Décryptage – Drogue, Economie, Diplomatie. Pourquoi le Royaume du Maroc attaque l’Algérie.



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L’Organe International de Contrôle des Stupéfiants (OICS) est l’organe indépendant chargé de surveiller l’application des conventions internationales des Nations Unies relatives au contrôle des drogues. Il a été établi en 1968 en application de la Convention unique sur les stupéfiants de 1961.

Sur la base de ses activités, l’OICS publie un rapport annuel qui est présenté au Conseil économique et social de l’ONU par l’intermédiaire de la Commission des stupéfiants. Ce rapport examine de près la situation en matière de contrôle des drogues dans les diverses régions du monde. Organe impartial, l’OICS tente d’identifier et d’anticiper les tendances dangereuses et propose des mesures à prendre.

Dans son rapport paru en 2020, l’OICS met clairement en garde le Maroc contre les réseaux internationaux de trafic de cocaïne et sur la propagation des psychotropes dans le royaume chérifien.

             

Ce document de 158 pages souligne que le trafic de cocaïne est lié aux nombreuses activités des réseaux de la criminalité organisée en Espagne, en Colombie, au Maroc et dans les pays des Balkans.

Poursuivant son analyse des faits, le rapport fait part de très importantes saisies de cocaïne, s’élevant à 1,7 tonnes réalisées en 2018 par le Maroc, tandis qu’en Algérie, poursuit le même rapport, la saisie de cette même drogue avait atteint les 672 kg pour la même période.

L’OICS, qui a célébré en 2018 son cinquantième anniversaire et dont le siège se situe au sein du siège des Nations Unies à Vienne, révèle que le grand défi de la région demeure l’explosion du trafic des psychotropes en Afrique du Nord, mais également en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, zone de conflits et de contrebande.

Ce dernier rapport de l’OICS s’attarde par ailleurs sur les psychotropes, ces substances qui agissent principalement sur l’état du système nerveux central en y modifiant certains processus biochimiques et physiologiques cérébraux, altérant ainsi les fonctions du cerveau, tels : la perception, les sensations, l’humeur et la conscience…

Les autorités sécuritaires marocaines auraient, selon le même document, saisi en 2018 des dizaines de millions de comprimés psychotropes destinés aux jeunes.

Il faut dire que le trafic de Tramadol, opioïde de synthèse, continue de poser problème dans la région d’Afrique du Nord, d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique centrale, poursuit le rapport. Le Maroc a ainsi signalé la saisie de plus de 45 millions de comprimés de Tramadol en 2018.

Enfin, en ce qui concerne le trafic d’autres drogues, le Maroc a signalé la saisie de plus d’un million de comprimés de MDMA plus communément connus sous le nom d’ecstasy, ce qui laisse penser que ce trafic est en plein boom.

Les spécialistes de la question s’accordent à dire que les saisies de stupéfiants, opérées par les services de douanes et de sécurité, ne représentent qu’un dixième du trafic réel, ce qui laisse deviner l’ampleur de ce fléau parmi les populations de ces zones !

Poursuivant son analyse, le rapport de l’OICS affirme que la consommation d’alcool et de tabac par les jeunes et les adolescents les pousserait irrémédiablement vers l’usage d’opium, de cocaïne et de cannabis ou hachich.

De son côté, l’Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime (ONUDC) a indiqué dans un autre rapport que le cannabis était la drogue la plus consommée par les jeunes et les adolescents, précisant que près de 13,8 millions de jeunes dans le monde, âgés entre 15 et 16 ans, ont été affectés en 2016 par la consommation du hachich et de la marijuana…

Si le cannabis est cultivé illicitement dans de nombreux pays africains, le rapport 2020 de l’OICS maintient la tendance des années précédentes, et ce sont de nouveau le Maroc et le Nigéria qui ont signalé les plus grosses saisies de cannabis et de résine de cannabis de la région.

