Les radotages de l’oracle Kamel Daoud (I)



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Par Nouara Bouzidi – Kamel Daoud se demande dans sa dernière tribune : «Où en est le rêve algérien ?» Réponse : nulle part, Monsieur l’écrivain. Dieu merci. Il n’y a pas de rêve algérien, il y a l’Algérie, son peuple et la vie. Il n’y a pas de roman national non plus – nous laissons cela à d’autres. Par contre, l’histoire algérienne, elle, existe. Elle est réelle et nous la voulons factuelle et non romancée. La littérature, c’est très beau, il ne sera jamais dit le contraire. Mais la vie, la vraie vie, est meilleure encore : elle est le champ de l’incarnation, de la relation, de la pensée, de la décision et de l’action.

«Camus continue de nous parler»(1) dit Kamel Daoud. Le peuple algérien, lui aussi, continue de parler. Il est vivant, il est présent : ici et maintenant. C’est tout un peuple qui s’est levé pour rappeler les fondamentaux nationaux : l’Algérie est au-dessus de tous les Algériens, surtout des prévaricateurs qui ont fait main basse sur nos richesses nationales, qui ont détourné nos institutions et usé de discours idéologiques pour diviser les Algériens entre eux. Camus n’a jamais fait cela, et n’a jamais rien fait pour cela. Le peuple algérien l’expérimente – de nouveau.

L’ALN serait «un mythe fondateur avec une mystique de protection». Kamel Daoud ignore que le bavardage n’est pas encore interdit, pas même le sien, qu’il est encore gratuit de dire des bêtises avec un ton intellectuel et des lacunes tout aussi intellectuelles. Pour autant, le négationnisme et le révisionnisme de Kamel Daoud concernant l’ALN n’impressionneront personne. Sa mystique d’écrivain en vogue ne nous intimidera pas non plus. Il semble très chagriné que le Hirak soit aussi le moment où soient clairement mentionnées les tentatives d’intrusion et d’interférence de la France dans notre pays – et de nombreux autres. Or, ce sont des faits tangibles, connus de tous. Le mentionner serait dangereux ? Pour nous, pour lui ou pour la France ? Ce n’est pas parce que des personnalités ont utilisé l’ALN, puis l’ANP, pour leurs desseins personnels que la protection de notre armée serait un mythe. Ce sont de vrais hommes et de vraies femmes qui se sont engagés et qui continuent à s’engager. Ce sont de vrais sacrifices de temps et de dévouements pour le droit et pour la défense. Ce sont de vraies causes (lutte contre le colonialisme puis contre le terrorisme). Ce sont de vrais combats. Ce sont de vraies réalités historiques.

Personne n’a le droit de minimiser, ridiculiser, juger ce peuple et ce pays, même avec la figure de Camus ou de toute autre personnalité pour faire valoir sa hauteur. La prétention livresque de Kamel Daoud commence à devenir arrogante, suffisante, vaniteuse, quand elle n’est pas seulement lacunaire. Il devrait redescendre sur terre et reprendre contact avec la réalité.

Faut-il porter du crédit à la sentence pusillanime de Kamel Daoud selon laquelle l’extraordinaire Mouvement populaire algérien de réappropriation citoyenne et patriotique, appelé Hirak, aurait échoué ? Ce serait donner crédit à une personne qui écrit de plus en plus pour se complaire(2) dans un rôle et pour plaire au public de ses employeurs. Mais nous concernant, nous Algériens lambda, il nous est aussi stérile qu’une panse de chèvre non séchée. Nous ne pouvons rien en goûter, rien en tirer, rien n’y comprendre. Il a pris l’habitude de nous tirer le portrait sans que nous ne répondions, sans que nous ne lui disions de se ressaisir. Il est manifestement incapable d’être juste, raisonnable et sensé à notre égard et à l’égard de notre pays. Il faut le lire pour le contredire, le ridiculiser et montrer ainsi que les Algériens ne sont pas ce qu’il prétend, mais ce qu’il imagine.

