Haftar fait défection à Moscou

La conférence de Berlin sur la Libye compromise ?



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Le refus du maréchal Khelifa Haftar de signer le cessez-le-feu à Moscou porterait un coup dur aux tractations qui auront lieu à la conférence internationale de Berlin sur la Libye.
Prévue dimanche prochain, cette conférence doit pérenniser une stratégie de sortie de crise pour ce pays aux prises à la violence depuis l'attaque atlantiste contre la Jamahiriya du colonel Kadhafi en 2011. Les tractations vont bon train pour sortir de l'impasse dans laquelle le patron de l'Armée nationale libyenne a mis tous les protagonistes de ce conflit ainsi que les médiateurs, à leur tête l'Algérie, l'Allemagne et l'Italie.
A Moscou, où devrait se dérouler la cérémonie de signature du cessez-le-feu en présence de président du Gouvernement national libyen (GNA), Fayez al-Sarradj et le chef de l'Armée nationale libyenne (ANL), Khalifa Haftar, on se refuse de parler d'un échec. Haftar qui a fait volte-face en demandant d'abord quelques heures pour étudier l'accord proposé, aurait essuyé un refus net des tribus libyennes qui le soutiennent. L'argument de ces dernières : pas questions de stopper l'offensive sur Tripoli. Les Turcs, co-parrains avec les Russes de l'accord, crient au scandale, les Russes demandent plus de temps pour Haftar.
Selon le Kremlin, le maréchal autoproclamé, qui tente sans succès depuis neuf mois de prendre la capitale Tripoli par les armes, aurait besoin de « deux jours » supplémentaires pour étudier le document et en discuter avec les tribus qui lui sont alliées. Fayez al-Sarradj, le chef du GNA, l'a lui signé lundi soir.
« Le principal résultat de la réunion a été la conclusion d'un accord de principe entre les belligérants pour maintenir et prolonger indéfiniment la cessation des hostilités », a affirmé le ministère russe de la Défense. Et le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov a assuré poursuivre les « efforts » avec Ankara en vue d'un accord formel.
Le ministère des Affaires étrangères du GNA a de son côté indiqué sur sa page Facebook que « la Russie nous informés qu'elle exerçait des pressions sur Haftar pour signer l'accord de cessez-le-feu ». Les rivaux libyens ne se sont pas rencontrés lundi lors des pourparlers à Moscou, mais ont négocié via les ministres russes et turcs de la Défense et des Affaires étrangères.
Une trêve est en vigueur depuis dimanche à la suite d'une initiative le 8 janvier du président russe Vladimir Poutine et de son homologue turc Recep Tayip Erdogan, mais ses modalités devaient être signées formellement à Moscou. Ce co-parrainage russo-turc intervient à la suite des discussions diplomatiques à Alger entre les autorités algériennes et de nombreuses délégations libyennes à leur tête al-Sarradj et un représentant de Haftar, chacun de son côté, ainsi qu'avec les chefs de la diplomatie turque, italienne et égyptienne.
Ce coup de théâtre de Haftar risque non seulement de brouiller les cartes, mais surtout d'hypothéquer l'avenir de la paix et la stabilité dans la région. Un consensus s'est dégagé autour de l'option d'une stabilisation de la Libye avec l'émergence d'un bloc de pays réalistes autour de l'Algérie, l'Italie et l'Allemagne afin de mettre fin, par les moyens diplomatiques, au chaos libyen. La Russie et la Turquie, dont les intérêts énergétiques sont grands en Libye tentent de pousser vers un statu quo négocié qui prenne en considération leurs intérêts respectifs. Ce qui n'a pas été du gout des autres protagonistes de l'affaire libyenne.
D'ailleurs, selon des analystes, l'existence d'un accord secret entre Ankara et Moscou incommodant Khalifa Haftar et ses soutiens n'est pas à exclure. « Les deux pays pourraient avoir un accord ‘sous la table' pour une éventuelle recomposition politique en Libye » favorisant une influence accrue d'Ankara et de Moscou, relève Claudia Gazzini, de l'International Crisis Group (ICG). Hormis des gains géopolitiques sur ses rivaux et un accès privilégié au pétrole libyen, la Russie espère y retrouver un marché pour ses armes et son blé. La Turquie a aussi des visées énergétiques, à la faveur d'un accord signé avec le GNA, un accord décrié par l'Egypte, la Grèce, Chypre et Israël.
Côté libyen, le prix de la campagne de Haftar pourrait s'avérer « très élevé » pour le lui, a fait valoir Federica Saini Fasanotti, de la Brookings Institution. Au moment de signer la paix, celui-ci « est redevable des pays étrangers qui l'ont soutenu, et surtout des habitants de la Cyrénaïque », la partie orientale du pays, avance-t-elle. « Les familles cyrénaïques qui ont perdu leurs enfants dans cette guerre attendent une réponse claire de Haftar qui ne peut terminer son aventure que par la victoire, du moins sur le papier », argue l'experte. « Sans cela, il lui sera très difficile de retourner » dans l'Est, note-t-elle.
Ainsi mêlée, la logique tribale et les considérations géopolitiques semblent compliquer davantage l'équation libyenne. Pour Alger, il est plus que jamais nécessaire, sinon vital, d'imposer un statu quo sur le terrain avant l'entame d'une négociation inter-libyenne inclusive. Haftar honorera-t-il son engagement au bout des 48h qu'il a demandé aux Russes. En tout cas, la conférence de Berlin sera riche en enseignements à propos de l'avenir négocié des acteurs du chaos libyen.


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