En 2014, le Maroc était déjà classé 1er producteur de cannabis dans le monde selon l’OICS pour la 13ème année consécutive et 1er fournisseur de cette drogue à travers le monde. Une activité de récolte estimée à 38.000 tonnes et qui lui aurait rapporté environ 214 millions de dollars cette année-là !

L’Algérie, avait pour rappel, saisi pour le seul 1er trimestre 2013 près de 42 tonnes de cannabis sur son territoire venant du Maroc dont 18 tonnes confisquées à la frontière Algéro-marocaine…

Plus récemment, en 2018 pour être plus précis, le Maroc avait signalé la saisie de près de 72 tonnes de résine et de 252 tonnes de Mâajoun, un produit qui est composé essentiellement de cannabis mais qui peut également contenir d’autres drogues, ainsi que des graines de pavot et d’autres éléments comestibles.

En juin 2019, les autorités marocaines ont par ailleurs indiqué avoir saisi 12 tonnes de cannabis et 800 kg de résine. Une autre opération menée deux semaines plus tard a permis de saisir 600 kg de cannabis, découverts dans des canalisations à Taghbalt, un village du Centre-Est du Maroc.

Le Département d’État américain, avait estimé en Mars 2017 que les revenus de la récolte de cannabis correspondaient à 23 % du Produit Intérieur Brut (PIB) du Royaume du Maroc. Quand on sait que ce dernier avoisinait les 100 Milliards de dollars cette année-là, on ne peut qu’en être effarés…

Cette manne financière est réinjectée dans le système bancaire à travers des réseaux de blanchiments d’argent, impliquant des établissements financiers dans certains pays d’Afrique et du Moyen-Orient, mais également en Europe et au Maroc.

En exemple cette vaste cellule de blanchiment d’argent de la drogue ayant sa tête au Maroc, démantelée par Interpol et Europol à la fin du mois d’Octobre 2019, opérant en France, en Belgique, aux Pays-Bas et à Dubaï…

Saisie d’argent de la drogue des cartels marocains du cannabis à Marseille

 

Le mode opératoire, très prisé par ces malfaiteurs, repose sur le système traditionnel de la  »Hawala », qui permet d’échanger des fonds entre deux pays en toute clandestinité, et surtout sans aucun transfert physique d’argent. Des  »banquiers » occultes assurent l’opération par un système de compensation en prenant une commission à chaque transaction.

D’autres sources composées d’experts dans le domaine, pointent également la banque marocaine Attijariwafa Bank qui couvre et injecte un important flux financier, notamment en Afrique ou elle dispose du réseau le plus dense avec plus de 4300 agences !

L’Union Européenne avait d’ailleurs placé en 2017 le Maroc dans la liste grise des paradis fiscaux. Lors de la réunion du Conseil “Affaires économiques et financières” (Ecofin) tenue le 18 février 2020 à Bruxelles, l’Union Européenne l’y avait à nouveau maintenu à cause de traitements fiscaux non équitables dans ses zones franches…

L’Algérie, dont les frontières avec le Maroc dépassent légèrement les 1700 Km, lutte inlassablement contre cet inquiétant fléau qu’est la drogue et qui dégage de substantiels bénéfices pour le Royaume chérifien, contribuant malheureusement au financement du terrorisme au Sahel et en Afrique du Nord.

Les trafics de drogues et les produits de contrebande sont une source importante de financement pour les groupes terroristes, qui même s’ils ne sont pas toujours et forcément directement impliqués dans ce genre de commerce, s’enrichissent toutefois en imposant un impôt contre une  »garde rapprochée » aux contrebandiers, affirmait Abdelkader Abderrahmane, chercheur à la Prévention des Conflits et Analyses des Risques’, (CPRA) Institut d’études de sécurité (ISS), en Ethiopie.

Le lien entre les filières de trafic de drogue et les réseaux terroristes avait déjà été établi après les conclusions de l’enquête franco-espagnole menée au lendemain des attaques de mars 2004 à Madrid.