Notre écrivain national a visiblement de lourds comptes personnels à régler avec les choix passés de sa vie – au lieu de les assumer dans le secret de ses confrontations intimes personnelles avec lui-même. Evidemment que les Algériens ne sont pas parfaits, ils n’ont d’ailleurs jamais postulé à la candidature farfelue d’être un peuple parfait, unique, supérieur au-dessus de tous les autres peuples. C’est un peuple qui fait ses propres expériences, accomplit sa propre évolution, avec ses caractéristiques propres et non à la demande de je-ne-sais quel milieu germanopratin. Mais cela Kamel Daoud l’oublie : il a besoin de se défouler. Il a besoin de se trouver un bouc-émissaire qui devrait supporter, sans rien dire, sa colère et son amertume accumulées, son malaise identitaire et sa honte de devoir être identifié à un peuple «ingérable», au prétexte que celui-ci ne soit pas parfait au sens où il l’attend et le demande. Ni comme le souhaiteraient ses employeurs. Que l’on soit clair : Kamel Daoud n’est le dieu de personne, ni le gouverneur de l’Algérie. Personne en Algérie ne lui a donné la mission de pouvoir parler de ce que nous sommes. A Paris, oui. Ici, non. Tous ceux qui passent par les tribunes de Kamel Daoud pour comprendre l’Algérie et les Algériens sont simplement des personnes frappées de paresse intellectuelle. Inutile de se justifier, ils peuvent rester entre eux, bavasser sur le peuple qu’ils ne peuvent pas comprendre et qu’ils ne veulent pas un jour devoir respecter. C’est leur obsession, nullement la nôtre.

Kamel Daoud pourra attendre longtemps avant de croire qu’il pourra parler de nous, à peu de frais, avec mépris savant et majesté volée. Il n’est qu’un homme, lui aussi, et le fait d’être un homme de plume, même reconnu par un prix littéraire français ou mondialement reconnu, ne justifie en rien l’arrogance, le magistère moral et la préciosité qu’il réserve inlassablement, dans ses chroniques, à l’Algérie et au peuple algérien. Notre écrivain a adopté, par mimétisme et par confort, les lunettes du milieu qui l’emploie et il ne peut voir la réalité algérienne pour ce qu’elle est, mais tel que le filtre mental de ses lecteurs outre-Algérie veulent la percevoir. Les sciences cognitives connaissent cette insuffisance : Kamel Daoud a un biais cognitif. Il prend cela pour de la pensée libre, quand ce ne sont que ses ruminations. Cela lui permet d’alimenter ses marottes et de vendre un article en diffamant un peuple à peu de frais. Il est à craindre que cela soit incurable : il prétend sonder tous nos reins alors qu’il lui faudrait d’abord savoir s’analyser lui-même.

Troublé et outré par des présidences pitoyables (prédation, oligarchie croissante, viol de la Constitution, mise en danger de ses richesses nationales au service de pays étrangers), déçu de cet abus de confiance, voilà un peuple qui sort massivement pour objecter contre une présidence insolente, incompétente et voleuse. Ce peuple sort chaque semaine, depuis près d’un an, toutes régions confondues, toutes générations confondues, toutes obédiences confondues, femmes et hommes, hommes de culture et ouvriers, journalistes et grands-parents, avocats et enfants. Il renoue avec sa joie d’être et fait le pari de la réappropriation pacifique de sa personnalité culturelle et de sa citoyenneté. Ce peuple, malgré toutes les difficultés, est méritant, responsable, conscient et si radieux. Kamel Daoud le méprise ? Nous, nous l’admirons.

Le peuple algérien renoue avec son lui-même, il veut que son pays ne soit à la botte de personne : ni d’un autocrate narcissique qui défie le temps et la mesure, ni d’oligarques locaux aux accointances obscures et aux richesses troublantes, ni de princes pétroliers déjà exercés à détruire leurs pays voisins, ni de la France capable de (néo)colonisation et toujours aussi inapte à en saisir la criminalité, ni d’un écrivain algérien renommé mais visiblement sous influence.

Ainsi, le Hirak du peuple algérien aurait échoué ? Vraiment ? Il y a décidément des problèmes de sémantique usuelle et de perceptions qui s’accumulent – à moins que ce ne soit volontaire. Echecs et réussites n’ont pas la même signification que l’on soit du côté des demandes populaires algériennes ou du côté de l’écrivain qui écrit mais réfléchit bancalement.

