Contribution – Pourquoi l’ANP ne peut pas envisager une solution à l’égyptienne



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Par Dr Arab Kennouche – La démission forcée du président de la République Abdelaziz Bouteflika a propulsé l’état-major de l’ANP sur le devant de la scène politique d’une manière inédite, et pour plusieurs raisons fondamentales. L’homme fort de l’ANP, Ahmed Gaïd-Salah, est devenu, suite à son injonction envers l’ex-chef de l’Etat de céder le siège présidentiel, un homme clé de la transition revêtant au même titre que l’ensemble de la classe politique une fonction d’arbitre incontournable dans le règlement de la crise pourtant perçue comme étant essentiellement politique. Cependant, même si le chef d’état-major s’est fait fort de revenir à la lettre constitutionnelle pour tenter une solution définitive à l’incurie de la fonction présidentielle, il n’en demeure pas moins que c’est l’option militaire du règlement politique du problème qui l’emporte actuellement sur une approche purement civile.

En appelant à l’application de l’article 102 et au respect des articles 7 et 8 de la Constitution de 1996, Ahmed Gaïd-Salah a voulu se prémunir de toute tentative de dénonciation et de dépassement des prérogatives de l’ANP dans le champ politique, tout en réaffirmant deux principes devant conduire à la résolution de la crise de l’Etat algérien en cours : respect de la norme constitutionnelle et respect de la souveraineté populaire. Dans cet esprit, une date a été déterminée pour l’élection d’un nouveau Président, soit le 4 juillet 2019. Si le principe d’une acceptation de la Constitution en vigueur semble assez partagé, le mouvement citoyen (hirak) réclamant lui-même l’application de certains articles faisant retour à la souveraineté populaire dans le choix des institutions, la date fixée par le Président intérimaire et le chef d’état-major suscite une vive inquiétude dans la population et l’opposition politique pour deux raisons essentielles.

Techniquement, elle ne permet pas l’organisation politique de l’opposition qui, depuis le 22 février, a pris une nouvelle forme jamais exprimée auparavant, surpassant en revendications celle qui agissait sous Bouteflika. Le motif est pertinent et acceptable si le chef de l’Etat intérimaire, Abdelkader Bensalah, et le chef d’état-major de l’ANP reconnaissent cette nouvelle «opposition» dans son droit constitutionnel de participer à l’élaboration de nouvelles institutions. Mais, en recourant aux articles 7 et 8, tout en promulguant une élection à très court terme, le pouvoir politique actuel tuerait l’émergence d’une nouvelle forme de combat politique, démocratique mais encore peu organisée, celle du 22 février. Que faire ? Aller aux élections maintenant ou se doter d’une année entière qui garantirait un temps plus fécond pour l’organisation de la nouvelle représentation politique ?

Au fond du problème se pose la question de la légitimité du pouvoir actuel à vouloir organiser une élection. Ainsi, au plan de la légitimité, le hirak dans son ensemble est fondé à contester l’idée d’une élection présidentielle par un personnel politico-militaire encore au pouvoir et qui prônait, il y a quelque temps, la continuité du système. Il faut cependant souligner que le chef d’état-major de l’ANP obtient la primauté et une part de légitimité supérieure à son chef hiérarchique, le Président intérimaire Bensalah, pour avoir décidé la «démission du chef de l’Etat» dans un cadre constitutionnel, faisant écho en cela à la voix du peuple. Légitimité réduite mais essentielle pour contrôler tout processus politique à terme, par la tenue d’une élection présidentielle.

Pourquoi, alors, Ahmed Gaïd-Salah décide-t-il la tenue d’une telle élection, sachant que le mouvement citoyen n’aura jamais le temps et les moyens de présenter un candidat pour le 4 juillet prochain ? Il existe plusieurs réponses possibles à cette question. Tout d’abord, objectivement, nous pouvons mettre au crédit des autorités actuelles que tout mouvement de rue même légitime nécessite un niveau de structuration que le hirak ne possède pas encore. Et attendre indéfiniment l’émergence de nouveaux acteurs politiques, de nouveaux partis, reviendrait à prendre un risque énorme de vacance perpétuelle du pouvoir, de même que cela ouvrirait la voie à toute forme d’infiltration externe. D’où la nécessité d’agir vite. Mais, en agissant vite, on condamne le hirak à la non-représentation. Il faut donc sortir du cercle vicieux : la création d’une instance neutre qui chapeauterait la restructuration de tout le champ politique algérien incluant tous les anciens partis, purgés du bouteflikisme, et de nouvelles formations politiques en phase avec le réveil du 22 Février.

Une deuxième question fondamentale émerge par voie de conséquence : pourquoi le chef d’état-major refuserait-il l’émergence d’un tel organe transitionnel apolitique qui défende les intérêts suprêmes et stratégiques de la nation, dans l’esprit d’une refondation républicaine ? Il est difficile de répondre à cette question sans évoquer le poids des contingences de l’héritage bouteflikien.

Tout d’abord, se pose la question de qui serait légitime pour désigner les membres d’un tel comité de direction. En d’autres termes, où se situe la frontière entre un bouteflikisme détesté et l’ancien système tombé dans l’opposition, entre l’ancienne et la nouvelle opposition ? Si le hirak réclame le départ de l’ancienne caste politique, qui donc pourrait se prévaloir de l’autorité légitime à créer une organisation de la transition ? Si l’on supprime l’ensemble des acteurs de l’ancien régime, comment désigner les prétendants à l’organisation de la transition d’une façon impartiale et neutre ? Quels critères d’inclusion politique retenir ? Faudra-t-il y inclure des personnalités de l’ancienne mouvance islamiste au motif d’une inclusion totale et impartiale ? C’est ce genre de questions techniques mais aussi idéologiques qui risquent d’émerger, à moins qu’une plateforme préventive ne soit votée pour spécifier les critères futurs d’inclusion des formations politiques qui fasse droit à la nouvelle opposition.

Mais il faut aussi admettre que des facteurs purement politiques pousseront le pouvoir actuel à contenir l’action du hirak. Le chef d’état-major actuel était désireux par l’idée du 5e mandat de continuer sa mission au sein des forces armées. Or, une telle volonté ne pourrait être que contrecarrée par l’avènement d’un nouveau régime présidentiel redonnant les pleins pouvoirs au nouveau chef de l’Etat. Par le contrôle d’une élection rapprochée, le chef d’état-major de l’ANP garantirait en quelque sorte sa fonction au sein de l’ANP non pas forcément pour des raisons personnelles, mais plutôt stratégiques.

Mais il n’est pas certain que celui-ci veuille véritablement rempiler. A près de 80 ans, Ahmed Gaïd-Salah se sait plus proche de la retraite. Indubitablement, il peut simplement vouloir organiser sa retraite dans des conditions honorables. Quant à l’hypothèse d’un pouvoir militaire «présidentialisé», à l’égyptienne, elle semble peu tenir la route et pratiquement impossible en Algérie. Gaïd-Salah sait pertinemment que le peuple ne suivrait pas et le défierait. Lui-même ayant rappelé la force de la souveraineté populaire, il serait inconcevable d’aller à son encontre par plus de répression. C’est plutôt l’option d’un Président en phase avec sa démarche qu’Ahmed Gaïd-Salah rechercherait. Reste à trouver le candidat charnière entre lui-même et le peuple.

A. K.

 


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