Impôt sur la fortune

L’obstacle de «l’informel»



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Comment exiger de la transparence aux détenteurs de biens dans une économie gangrenée par l’informel ? Comment s’attaquer à la question des signes extérieurs de richesses (yachts et grosses cylindrées figurent sur la liste des biens imposables), lorsque les structures des services fiscaux censés mener à bien les enquêtes sont dépourvues de moyens ? Plusieurs questions s’imposent.

Mesure d’équité fiscale et sociale ou simple et récurrente décision populiste ? Le gouvernement affiche  une volonté ferme de renforcer les «impôts» sur les grosses fortunes du pays, dévoilant, à travers les déclarations des responsables de la Direction générale des impôts,  quelques pans de leur plan d’action.

Dernière mesure en date : le lancement d’un recensement de fortunes, assujetties à l’impôt sur le patrimoine. Dès lors, plusieurs questions s’imposent : comment exiger de la transparence aux détenteurs de biens dans une économie gangrenée par l’informel ?

Comment s’attaquer à la question des signes extérieurs de richesses (yachts et grosses cylindrées figurent sur la liste des biens imposables), lorsque les structures des services fiscaux censés mener à bien les enquêtes sont dépourvues de moyens ? Comment éviter la double imposition pour des opérateurs activant dans le secteur formel, tandis que d’autres s’en sortent avec des moyens peu vertueux ?

Si l’intention est louable, la mise en place de ce plan d’action exige qu’il soit accompagné d’une politique d’assainissement du secteur économique et de l’administration Dz en conformité avec la réalité du terrain.

Dans les faits, la mesure en question contraint les redevables de souscrire, annuellement, (au plus tard le 31 mars) une déclaration de leurs biens auprès de l’inspection des impôts de leurs biens immobiliers bâtis et non bâtis. La loi de finances 2020 prévoit une imposition au taux de 1/1000 pour les biens dont la valeur dépasse les 100 millions de dinars.

En plus de ces biens, quelques autres éléments du patrimoine ont été ajoutés à la liste, tels que les véhicule automobiles particuliers d’une cylindrée supérieure à 2000 cm3 (essence) et de 2200 cm3 (gazoil), les motocycles d’une cylindrée supérieure à 250 cm3, les yachts et les bateaux de plaisance, les avions de tourisme, les chevaux de course, les objets d’art et les tableaux de valeur estimés à plus de 500 000 DA, les meubles meublants, les bijoux et pierreries, or ou métaux précieux.

La répartition de l’impôt sur le patrimoine est fixée comme suit : 70% au budget de l’Etat et 30% aux budgets communaux. La Direction générale des impôts multiplie, par la voix de ses responsables, les déclarations en faveur de plus de «transparence» et «d’équité» et de «compréhension» du  code général des impôts.

Cela aurait été révolutionnaire, si l’on ne savait pas que ledit impôt n’avait pas été inefficace, faute de volonté politique. Car il faut savoir que depuis sa mise en place en 1993, l’impôt sur le patrimoine a connu plusieurs péripéties, sans jamais prouver son efficacité ou son rendement. Les recettes sont restées désespérément faibles, Dénonçant ces défaillances, les experts fustigeaient la non- implication des agents du fisc dans le suivi de cet impôt, l’absence de recensement ainsi que le manque de moyens humains et matériels.

Autant de facteurs que les responsables de la DGI promettent aujourd’hui de corriger. Le Directeur général des impôts, Kamel Aissani, a fait état de la mobilisation de moyens techniques modernes pour le recensement des fortunes, déclarant s’atteler «dans les jours à venir à arrêter les modalités de recensement des fortunes» et de mettre en place un nouveau système informatique centralisant toutes les informations sur les biens au niveau national, permettant ainsi de les classer à travers des algorithmes pour définir les assujettis à cet impôt, avant d’établir un fichier national des patrimoines.

Dans l’histoire tumultueuse de l’impôt sur le patrimoine, il est à noter la volte-face de l’APN sur cette question, dans le cadre des propositions d’amendements relatives au projet de la loi de finances de 2018,  demandant à supprimer la disposition relative à l’imposition d’un impôt sur la fortune afin d’«éviter une fuite des capitaux vers le circuit informel».

La commission avait alors expliqué qu’«il était très difficile d’appliquer cet impôt sur la fortune du fait du faible niveau de digitalisation au niveau des services des finances, ce qui rendait très compliqués l’identification et le recensement des fortunes». La commission des finances justifiait ce refus par le fait qu’un tel impôt aurait constitué une «double imposition» du fait que les personnes activant dans le secteur formel sont déjà soumises à plusieurs impôts et taxes, avait argué la commission.

Dans le communiqué des services du Premier ministre, avant l’adoption de la loi de finances, le renforcement de l’impôt sur le patrimoine était justifié par la volonté d’«assurer une meilleure répartition des charges fiscales entre les citoyens». C’est là le fond de la question : l’instauration de l’impôt sur la fortune (qui ne dirait pas son nom) a une portée symbolique dépassant celle de la rentabilité.


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