Mohamed Lahlou. professeur d’université et ancien cadre du FFS

«Le peuple a compris que politique et corruption ont tracé les mêmes sillons du système»



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Professeur de psychologie à l’université, militant de la démocratie et ancien membre du comité exécutif provisoire du FFS, Mohamed Lahlou s’exprime ici sur la situation politique qui prévaut dans le pays.

Il livre son analyse du mouvement populaire et donne sa lecture sur les raisons qui font que le régime refuse toujours d’aller vers une transition politique. En tant qu’ancien cadre du FFS et ex-élu du parti en 1991, notre interlocuteur explique les raisons ayant suscité cette crise et met en garde les parties en conflit contre la neutralisation du parti, notamment en cette période cruciale dans la vie du pays.

 

Le mouvement populaire né le 22 février se poursuit depuis plus de quatre mois. Cette révolution populaire a surpris tout le monde. Selon vous, cette révolte était-elle prévisible ?

Ce n’est pas la révolte qui a surpris ; ce sont les formes qu’elle a prises qui ont étonné et surpris, autant par sa dimension populaire que par sa maturité et sa discipline. Tous les ingrédients d’une révolte étaient réunis depuis plusieurs années : un système qui dure trop longtemps et qui, de plus, a échoué, est voué à connaître une fin désastreuse. Un système qui est resté sourd aux bruissements de protestation de tout un peuple ne peut qu’accélérer sa faillite. A cela il faut ajouter l’absurdité d’un 4e mandat de Bouteflika et l’impertinence de la volonté d’en imposer un cinquième !

Ce mouvement de protestation n’est pas né spontanément, il a eu ses prémisses sensibles au sein de la société, mais les acteurs du statu quo n’ont rien voulu voir ni entendre ; ils ont vécu dans une espèce d’inconscience et d’une prétention politique inégalée, dans un monde irréel.

Le peuple a répondu par la culture qui est la sienne et qu’il avait intériorisée devant toutes les injustices et la corruption. Il a vécu massivement le malaise social et il est sorti en masse pour protester contre toutes les injustices à la fois. Le peuple a réuni et réussi tous les ingrédients d’une grande révolution. Il s’agit bien d’une révolution destinée à provoquer un véritable changement politique, social, économique et culturel. Ne pas le saisir ainsi, c’est n’avoir rien compris à ce qui se passe, dans notre pays, depuis le 22 février.

Justement, après 18 semaines de protestation et malgré le départ de l’ancien Président, aucune solution ne se profile à l’horizon pour résoudre la crise politique. Qui, selon vous, bloque la situation et pourquoi ?

Les solutions existent ; ce sont les réponses aux questions posées qui tardent à venir. Le départ de Bouteflika était de l’ordre du normal, c’est son maintien qui aurait été de l’ordre du délire politique. Mais les quatre mandats de Bouteflika ont laissé une situation inextricable autant sur le plan politique que sur les plans social et économique.

Sortir de la crise que vit notre pays, c’est d’abord articuler entre eux tous les échecs du système, c’est ensuite mettre en place les changements attendus pour assainir la situation et procéder aux réformes attendues par la population. Ce qui a été réalisé sur le plan de la lutte contre la corruption doit avoir son équivalent pour mettre de l’ordre dans un système politique en déliquescence, qui est responsable de tous les échecs.

La corruption n’a pas seulement détruit l’économie de l’Algérie, elle a également miné toute la vie politique et ce n’est pas pour rien que les anciens partis dits «de la majorité présidentielle» vont, d’une même voix, au secours du statu quo politique. En cela, le peuple a bien compris que politique et corruption ont tracé les mêmes sillons du système dont ils ne cessent de demander le départ.

Personne ne veut la moindre instabilité dans le pays, mais personne non plus n’est convaincu que la voie vers le changement passe par les acteurs de l’ancien système. Sur ce plan-là, l’incompréhension est totale entre les revendications des manifestants et les propositions par lesquelles on lui répond. Ce déficit de confiance quant aux intentions des «décideurs» constitue la pierre d’achoppement pour une sortie de crise.

L’armée et le chef d’état-major, Ahmed Gaïd Salah, s’opposent à la transition prônée, pourtant, par la majorité des acteurs politiques. Pourquoi, selon vous ?

Depuis l’indépendance, la mémoire des Algériens est que c’est l’armée qui fait et défait les pouvoirs ; elle le perçoit et y croit également aujourd’hui. Tout en rejetant, dans leurs slogans, un régime militaire, les Algériens savent que le changement passe par l’armée.

Ce qu’ils attendent donc de l’armée, c’est qu’elle mette en place les dispositifs pour un changement réel et pacifique.

C’est pourquoi l’idée d’un changement sans une période de transition ne passe pas et aura de plus en plus de difficulté à passer, d’autant que l’argumentaire contre une transition est inaudible.

Les millions de manifestants depuis le 22 février, les partis politiques et la société civile ne cessent de demander une période de transition. L’échec de l’organisation de l’élection présidentielle programmée pour le 4 juillet constitue une leçon à méditer.

Certes, l’armée, par la voix de son chef d’état-major, ouvre la porte au débat, mais cette porte est immédiatement refermée par le refus indiscutable d’évoquer une période de transition. La question à laquelle il faut répondre clairement est alors la suivante : est-ce que l’instauration d’une période de transition gérée démocratiquement et portée sereinement par l’ensemble des acteurs de la société constitue un péril plus grave pour le pays que de maintenir en place les agrégats d’un système déliquescent accusé de tous les échecs pendant plus de 50 années ?

