Poésie.. Voyage au coeur du melhoun



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Les poètes du melhoun se sont toujours distingués par la beauté de leurs poèmes lorsqu’ils expriment leur amour de la Kaâba, décrivent la femme qu’ils aiment ou leur joie à l’arrivée du printemps.

Chez nous, la poésie dialectale a existé depuis fort longtemps et a pris une autre dimension dès l’arrivée des Andalous. Cette poésie appelée melhoun nous a donné plusieurs genres appréciés, notamment le chaâbi, le bédoui, le sahraoui et le moderne. Le melhoun n’est pas appelé ainsi car il se met en musique comme le croient certains, mais parce qu’il contient des fautes de grammaire (lahn) et diffère de la poésie classique du point de vue de la mesure (wezn). Le melhoun pur diffère aussi du bédoui car sa rime ne change pas jusqu’à la fin du poème alors que celle du bédoui change comme dans le mouwachah et le zadjel. Le melhoun tient son origine des mouwachahate et du zedjel ainsi que de la poésie de la Djahilia comme le prouvent certains vers de Sidi Said El Mendassi, l’un des pionniers de ce genre aux côtés de Cheikh El Qelî et Hadj Khaled. Sidi Boumediene Chouâib qui est parti de Bedjaia vers Tlemcen a été l’un des premiers poètes classiques avec Ibn Mouâti à écrire des poèmes en melhoun. Il faut noter que Ibn Mouâti est l’auteur de la Elfia (la grammaire arabe en 1000 vers). Vu que ces styles (melhoun et bédoui) sont très proches, les poètes n’avaient pas de difficultés à passer d’un genre à un autre.

Beauté et diversité
Le melhoun est très riche. Le bédoui à lui seul compte une trentaine de genres, dont les plus connus sont le guebli, le m’khazni, le sroudji, le chahati et le merbouê. Les chefs de file du bédoui étaient, au début, Ali Koura et Ben Della. Durant toute cette période, le bédoui est devenu à la mode et tous les poètes qui se sont mis à écrire ont laissé leurs empreintes notamment dans l’Oranais et surtout durant la période de l’Emir Abdelkader. Le pionnier du melhoun Sidi Said El Medassi, qui fut ministre auprès du Roi Mouley Smail du Maroc d’où il a fui suite à une altercation, avait à ses côtés Ali Koura, Ben Hamadi, El Qilî et Hadj Khaled. Ce dernier a écrit un poème de 400 vers décrivant le gourbi de l’Emir Abdelkader après sa destruction suite à son départ de Mascara. Cette qaçida (chanson) a été enregistrée à la Radio en 1953 par Cheikh M’ hammed El Meliani. L’un des plus beaux poèmes de Hadj Khaled est celui qui décrit un combat entre un taureau et un lion. C’est le taureau qui avait gagné le combat. Il faut noter que la ville de l’Emir Abdelkader a toujours été un pôle culturel et les poètes Tahar Benhaoua, Ben Guennoun, Ould Boungab (cousin de l’Emir) et Mestpha Ben Brahim, l’auteur de Lqit Anaya Khoudet qui deviendra l’un des premiers succès de Nouri Koufi à la fin des années 1970.

Benkhlouf, le pôle
L’un des plus grands maîtres du melhoun, Sidi Lakhdhar Benkhlouf, est né à Mostaghanem, la ville qui fut la capitale du meghrabi (chaâbi) qui a donné non seulement des poètes mais de talentueux chanteurs tels que le défunt Bettahar Lahbib, Nouredine Benatia, Abdelkader Bendameche qui a cessé de chanter pour se consacrer à la recherche, et le maître du chaâbi Mazouz Bouadjadj. Benkhlouf, ce grand maître de la poésie populaire et du soufisme était considéré par ses pairs comme l’ Emir des poètes. Cet homme qui a eu le privilège de voir le prophète Mohammed (QSSL) à 100 reprises est connu pour la qualité de ses poèmes et ses prédilections, notamment celle où il décrit le célèbre palmier qui naîtra après sa mort et prendra une forme exceptionnelle. Le palmier de Sidi Lakhdhar est toujours vivant pour témoigner de la valeur de cet homme qui a vécu 125 ans. Il fut un religieux d’exception, un inégalable poète et un grand moudjahid. D’ailleurs, il raconte dans un de ses poèmes comment il a participé à la bataille de Mazaghran en 1558. C’est suite à une vision (rêve) que Sidi Lakhdhar Benkhlouf avait décidé de rendre visite à Sidi Boumediene et embrasser la Tariqa Soufie du grand wali de Tlemcen. Abdelkader Bendamèche vient de lui consacrer un ouvrage d’une grande valeur.