Les Renseignements généraux (RG) français et le Centro National de Inteligencia espagnol, qui avaient découvert à cette époque que les kamikazes avaient obtenu des explosifs contre d’importantes quantités de haschisch, ont conclu, après plus de deux ans d’enquête, que le trafic de drogue, notamment le cannabis en provenance du Maroc, était la source de financement des activités terroristes. Pour rappel, Le nombre de Marocains dans les rangs de groupes djihadistes en Irak et en Syrie était estimé en 2015 à plus de 1.600…

Un lien entre drogue contrebande et terrorisme qui fait pourtant le bonheur de beaucoup de familles marocaines.

La sociologue et économiste Kenza Afsahi, chercheuse au Centre Emile Durkheim (CNRS), maître de conférences à l’Université de Bordeaux et chercheuse associée au CESDIP de Versailles-Saint-Quentin et au Centre Jacques-Berque de Rabat, avait déclaré que la production de cannabis occupait une place importante dans l’économie du Maroc et que des milliers de familles de paysans dépendaient de cette économie traditionnelle et ancestrale, représentant une source de revenue considérable dans le Rif.

Une enquête menée par les Nations unies en 2003 avait révélé non seulement l’étendue des cultures de cannabis dans le Rif mais aussi l’importance que celles-ci représentent pour la population. Ce seraient ainsi 96 000 familles, soit 800 000 personnes, qui auraient été impliquées dans la production de haschich en 2003 !

De son côté Pierre Arnaud Chouvy, géographe et chargé de recherche au CNRS sur les questions relatives à la production illégale d’opium et de cannabis, affirmait qu’au milieu de la décennie 2000 les cultures de cannabis n’ont jamais été aussi étendues au Maroc, ce qui témoigne au moins dans une certaine mesure des échecs des projets de développement menés depuis des décennies dans le Rif.  Rajoutant que le maintien et le développement de la culture du cannabis dans le Rif n’ont pu se faire que grâce à l’accord tacite du makhzen et de ses relais locaux (mokadem, sheikh, caïd).

Enfin, Pierre Arnaud Chouvy déclare :’’Il importe aussi de préciser que l’économie du Rif ne dépend pas que de celle du cannabis, malgré les proportions prises par celle-ci. L’économie de contrebande est en effet particulièrement développée au Maroc et plus encore dans le Rif qui bénéficie d’un avantage géographique certain, et pour l’exportation de son hachich vers l’Europe ou l’Algérie, et pour l’importation de biens de consommation depuis ces même espaces’’.

Au titre de tout ce qui précède, l’OICS dont ses statuts le lui permettent, pourrait de plein droit demander au Maroc des justifications devant ces cas de violations apparentes des conventions internationales en matière de drogue, et du fait que ce pays n’en applique pas entièrement les dispositions, ou peut-être rencontrerait des difficultés à les appliquer.

Seulement voilà, parmi les treize membres de l’OICS, le Maroc est représenté par le professeur universitaire et consultant international dans le domaine de psycho-addiction et de toxicomanie : Mr Jallal Toufiq, élu vice-président de l’OICS en 2018 et réélu pour un second mandat de cinq ans commençant le 2 mars 2020, à l’issue des élections tenues en Mai 2019 à New York.

Jallal Toufiq – Membre de l’OICS.

Une élection qui laisser dire à certains qu’elle servirait d’abord les intérêts du Royaume Alaouite marocain, pesant sur le rapport annuel de l’OICS pour édulcorer le rôle du Makhzen dans le contrôle de la production et de la distribution de stupéfiants.

A ce propos il est étrange que l’OICS qui entreprend périodiquement des missions de pays afin de surveiller le respect des traités internationaux relatifs au contrôle des drogues et d’en promouvoir l’application effective, n’ait pas choisi en 2019 le Maroc, premier pourvoyeur mondial de cannabis, pour y effectuer des entretiens avec les autorités de ce pays au sujet des mesures législatives, institutionnelles et pratiques mises en œuvre en ce qui concerne la fabrication illicite, le trafic et l’abus de stupéfiants et de substances psychotropes… Oui étrange !

