«On ne veut pas des visages bouteflikiens»



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Alger, 19 avril 2019. 9e vendredi de manifestations pour le départ du régime. Le «référendum» populaire hebdomadaire a une nouvelle fois apporté des réponses fortes sur tous les thèmes qui ont marqué l’actualité durant la semaine écoulée : le maintien du «102» et sa feuille de route bancale, la démission de Belaïz, les consultations engagées par Bensalah ou encore (et surtout) le dernier speech d’AGS, où il s’en prenait à Toufik, se disait «ouvert à d’autres solutions» et affirmait solennellement son engagement à «protéger» les manifestants en déclarant : «Nous avons donné des instructions claires et sans équivoques pour la protection des citoyens, notamment lors des marches.»

Alors, on ne sait plus qui commande réellement dans ce pays à voir les agissements de la police, les actes de répression qui se sont multipliés ces derniers jours…

On ne sait pas si c’est l’effet Gaïd ou si c’est la réprobation massive de ce qui s’est passé lors des manifs du 12 avril, mais hier, le dispositif de police à Alger s’est fait plutôt discret. D’ailleurs, l’une des premières images qui ont d’emblée retenu notre attention à la place Audin, hier : il n’y avait plus de fourgons de police.

Il y avait juste un cordon des forces antiémeute qui barrait l’accès au Tunnel des facultés pour éviter sans doute aux manifestants de vivre l’enfer de la semaine passée où, selon plusieurs témoignages, des gaz lacrymogènes ont été lancés à l’intérieur même de «Ghar Hirak».

Nous avons relevé également que les forces de police ont libéré la place du 1er Mai et les placettes voisines, alors que vendredi dernier, ils avaient empêché les marcheurs d’occuper la place Mohand Tayeb Ferkoun. Sur le boulevard Krim Belkacem, la matinée, il n’y avait pas de véhicules de police aux alentours du pont du Télemly. En revanche, le dispositif était toujours aussi important aux abords de l’Ecole des beaux-arts et du Palais du peuple.

«J’ai mis 3 heures pour venir de Boumerdès»

En zone extra-muros, la Gendarmerie nationale est déployée avec force, rendant l’accès à la capitale extrêmement fastidieux. Nasreddine, un manifestant résidant à Boumerdès, drapeau berbère sur les épaules, témoigne : «En temps normal, un vendredi, je mets une trentaine de minutes pour rejoindre Alger. Aujourd’hui (hier, ndlr), ça a été la galère.

J’ai pris la route à 10h30 et je suis arrivé ici à 13h30. Les barrages de la Gendarmerie nationale sont infernaux. On ne sait plus qui croire. Gaïd Salah a pourtant promis de laisser les marcheurs tranquilles.

Au barrage de Réghaia, je l’ai fait remarquer aux gendarmes.» Nasreddine a sa petite explication : «Ils font ça pour décourager les gens de venir manifester à Alger. Au prochain vendredi, les manifestants vont penser aux tracasseries du trajet, l’attente interminable sur la route et certains vont peut-être renoncer à venir. C’est aussi le but recherché par la répression de vendredi dernier et l’utilisation des gaz lacrymogènes contre des citoyens pacifiques, dont des enfants. C’est pour décourager les familles de sortir.»

Un 9e vendredi très «politique»

En tout cas, si le but recherché est vraiment de dégoûter les Algériens et de miser sur l’usure des manifestants, c’est raté. Hier, pour le 9e vendredi consécutif, les Algériens sont sortis massivement renouveler leur rejet unanime de la feuille de route du régime.

Et le départ de l’un des «4B» directement concernés par le «Yetnehaw Ga3 !», en l’occurrence Tayeb Belaïz, n’a fait que redoubler leur ardeur et leur détermination à maintenir la pression jusqu’à arracher un plan de transition à la hauteur de leurs attentes. La volonté populaire s’est exprimée très clairement, tant dans les chants et les slogans scandés que sur les banderoles et les pancartes brandies.

Que ce soit par petits groupes, par blocs idéologiques, par carrés militants ou par marée humaine sans connotation particulière ni étiquette, ils ont tous convergé sur au moins un point : «Tarhlou gaâ, vous partez tous !» «Système dégage !» «On ne veut pas d’une transition conduite par les symboles du régime».

Les manifestants se sont ainsi époumonés à marteler : «Echaâb yourid yetnahaw ga3 !» «Hé, viva l’Algérie ! yetnahaw ga3 !» «Klitou lebled ya esseraquine», «Koul youm massira maranache habssine», «Y en a marre de ce pouvoir», «Lebled bledna we endirou raina», «Echaâb mrabi we edoula khayna», «Libérez l’Algérie», «Bensalah dégage !» «Rana s’hina bassitou bina», «Allah Allah ya baba, djina ennehou el issaba».