Une femme parmi les hommes
La région du Sahara a aussi eu ses moments de gloire et de grands poètes se sont imposés avec un genre particulier. Les poètes sahariens les plus connus et qui ont vécu à Laghouat et Ouled Djellal sont Sidi El Hadj Aissa, Benkerbane, Ben Kerriou, Smati, et Benguitoune, l’auteur de la célèbre Hizia. Laghouat est également connue pour sa poétesse El Mokrania (une rareté dans le melhoun).
L’un des meilleurs poèmes de Cheikha El Mokrania est celui où elle raconte l’histoire de son berger ayant décidé de demander sa main après la mort de son mari. La ville de Tlemcen n’a jamais cessé de donner de grands maîtres et les plus connus sont Sidi Boumediene, Ali et Mohamed Bensahla, Ben M’ Saib, Sidi Boudjemâa Ben Triki, Sekkal et Ben Msaib qui sont les créateurs du hawzi). Dans le Constantinois, il y a eu de bons poètes mais le plus connu est Cheickh Bendhebbah, l’auteur de Rouhi Thasbek et Errebiê Eqbel. Ce poète s’était spécialisé dans le hawzi.
Il faut noter que la majorité des qaçaïd (chants) avaient un contenu religieux et de grands imams et muphti étaient également des poètes. C’est le cas de Bouqendoura le muphti d’Alger et Sidi Ali Zouaoui. Sidi Abderrahmane Ethaâlibi avait aussi un poète tout comme Sidi Ben Ali, et El Kebabti, l’auteur de Saraqa El Ghosno.

Benchneb, Moufdi Zakaria et Benzekri
Depuis, El Mendassi, (il y a 5 siècles) des centaines de poètes ont laissé leurs empreintes et le siècle dernier a été marqué à Oran par Ben Chouâla, Bellahrache, et Abdelkader El Khaldi qui, faut-il le rappeler, n’a jamais chanté le rai et refusait de côtoyer des chanteurs de ce genre de chanson. Durant la même période, Sidi Belabbès a vu l’émergence de Abdelmoula et Ould Abbès. Les poètes du melhoun les plus connus à Médéa étaient Bendali, Bengharnout, Lyaho et Bensafar. Le succès de la poésie populaire a toujours poussé les poètes du classique à écrire dans le melhoun et on a retrouvé des poèmes de Benchneb, Ahmed Benzekri qui avait aidé El Anka et Hadj M’ Rizek en leur corrigeant les qaçaid mal transcrites et même de Moufdi Zakaria, le poète de la Révolution.
Quand le bédoui et le Eyeeye étaient à la mode dans les années 1940-50 avec Cheikh Abdelkader El Khaldi, Hamada, El Meliani, Bouras, El Metidji, Palikao et El Attafi qui avait enregistré «Que je suis malade» en 1956, l’avènement de la Radio a beaucoup aidé à la célébrité de poètes tels que Rahab Tahar, Haddad Brahim, Hachlaf, Driassa, etc. Il est à rappeler que beaucoup de poètes et de compositeurs qui étaient derrière le succès de chansons sont malheureusement restés dans l’ombre. C’est le cas de Hafidh Garami, Badreddine Bouroubi et Boualem H’ sabate, l’auteur de Yalli Theb Telêeb Esport chantée par Hadj M’ rizek.

La relève
Après la disparition de El Hbib Hachlaf, Mahboub Bati et Mahboub Stambouli, d’autres poètes ont emergé, dont feu Abderrahmane Aissaoui qui a préféré se consacrer à la recherche en animant une émission à la radio. Le défunt Mohamed Angar qui a commencé par une carrière de chanteur a également écrit de belles chansons de variétés. Deghfali qui nous a également quittés avait réussi à écrire des qaçaids interprétées par plusieurs chanteurs de chaâbi. A Blida, on avait entendu quelques bons textes de Omar Ghribi dont certains avaient été chantés par Abdelkader Guessoum. Dans chaque ville d’Algérie, il y a des poètes doués. A Mila, c’est le romancier et poète d’expression française Cherif Abdedaim qui est doué pour l’écriture en melhoun. Cet artiste complet (il est aussi peintre) est également un talentueux chanteur de malouf. Hafidh Bouâroua, Sehiri et Adjaimi (le comédien) sont également doués mais le poète qui semble avoir un très bel avenir est Yacine Ouabed. Nadia Hamzi, présidente d’une association de la poésie melhoun à Blida, qui a déjà édité un recueil de ses poèmes, est aussi une brillante poétesse.
Bari Stambouli


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