Contribution de Saadeddine Kouidri – La corruption au service de l’amnésie



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Par Saadeddine Kouidri – Hier, le capitalisme qui domine le monde était dirigé par les patrons appelés en arabe les «dieux du travail» (arbâb al-‘amal). Aujourd’hui, il est dirigé par les patrons de la finance, «arbâb al-mâl». Les premiers s’inquiétaient plus lors des grèves des travailleurs et autres manifestations des citoyens car ils se souciaient de la production dans leurs usines, donc du travail et de tout mouvement qui ralentirait leurs activités. C’est de moins en moins le cas aujourd’hui. Les Présidents des pays occidentaux se soucient plus des «dieux de la finance» que du citoyen, puisque c’est eux qui le placent sur le starting-block pour le départ à la course aux élections. En Occident, les «dieux de la finance» désignent les candidats à la candidature présidentielle. En Chine, à Cuba, au Viêt-Nam, c’est le parti communiste qui s’en charge. En Egypte, en Algérie, c’est l’armée. Au Maroc, en Jordanie, c’est un héritage divin pour le roi et les princes pour les autres. Pourquoi donc ne pas qualifier le règne de l’argent ou celui des rois d’illégitimité permanente ? Pourquoi condamner l’un et pas l’autre ?

Tous les peuples aspirent à s’émanciper et luttent contre les freins de la bourgeoisie à leurs évolutions. Si tous les pays ont des difficultés socio-économiques de même nature mais à des degrés différents, ce n’est pas le cas sur la scène politique. Il semble que dans ce domaine, l’entrave principale est liée à l’histoire. C’est peut-être pour cela que des trois B, nous n’en sommes pas encore revenus. Rappelons que les trois B sont Krim Belkacem, Abdelhafid Boussouf et Lakhdar Ben Tobal. C’est sous la coupe de ces dirigeants de l’ALN/FLN que le GPRA, le premier Gouvernement provisoire de la République algérienne a été formé avec comme Président Ferhat Abbas, en septembre 1958, à Tunis. Celui-là même qui disait dans son discours au cinquième jour des manifestations de décembre 1960 : «Cette bataille doit maintenant prendre fin».

Pour résumer, nous disons que les dirigeants des nations sont des patrons civils, des patrons communistes, des patrons militaires ou des patrons royaux, alors que tous les peuples veulent être libres, c’est-à-dire jouir du libre arbitre dans ce qui les engage en tant que citoyen. C’est ce que fait le Hirak malgré tous les coups bas qu’il essuie et c’est pour cela qu’il n’a pas à répondre à l’offre du dialogue, car il n’est pas une alternative dans l’immédiat. Il est l’opposition politique qui doit se transformer à moyen ou long termes en alternative au système jusqu’à pouvoir accompagner un jour l’armée pour retourner à sa vocation.

La réaction adopte l’amnésie comme stratégie pour influer sur le Mouvement citoyen. Elle fait du slogan «yetnahaw gaâ» le changement du système et le transforme en changement des personnes. Elle opte pour la politique de «pousse-toi que je m’y mette» qui vise à changer le personnel et à ne pas changer le programme. Il est facile de comprendre ce stratagème puisque le pivot de la politique du Président déchu est la loi de la réconciliation qui a innocenté les terroristes-islamistes pour faire de l’un de ses chefs une personnalité nationale. Ils tentent de faire du Hirak un énième tremplin pour amnésier le peuple de leurs crimes et faire de l’ANP le coupable.

Quant aux partis politiques, surtout ceux qui adhéraient à cette infamie en étant dans le sérail de Bouteflika, ils introduisent leur programme et font croire qu’il est celui du Mouvement. Ceux qui reprochent au Hirak de n’avoir pas su dégager un programme, une direction, une alternative, oublient que Bouteflika, en sus de la loi de la réconciliation, a laminé le reste de la classe politique par mille et un subterfuges jusqu’à la rendre obsolète. Pourquoi ne répond-il pas de ses crimes ? C’est comme au temps de Chadli. On sait que le souffle à la terreur des années 90 est aussi dans la légitimation du FIS. Ce n’est pas au Président que certains demandent des comptes de cette entrave à la Constitution mais à un de ses ministres. Pour paraphraser un chef de parti, il est de notoriété publique que Chadli comme Bouteflika avaient «mis l’unité du pays en danger par les pratiques malsaines».

Du 22 février jusqu’à la destitution du Président le 2 avril, l’écrasante majorité du peuple sous la conduite de sa jeunesse avait vaincu la peur et le pouvoir. Avec six vendredis, la conscience populaire s’était élevée jusqu’à croire que c’est tout le système qui doit dégager et non son principal animateur seulement. Ce n’était pas l’avis de tout le monde et surtout pas celui de l’armée et de son chef d’état-major. Ceux et celles qui s’étaient contentés de la destitution du Président avaient comme raison principale la présence de l’armée aux côtés du peuple durant cette première étape et le refus d’aller plus loin.

La corruption et le mépris caractérisent la politique de Bouteflika. Cette corruption et ce mépris sont au service de l’amnésie, surtout celle de la réconciliation avec les islamistes, avec comme but de faire de l’Algérien un sujet, un croyant et lui faire perdre sa citoyenneté incarnée dans «yetnahaw gaâ», principal slogan du Hirak est synonyme de changement radical.

