l’objectif principal de ce voyage. Nous nous rapprochons des côtes de la République démocratique et si nous souhaitons envisager un atterrissage sans encombre il est impératif d’éviter tout geste pouvant compromettre nos chances d’arriver saints et saufs.»

La consigne à peine achevée qu’un avion militaire pointe le bout de son cockpit dans un looping magistral et prend les devants du «Houria Airlines». Sa venue laisse les esprits perplexes : «Que fait un avion militaire ici», s’interrogent les passagers incertains quant à l’interprétation de cette apparition soudaine.

«Il nous est peut-être venu en aide…» souffle le naïf.

«Ne nous laissons pas détourner, on ne connaît pas sa destination», étaye le cartésien.

«Il a raison, il n’a rien à faire ici, son rôle est d’intervenir en cas de danger et nous ne sommes ni attaqués ni sur le point d’attaquer qui que ce soit !» appuie le perspicace.

Le commandant de bord tente de se référer aux tours de contrôle pour connaître l’origine de cet imprévu, mais les interférences polluent la communication et il est quasiment impossible de discerner le vrai du faux. Livré à lui-même, il décide de distancer l’engin qui s’acharne à rester en tête.

«Il n’est pas question de se faire détourner alors que nous sommes si près du but, l’annonce sur notre site internet était claire : ‘un seul guide : le peuple’ ! Et nous allons respecter nos engagements», déclare-t-il à l’intention des passagers qui commençaient à paniquer.

Voici le récit du voyage que devrons retenir les générations futures… en attendant l’atterrissage.


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