Contribution – Les élites désertent le Hirak et fuient leurs responsabilités



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Par Boudjema Tirchi – La Révolution du 22 Février ressemble à une tempête de pluies abondantes venues après une trop longue période de sècheresse ardente. Quarante jours avaient suffi pour ébranler le système trop sûr de lui, en l’obligeant à se séparer de son chef tant idolâtré. Depuis, c’est la stagnation. La preuve : après onze mois d’une admirable mobilisation, le bilan paraît maigrichon. Au lieu d’innover, le Hirak s’endormit sur ses lauriers en se contentant de la routine des marches des vendredis et des mardis. Certes, les manifestants font admirablement leur devoir de citoyens responsables en délaissant leurs occupations pour se mettre au service de la nation. Il en est autrement des élites qui ont déserté leurs postes pour se mettre sur la touche. Pourtant, c’est dans les moments d’obscurité que les porteurs de lumières sont utiles pour éclairer le chemin de leurs sociétés. En agissant ainsi, ils ont fui leurs responsabilités en laissant le Hirak naviguer à vue : but flou, plan inexistant, ignorance des effets du temps, de la synergie et de l’énergie d’attraction, pas de représentants, etc. Pourquoi nos leaders et nos intellectuels ont-ils brillé par leur absence alors que notre pays se trouve dans une forte turbulence ?

Cette démission des élites pourrait provenir de plusieurs causes : faiblesse de l’enseignement ; système politique favorisant la médiocrité et la soumission ainsi que notre culture qui souffre terriblement du complexe du père, voire de celle du grand frère. En effet, le soulèvement fut déclenché par la base en s’affranchissant de la tutelle des leaders dans le but de mettre fin au pouvoir arbitraire («tuer le père »). Dès qu’une personne connue tente d’émerger du lot, elle est aussitôt rejetée en la suspectant de vouloir prendre la tête de la révolution. Les élites acceptèrent leur «castration» en rentrant sagement dans les rangs au lieu d’être à l’avant-garde du Mouvement. Même les vieux briscards du combat pour la démocratie furent saisis de ce complexe d’infériorité en étant terrorisés par la base, oubliant même leur long combat passé. Certes, des propositions individuelles foisonnent dans la presse, mais elles émanent du cerveau et non pas du cœur. Cette attitude ressemble à celle des donneurs de leçons qui ne font que témoigner à leur nombril une grande admiration. L’auteur de ces lignes en faisait partie : après le bide provoqué par «Sept résolutions pour faire triompher la Révolution du sourire», publié le 1er octobre 2019 par AP, il supprima les trois quarts de ses amis sur Facebook, en décidant d’abandonner le combat politique pour se consacrer à la rédaction de son nouveau livre.

Quant aux leaders reconnus, ils avaient négligé d’unir leurs moyens afin d’être plus performants : ils ont préféré jouer en solo et beaucoup d’entre eux se sont retrouvés en prison. Les deux arguments avancés par les adversaires de la structuration sont «l’aârouch» et le risque d’arrestation. Le premier argument est un exemple à ne pas suivre : moyens de lutte violents ayant coûté la vie à plus de cent vingt innocents ; attaquer une institution (Gendarmerie) au lieu de dénoncer ses membres ripoux ; mouvement régional avec des revendications nationales ; rejet du dialogue : «La plateforme d’El-Ksar est scellée et non négociable» ; jeter toutes ses troupes dans la gueule du loup, à Alger ; certains chefs se sont, paraît-il, fait acheter ; accouchement du mouvement séparatiste de Ferhat M’henni ; etc. En tout point de vue, le soulèvement noir de 2001 est désastreux, contrairement au Printemps berbère de 1980 qui était fructueux. Quant au second argument, qu’on active seul ou en équipe, le risque est kif-kif. Alors, unifions nos rangs et allons en prison en laissant derrière nous une magnifique organisation. Après tout, que vaut la perte de notre liberté, comparée aux atrocités subies par nos aînés pour recouvrer notre souveraineté ? En revanche, la désorganisation est dangereuse pour le Hirak et notre pays, car c’est la porte ouverte aux manipulations et à l’anarchie. Cette situation favorise également les adversaires du changement qui ont profité de notre inertie.

Le Système se régénère progressivement, surtout depuis sa victoire du 12 décembre dernier. Après la formation du gouvernement, le nouveau Président semble vouloir instaurer une nouvelle République qui prône l’union du peuple algérien et l’apaisement. Mais, pourra-t-on faire du neuf avec du vieux en sachant qu’il est difficile de changer de comportement ? N’est-il pas celui qu’il y a peu de temps jurait publiquement par Dieu qu’il n’appliquerait que le programme de «fakhamatouhou» ? N’appartient-il pas à un régime dont des membres irresponsables favorisaient la haine régionale contre la Kabylie, en étant passibles de la CPI ? D’autant plus que le pouvoir de l’ombre est toujours à l’affut. Mais laissons-lui le bénéfice du doute car, au crépuscule de sa vie, il pourra entrer dans l’histoire par la grande porte, en répondant favorablement aux aspirations de ses compatriotes. Tout d’abord, il doit montrer des signes d’apaisement en libérant les détenus d’opinion, les moyens d’information ainsi que les droits de réunion et de manifestation. Ensuite, mettre fin à la privatisation des richesses de la collectivité qui a atteint tous les segments de la société : chacun monnaie le secteur dont il a la responsabilité. Voici un exemple concret : après deux décennies de gestion d’une APC par un parti, le candidat de l’opposition est élu. Celui-ci découvre avec étonnement qu’un chef de service avait le «grade» d’éboueur, car c’est le poste budgétaire le mieux rémunéré. En revanche, les vrais éboueurs avaient le statut de «manœuvres» : comme on le voit, chacun détourne ce qu’il peut à son profit au détriment de la collectivité. Nous devons tous appliquer le slogan des sages du Hirak : «Netrabaw gaâ» (nous nous éduquons tous).