On pouvait aussi entendre les slogans emblématiques du Printemps noir : «Ulac ulac/Ulac smah ulac» (pas de pardon !), «Pouvoir assassin !» «Imazighen ! Anerrez wala neknou !» (On se brise mais on ne courbe pas l’échine)…

En ce 9e vendredi très «politique», les slogans et les doléances gravés sur les pancartes étaient eux aussi très explicites dans leur formulation des revendications citoyennes, notamment en termes d’appels lancés à la justice, d’interpellation du personnel en place et de vision sur la marche à suivre au-delà des balises constitutionnelles étroites de l’article 102 et le reste de ses «B» fortement indésirables.

«Nos rêves ne tiennent pas dans vos urnes»

Une banderole gigantesque suspendue au-dessus de la place Audin tonne : «Goulna ga3 c’est ga3 !» (On a dit tous, c’est tous) Une pancarte impertinente lâche : «Nehhina Belaïz mazal lamîz» (On a enlevé Belaïz, mais il reste encore des chèvres).

Un homme soulève cet écriteau : «Nous ne voulons pas de visages bouteflikiens, nous voulons des visages ‘‘harakiens’’». On pouvait lire aussi, pêle-mêle : «A bas l’article 102, c’est la décision du peuple», «Le peuple veut une transition en dehors de la bande», «Nos rêves ne tiennent pas dans vos urnes», «Système dégage de A à Z», «On a dit ni Bedoui ni Bensalah, wahed fihoum ma yeslah» (aucun d’eux n’est bon)…

Un homme adresse ce message à travers son panneau : « Le 9e référendum à ciel ouvert a tranché à l’unanimité : Bensalah, Bedoui et tous les résidus du système corrompu : dégagez !» Un manifestant clame sur une feuille de papier : «Mina El Mouradia ila El Berrouaghia» (Du palais d’El Mouradia à la prison de Berrouaghia).

Un autre a écrit : «Magistrat réveille-toi, va juger Said et Toufik». En parlant de l’ancien patron du DRS, un manifestant a eu ce mot bien inspiré : «Vous avez l’Etat profond, nous sommes le peuple profond».

«Le seul Salah qui m’intéresse, c’est le joueur de Liverpool»

Le chef d’état-major de l’ANP est également acculé : «Où sont vos promesses, Gaïd Salah. Echaâb machi djayeh» (le peuple n’est pas bête). Il y avait aussi ce chant qui revenait : «Sorry, sorry Gaïd Salah, echaâb hada machi djayeh, goulna yetnahaw ga3 !» Une dame brandit une affiche avec ce mot d’ordre : «Nous ne voulons pas d’un scénario égyptien.

La li hokm el askar» (Non au pouvoir militaire). Dans le registre humoristique, cette pancarte soulevée par un jeune sur laquelle on reconnaît la bouille de la star de Liverpool, l’Egyptien Mohamed Salah, et ce message en anglais que nous traduisons : «Je suis un fan des Reds et le seul Salah qui m’intéresse, c’est lui».

Certains ont rappelé les violences policières de la semaine dernière, à l’instar de ce marcheur qui a écrit : «Le gaz naturel pour la France et le gaz lacrymogène pour nous les Algériens». Un autre a inscrit : «Régime violent, peuple pacifique».

Deux femmes défilent avec des pancartes antisystème ; elles portent des gilets jaunes estampillés : «Rana h’na lil Djazaïr» (Nous sommes là pour l’Algérie). «Nous sommes un groupe sur Facebook, on active depuis plus de deux ans dans le domaine humanitaire, on prodigue toutes les formes d’aide», explique l’une d’elles. «On est là pour sensibiliser les gens à être plus ‘‘silmiya’’» ajoute-t-elle, avant de lancer : «On marche, on marche, pour que l’Algérie marche.

C’est mon slogan.» Meriem, sa camarade, enchaîne : «C’est un gouvernement mafieux, pourri, gangrené. C’est au peuple algérien, à la jeunesse algérienne, de décider. Nous, on ne veut pas de leur transition. Et on n’a pas peur, c’est bon, ce n’est pas la peine de faire peur aux gens. Ga3 iroho ! Ils partiront tôt ou tard. Ils n’ont pas honte. Ce qu’ils ont semé, ils vont le récolter. On ne va pas se taire. Ce pays on ne le laissera à personne, ni aux Boutef ni à Macron !»

«Il y a des violations en série de la Constitution»

Rencontré dans la manif, Me Badi Abdelghani fait partie du collectif de défense des quatre militantes qui ont été déshabillées au commissariat de Baraki, et qui comprend également Mes Fetta Sadat et Salah Debbouz, entre autres. «Nous avons tenu une séance de travail mardi dernier avec les militantes pour discuter du dépôt de plainte», nous dit-il.