Ce dernier ne peut être entamé que par la dénonciation de la politique de Bouteflika et, en premier lieu, de sa «réconciliation». Officiellement, le FIS est interdit, cela ne l’empêche pas d’activer y compris au sein du Hirak ou ses slogans reviennent de plus en plus souvent, ou de l’extérieur, des capitales européennes où ses dirigeants ou sympathisants comme Mourad Dhina et Larbi Zitout du mouvement Rachad sont très actifs dans le Hirak. Ceux qui se soucient du Mouvement citoyen dont l’objectif est le changement doivent nous dire comment pouvoir changer en traînant le boulet de ceux qui utilisent l’islam à des fins politiques.

Le premier piège est cette invitation au dialogue adressée au Hirak et le second est celui d’avoir classé Bengrina deuxième aux élections présidentielles. Cela relève de la ruse digne des 3 B.

A leur 43e marche, les étudiants clamaient «Raïs m’zaouar djabouh el-‘askar» (Président fantoche ramené par les militaires). Quelle est le Président algérien qui ne l’a pas été ? Pour sortir de ce système, ce n’est donc pas en remettant en cause tout ce qui a été fait depuis l’indépendance comme la réaction tente de le faire, mais de condamner la spoliation du peuple de son droit à choisir librement son Président.

Les arrestations des manifestants par la police et la diabolisation du Hirak par les médias du pouvoir sont des signes négatifs qui doivent être condamnés par Tebboune s’il veut se faire écouter.

Quand Sofiane Djilali affirme dans sa conférence de presse, ce mardi 17 décembre, que l’unité (du pays) a été mise en danger par les pratiques malsaines, ne justifie- t-il pas toute l’activité de Gaïd-Salah sur cette période transitoire puisque l’ANP est garante de l’unité du pays ? Il s’avère que c’est toujours le cas depuis 1963, sauf lors du renouvellement des mandats présidentiels.

Il faut rappeler que l’enjeu principal du Hirak est la liberté. La liberté est un besoin naturel pour l’Homme. On peut, dans ce cas, parler d’une revendication populaire au-dessus des intérêts de classe qui concerne donc tout le peuple. Spolier un homme de son choix politique pendant vingt ans, c’est abîmer sa liberté. Certes, la pleine liberté n’existe pas encore, mais il est naturel de lutter pour lever les entraves qui nous enserrent jusqu’à y parvenir.

La liberté exige l’autonomie. Les philosophies et les religions parlent de la liberté mais aucune ne donne le processus de l’autonomisation. Pourquoi ? Parce que le processus va à l’encontre de l’idéologie libérale et prouve que seule l’option socialiste permet en chemin la liberté, contrairement à ce que nous serine les idéologues de la bourgeoisie et leur médias à longueur de journées.

En attendant, nous considérons que nous sommes en transition où l’ANP est la première institution de la République, à l’instar de la finance dans les pays occidentaux ou du parti communiste en Chine, à Cuba.

Certains veulent nous acculer à la dissidence et à la désobéissance, alors que nous clamons depuis des mois que nous sommes un Mouvement qui n’a comme force que le nombre et la paix. Ils épousent la thèse du FIS tout en la dénonçant. La thèse qui laisse croire que seule l’ANP est coupable du malheur du peuple algérien.

Le 12 décembre n’a pas été un vote truqué comme il a été dit par beaucoup et surtout dans la presse étrangère, mais le vote du système ou les votants sont les «obligés» et le 22 Février est un soulèvement de citoyens qui refusaient d’être soumis, d’être des obligés. L’enjeu est entre celles et ceux qui acceptent de courber l’échine et la majorité du peuple qui ne veut plus ni l’armée ni les islamistes mais la liberté. Certains considèrent l’islamisme comme une opinion, une politique ; ils considèrent donc que le fascisme est une politique et, dans ce cas, leurs analyses sont obsolètes – c’est le moins que l’on puisse dire. L’Algérie, à l’instar de tous les pays où l’islam est religion de l’Etat, ne s’en sortira que le jour ou l’islamisme sera condamné au même titre que le fascisme, le colonialisme, le sionisme, etc. Le Mouvement citoyen du 22 Février y participe grandement et il ne s’arrêtera que lorsque les deux tenailles à sa liberté que sont l’armée et l’islamisme seront démasqués autant l’un que l’autre. C’est ce que nous appelions dans les années 90 la «double rupture».

Pour la bourgeoisie, les partis politiques et leurs syndicats ne sont que les hiéroglyphes des temps modernes puisqu’ils ont de l’argent pour corrompre leurs obligés, alors que le peuple n’a comme force que le nombre qui ne peut être évalué et renforcé qu’en s’organisant.

La réaction et les inconscients veulent nous faire croire que le principal reproche à faire au clan est la corruption. Il ne leur vient pas à l’idée de se poser la question : la corruption, dans quel but ? La corruption n’est qu’un outil, le but de Bouteflika et de son clan est de faire de l’Algérien un sujet.

Mon ami Mokhtar Sellami était pour le vote et considère le 12 décembre comme une victoire. Il était donc fier ce jeudi pour me narguer à Haouch-Gros, à l’occasion de la cérémonie où nous étions présents en grand nombre de camarades venus d’Annaba, d’Oran, d’Alger pour nous recueillir sur la tombe de son frère aîné Mohamed, mon camarade, chef des Patriotes à Boufarik. Un instant plus tard, il prit la parole pour dire lors du recueillement : «Nous exigeons la reconnaissance de notre statut de Patriote par l’Etat !» Que penser quand on sait que cette demande a été adressée à qui de droit depuis plus de deux décennies par des milliers de Patriotes ? Il ne lui vient pas à l’idée que les Patriotes ne seront reconnus et respectés que sous l’autorité de la deuxième République, celle du Hirak !

S. K.

 


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