Puisque l’humeur dépressive peut être parfois contagieuse, tâchons de nous sortir de l’influence de ceux qui aimeraient constamment nous critiquer quand nous cherchons à avancer, mais nous dissuader, voire nous désespérer quand nous posons des décisions majeures pour notre souveraineté. Ces dépressifs passent leur temps à commenter les actions des autres, mais eux ne font rien. Radicalement rien. Pire : ils engrangent la monnaie, probablement trébuchante, de leurs articles pour vilipender un peuple qu’ils regardent de haut. En échange, ils espèrent recevoir l’obole «esprit brillant» du XXIe siècle.

Le milieu littéraire et journalistique parisien qui se pâme devant les élucubrations de Kamel Daoud est une caste de privilégiés qui fabrique de l’opinion publique hors du sens de la réalité. Le journal de notre écrivain national s’est pourtant montré bien incapable de prendre ses responsabilités quand un criminel en série, un pédocriminel vorace dissimulé derrière le voile des mystères de la Littérature et de l’Art – le dénommé Gabriel Matzneff – se vantait publiquement, sans gêne, sans sens de l’altérité, pendant plus de 40 ans, de ses rapts sexuels d’enfants de 8 à 13 ans. Infâme est la littérature qui couve les crimes, infamants est le lecteur et l’édition qui s’extasient devant son style quand ce sont des êtres de chair qui ont dû vivre le calvaire des traumatismes de tels viols, à un âge si jeune. Il était un écrivain, dit-on, c’est-à-dire, en fait, quelqu’un qui noircit du papier au lendemain de ses crimes. Restons-en là, le sujet est immonde. La joie de vivre est importante, surtout quand elle ne se fait jamais aux dépens des malheurs d’autrui.

La mondanité est pour nous le propre des esprits suffisants et puérils. Le cadre de Bouteflika a été remis à sa place, ce n’est certainement pas pour «se laisser rouler» par le postulat que tout écrivain serait un prophète des temps post-modernes ou que sa parole serait si importante que nous devions l’écouter religieusement, avec contrition. Le jour où Kamel Daoud critiquera – par goût de la vraie pensée, libre, radicale, affranchie, sans conflit d’intérêts – ses employeurs, leurs croyances dites philosophiques, leurs convictions idéologiques, leurs actions politiques mais surtout leurs conséquences, ce jour-là, il pourra comprendre ce que réfléchir à contre-courant veut dire.

B.

(Suivra)

(1) Il faut dire que Kamel Daoud a de sérieuses difficultés avec la réalité historique. Albert Camus n’a jamais été algérien. Les mots ont un sens : Camus était un pied-noir, un descendant de colons. Les colons, méchants ou gentils, sont des colons, c’est-à-dire des personnes qui disposent du droit [sic] de vivre en Algérie par décision coloniale et non par accueil des habitants originels du pays. Albert est un immense écrivain, dont l’arrière-plan idéologique est «colonialiste». Cela n’enlève rien à son immense talent, mais mentir à ce point est de l’imposture. Frantz Fanon, lui, est un Algérien, car il a choisi de l’être, a combattu pour le droit des Algériens. Les faits sont là : tout le monde parle de Camus, pas de Frantz Fanon. Camus est encensé malgré ses défaillances politiques (le droit et la justice pour les Algériens n’ont pas fait partie de ses priorités, car il ne le voulait tout simplement pas considérer les Algériens comme les égaux des colons.). Mais Frantz Fanon est oublié – à dessein, ne soyons pas naïfs – et n’est toujours pas reconnu à sa juste valeur. L’édition fait aussi de la politique ; dire le contraire, c’est travestir la réalité, c’est mentir.

(2) Le pauvre écrivain incompris de ses contemporains est une posture mondaine excellente pour être au-dessus de la mêlée. Par ailleurs, le magistère moral est un luxe convoité, car il favorise le jugement de l’action des autres. C’est une pratique fréquente chez les personnes qui n’ont jamais interrogé leur propre responsabilité dans leurs blessures personnelles et dans leurs représentations mentales. Le danger concret de cette pratique, lorsqu’elle est trop usitée, est l’aigreur.

 


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