En effet, nous devons tous changer de comportements si nous voulions instaurer une société moderne, juste et performante, car les protagonistes cités plus haut n’appartiennent pas au FLN et RND, mais au FFS et au RCD ; l’action ne s’était pas déroulée dans un coin perdu de l’Algérie, mais dans une région censée être à la pointe de la démocratie : la Kabylie. Comme on le voit, le vers est vraiment dans le fruit et il est temps de l’extirper avant que notre pays n’ait sombré. Les patriotes de tous les bords doivent se mobiliser pour mettre fin à cette déchéance qui a trop duré. L’union de tous les Algériens doit être forte car le bruit de bottes est déjà à nos portes, en Libye. Pour atteindre cet objectif, le Hirak doit faire un bilan pour revoir ses plans.

Après trois mois d’absence, le vendredi 27 décembre, retour à Audin pour se replonger dans l’ambiance : celle-ci avait quelque peu changé avec davantage de négativité dans les slogans et moins de «silmiya» et de poésie. Il est vrai que le pouvoir avait fait preuve d’une féroce agressivité, en essayant de diviser les Algériens en se servant des moyens de la collectivité, dont celle de l’ENTV. Cette stratégie suicidaire pour le pays semble terminée. Faisons preuve de bonne volonté en mettant de l’eau dans notre… thé.

Commençons par le Hirak qui doit bannir de ses slogans tout ce qui porte atteinte à la dignité des personnes ou des institutions car la non-violence débute dans nos pensées, puis dans nos paroles et, enfin, dans nos actes. Pour ceux qui contestent la légitimité du nouveau Président, il est utile de leur rappeler que dans toutes les démocraties du monde, seules les voix des votants comptent, quel que soit le score : les non-votants, dont je fais partie, n’ont plus qu’à accepter le verdict. Nous sommes les seules responsables de cette manche perdue, car nous n’avons récolté que ce que nous avons semé, le négativisme : pas d’organisation, ni de chefs ; «makanch», «oulach» les «3 B», el vot, esmah, le dialogue, etc. Le changement doit débuter par notre slogan phare, «Yatnahaw gaâ» (ils partent tous) qui ne veut rien dire. A la place, nous devons désigner les femmes et les hommes patriotes, intègres et compétents qui seront les futurs dirigeants. Au lieu de raisonner par la négativité et la défensive, nous devons opter pour l’optimisme et l’offensive : ne plus pleurnicher sur le verre à moitié vide, mais voir le verre à moitié plein et agir pour le remplir jusqu’à la victoire finale. Certes, nous avons perdu une manche, mais pas la partie, car d’autres élections sont en vue et puis le Président n’est pas élu à vie.

Durant les deux mois de retrait de la politique (sans journaux, ni télévision), découverte des penseurs de génie (Napoléon Hill, Stephen Covey, Deepak Chopra, Eckhart Tolle, Joe Dispenza…) avec des idées phares (but clair, plan d’action, cerveau collectif, loi de l’attraction, puissance du cœur, etc.). Certains trouvent même une parenté avec la physique quantique : «Là où va l’attention, c’est là que va l’énergie vitale.» Ces théories ne sont pas nouvelles, puisqu’elles furent utilisées lors de notre grandiose Révolution : six hommes dépourvus de notoriété, diplômes, argent et troupes se dressèrent victorieusement contre la quatrième puissance mondiale d’alors. Ils avaient un but clair (l’indépendance), un plan d’action, un cerveau collectif (direction collégiale) et un amour du peuple et de la patrie (se sacrifier au péril de sa vie). C’est là que nous devons puiser des forces pour redresser la situation.

Définition du Hirak : à première vue, il semble être un mouvement civilisateur qui prône la gestion performante et équitable des ressources de l’Etat au profit de tous les Algériens, quelle que soit leur idéologie. Pour cela, il ne pourra pas devenir un parti politique, sauf si une tendance opère un putsch au détriment d’autres sensibilités. En revanche, on pourra décerner un label aux partis politiques qui se conforment à cette philosophie.

Structuration : c’est un débat qui n’est pas du ressort d’un seul individu, c’est pour cela que les leaders d’opinion et les intellectuels, sortis par milliers de nos universités, doivent se concerter pour créer des brain-trusts du Hirak dans tous les domaines de la vie (politique, économie, art, sport, etc.) afin de réfléchir et faire des propositions à la base pour les enrichir et les adopter. Si nos intellectuels acceptent des vieux formés à l’école de la vie, c’est avec plaisir et honneur que je les rejoindrai pour apporter le peu que je sais. Après onze mois de mobilisation, nous n’avons pas le droit d’échouer car le monde, notre peuple et nos martyrs comptent sur le Hirak pour sortir notre pays du marasme et de la médiocrité. La clé du succès est entre les mains des penseurs et des organisateurs qui doivent prendre leurs responsabilités.

B. T.

Auteur de Réplique au livre noir de la psychanalyse

 


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