D’après lui, il y a deux stratégies possibles : une procédure devant le tribunal administratif contre la DGSN, et une autre, au pénal, contre les personnes responsables de cet acte, en l’occurrence le commissaire de Baraki et la femme officier qui a effectué la fouille corporelle. «La plainte doit être individuelle», précise Me Badi.

Et de faire remarquer : «Ce qui s’est passé relève de la violence morale, et la Constitution criminalise la violence morale.» L’avocat estime que ces derniers jours, il y a eu des dépassements et des violations en tout genre des libertés fondamentales au moment où les décideurs ne jurent plus que par la Loi fondamentale. «A la moindre occasion, le pouvoir viole la Constitution, multiplie les dépassements et porte atteinte à l’exercice des droits les plus élémentaires, comme le droit de réunion et de manifestation.

Au début, ils arrêtaient les gens pour destruction de biens publics, vols… Depuis quelques semaines, il y a des arrestations par dizaines, entre 100, 180 à 200 personnes, pour attroupement. Et ça, c’est pas un attroupement ? Nous sommes devant une répression caractérisée du droit de manifester qui est un droit constitutionnalisé.»

Une forte pensée pour les victimes du Printemps noir

A quelques mètres plus bas, du côté de la Grande-Poste, un petit mur est transformé en mémorial en hommage aux victimes du Printemps noir. Le visage de Guermah Massinissa, ce lycéen tué le 18 avril 2001 à la brigade de gendarmerie de Beni Douala, domine le mur, avec le slogan «Ulac smah ulac».

Sont également affichés les portraits de plusieurs autres victimes. Leurs visages forment une mosaïque qui sature une carte de l’Algérie. Djamel Ghemmour, 55 ans, habitant un peu plus haut, rue Docteur Saâdane, a tenu à rendre hommage à ces jeunes martyrs. «Nous avons observé ce matin une minute de silence à leur mémoire», confie-t-il. «Cette mémoire doit être entretenue à chaque occasion», insiste-t-il. «Justice doit être rendue. Aucun responsable n’a été traduit devant un tribunal. La lumière doit être faite sur ces événements tragiques.

C’est une tache noire dans l’histoire de l’Algérie indépendante.» Abderrahim Mila, 26 ans, brandit une pancarte en hommage à Guermah Massinissa. «C’est avec la mort de Massinissa Guermah qu’ont éclaté les événements de 2001», rappelle-t-il. «On ne doit pas oublier également les 128 martyrs (du Printemps noir).»

Et de lancer : «Imaginez si le mouvement de 2001 avait réussi… Aujourd’hui, hamdoullah, on manifeste à Alger-Centre. On a l’habitude de manifester à Béjaïa, à Tizi, mais pas à Alger, et là on est à Alger-Centre.

C’est un acquis en soi.» Faisant la relation avec le Printemps berbère dont nous célébrons ce samedi le 39e anniversaire, Abderrahim dira : «Le 20 Avril a touché tous les Kabyles. On a été marqués par cette histoire. Même ceux qui n’ont pas vécu ces événements, ils les ressentent.

Il y a une transmission. Dans ma famille, depuis que j’étais petit, on nous en parlait. C’est pour dire que tout ça n’est pas tombé du ciel.» Le jeune manifestant ajoute en parlant des événements de 2001 : «Que ce soit à Tizi, à Bouira ou à Béjaïa, les gens ne sont pas sortis uniquement pour la Kabylie. Ils sont sortis pour toute l’Algérie. Ils ne se sont pas soulevés que pour la cause berbère mais pour la cause algérienne. Le combat démocratique concerne tout le monde.»

Le 18 avril n’a pas été celui du 5e mandat

Image émouvante pour finir : celle de la famille Benkhedda marchant dignement en hissant un portrait et une banderole à l’effigie de Hassan Benkhedda, Allah Yerahmou, «Chahid de la dignité». Le fils de l’ancien président du GPRA est mort, rappelons-le, pendant les manifestations du 1er mars 2019. Autre image : la participation aux manifestations d’hier de notre icône éternelle Djamila Bouhired qui, comme à chacune de ses apparitions publiques, est enlacée par une foule immense d’admirateurs transis. Longue vie à notre Djamila nationale…

Dernière image : dans la forêt de pancartes agitées sous le ciel couvert d’Alger, il y en avait une, confectionnée par une demoiselle, dans laquelle elle rappelait à juste titre : «Sans le peuple, aujourd’hui aurait été le premier jour du 5e mandat de Bouteflika».

Référence à l’élection présidentielle qui était initialement programmée pour le 18 avril, et qui, si elle avait été maintenue, nous aurait effectivement condamnés à 5 autres années ferme sous le joug de «fakhamatouhou»…


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