Les dernières semaines, qui ont vu l’arrestation de dizaines de manifestants et l’incompréhensible décision de s’attaquer à l’emblème amazigh ont été l’occasion d’ouvrir des fronts de trop. Les partis politiques qui ont perdu la main de la contestation politique ont, pour la plupart, brillé par leur silence et ont, probablement, affaibli leur capacité à penser une sortie de crise.

Cette dernière partie de votre réponse m’amène à la situation au FFS, un parti auquel vous appartenez politiquement. Cette formation est en proie à une crise interne aiguë. Deux groupes de militants se disputent actuellement le contrôle du parti. Que pensez-vous de cette situation ?

On ne peut pas cacher la vérité sur ce qui se passe au FFS depuis plusieurs mois. Même s’il a eu à affronter plusieurs crises depuis sa création, celle que le FFS traverse actuellement risque d’accélérer son effritement. J’ai, personnellement et à plusieurs reprises, attiré l’attention sur une aggravation de la situation, or les fractures et les passions ont atteint un niveau tel que la réconciliation est devenue chaque jour plus difficile, voire impossible.

Certains prétendent qu’il s’agit d’un conflit lié aux orientations stratégiques du parti, ce n’est plus le cas aujourd’hui ; nous assistons, en fait, à un véritable conflit pour une prise de pouvoir dont les enjeux dépassent la base militante. C’est pour cela que le débat est devenu pratiquement impossible, d’autant plus qu’il ne s’agit plus de joutes oratoires mais d’actes de violence verbale et physique inégalés.

C’est une situation qui est en train de ruiner le prestige d’un parti qui a, derrière lui, plus de 55 années de lutte pour la démocratie et pour un Etat de droit. L’occupation du siège national du FFS  et la création, maintenant, de structures parallèles, constituent une escalade jamais atteinte lors des conflits que le FFS a eu à gérer depuis 1989. On aurait pu s’attendre à ce que personne n’aille au-delà d’un tel niveau de rupture pour diviser le FFS, malheureusement ce n’est pas le cas et on a le sentiment que les passions ne sont plus contrôlées et ne laissent plus aucune place à un débat d’idées et à une réconciliation à venir.

Pourquoi le FFS est-il arrivé à cette situation ?

Certainement, au départ, pour un déficit de démocratie au niveau interne. Très vite sont apparus des appétits d’intérêts qu’on a voulu interpréter en conflits au niveau de la ligne politique. Or, les reproches qui avaient été faits, il y a deux années, à ce qu’on appelait «le courant Baloul», sont les mêmes que ceux qui sont adressés aujourd’hui, par ce même courant, à ce qu’on appelle le «courant Laskri».

C’est dire que nous sommes plus dans la surenchère au niveau critique que dans la réflexion politique. Surtout qu’on assiste depuis quelques semaines à un important réajustement stratégique de la part de la direction du FFS et, chose remarquable, à une intention de créer les conditions d’un rassemblement des forces du parti, comme l’indique la rencontre du premier secrétaire, Belahcel, avec plusieurs anciens cadres du FFS.

Je crois que s’est installé une sorte de dialogue de sourds et que la recherche de la prise de pouvoir a pris le dessus sur un consensus interne. Les différentes passes d’armes entre le FFS et ce qu’on doit maintenant nommer «FFS 2» montre qu’il y a eu une volonté jusqu’au-boutiste qui ne s’est pas souciée de l’intérêt du parti. Les crispations et la volonté d’en découdre, chez certains, ont été mauvaises conseillères.

Il ne faut cependant pas oublier que la majorité des militants est restée jusqu’ici silencieuse, mais qu’elle n’est pas dupe des enjeux qu’il y a derrière cette situation.

Effectivement, beaucoup de militants du FFS ont réagi à ce qui s’est passé, samedi dernier, au siège national du parti. Ils sont consternés. Ils se demandent comment remettre de l’ordre à l’intérieur de leur formation politique. Que faut-il faire, selon vous ?

Ce qui s’est passé samedi dernier au siège national du FFS a dépassé l’inacceptable. Voilà un siège national d’où la direction nationale a été exclue violemment, qui est devenu une sorte de forteresse où l’on prend des décisions qui créent un imbroglio qui ne permet ni aux militants, ni à l’opinion publique, ni à la presse de se retrouver.

C’est un FFS en miettes qu’on a restitué aux militants. Il est normal que s’exercent pleinement, au sein du FFS, la liberté de penser et la liberté d’expression, mais il faut faire attention à ce que l’on n’arrive pas à une neutralisation d’un parti aussi essentiel sur le terrain politique que le FFS, surtout au moment où le destin de notre pays est en jeu. Dans un tel contexte, il n’est pas facile de remettre de l’ordre sans accepter un débat positif et un consensus qui visent d’abord l’intérêt du parti. Le parti ne peut pas fonctionner avec un bicéphalisme teinté de violence et d’arrogance.

La raison serait de s’engager dans un retour aux décisions prises lors du congrès extraordinaire du 20 avril 2018. J’étais moi-même contre le déroulement et les conclusions de ce congrès, mais nous sommes arrivés à un point où c’était cela ou une fracture définitive du FFS et sa mise à mort. Il faut poursuivre les contacts déjà engagés, pour un large travail de réconciliation. Il faut enfin associer toutes les potentialités dont dispose le parti pour un congrès de réconciliation et de refondation.


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