Selon nos informations, les autorités algériennes qui estiment que la drogue produite au Maroc contribue largement au financement du terrorisme au Sahel et en Afrique du Nord, entendent jouer prochainement un rôle prépondérant au sein de l’OICS, en s’appuyant sur l’Union Africaine.

Déjà en Juin 2014, lors de la 25ème Session du Conseil Exécutif, l’Union Africaine (UA) avait adopté une décision inspirée par l’Algérie, rappelant les Etats membres de l’UA au « respect des décisions prises par l’UA sur les candidatures africaines au sein du système international et « d’observer les engagements pris », notamment « pour éviter la situation vécue dans le cas de l’élection des membres au sein de l’Organe international de contrôle des stupéfiants où l’Afrique a perdu les postes ».  Ce qui semble avoir fortement irrité le Makhzen.

Alors que le Maroc, traverse actuellement une conjoncture économique difficile avec une croissance qui ne devrait pas dépasser 2 %, ce qui va entraîner près de 10.000 entreprises à la faillite en 2020, l’opinion publique internationale s’étonne de constater qu’au même moment, le Makhzen sollicite plusieurs pays africains et ses alliés du Moyen-Orient, pour ouvrir en toute illégalité, des représentations diplomatiques au Sahara occidental d’une part et saborder le dialogue Afro-arabe de l’autre part. Allusion à l’annulation de la rencontre de l’Union Africaine et de la Ligue Arabe à Ryad en Arabie Saoudite.

 »Ils sont nombreux parmi la population à se demander si le gouvernement marocain ne devrait pas d’abord penser à son économie et à sauver ses PME-PMI, au lieu d’utiliser l’argent provenant du commerce illicite de stupéfiants et de la contrebande pour arriver à ses fins… » Nous dira une collègue journaliste marocaine.

Le journal l’Économiste affirme en effet que les créances inter-entreprises ont atteint 420 milliards de dirhams en 2019, contre 390 milliards de dirhams en 2018, soit l’équivalent de 42 % du PIB, alors que retards de paiement interviennent dans 40 % des défaillances d’entreprises…

Dans une ultime provocation lancée pour faire diversion sur les problèmes internes, le ministre marocain des Affaires étrangères avait affirmé, le 28 février 2020, que le processus d’ouvertures de consulats était bel et bien lancé, tout en invitant l’Algérie, sans la citer directement, à préparer des communiqués de condamnation et rappeler ses ambassadeurs pour consultation.

Référence faite au rappel de l’Ambassadeur algérien en Côte d’Ivoire après l’ouverture d’un consulat dans la ville du Sahara Occidental occupé d’El-Aayoune.

 »L’Algérie ne veut pas verser de l’huile sur le feu, en particulier sur la question du Maroc frère. Nous regrettons que le ministre marocain des Affaires étrangères ait été provocateur et insultant à l’égard de l’Algérie. Nous avions été toujours correct. La diplomatie algérienne construit ses relations sur l’avenir et non sur l’insulte et la provocation », a répondu le Ministre algérien des Affaires étrangères Mr Sabri Boukadoum.

L’Algérie, qui soutient de manière indéfectible la cause sahraouie et le droit du peuple sahraoui à l’autodétermination dans le strict cadre du droit international, est revenue en force sur la scène internationale depuis l’élection d’Abdelmadjid Tebboune à la Présidence de la République.

Une activité diplomatique intense et une position légaliste qui a dicté à Alger sa récente décision d’annuler, par deux fois, la visite de la ministre espagnole des Affaires étrangères, Arancha González Laya, suite à ses déclarations sur la non-reconnaissance de la RASD, contredisant ainsi le secrétaire d’Etat aux Droits sociaux du gouvernement de Pedro Sanchez, Nacho Alvarez.

Cet éclairage qui met l’accent sur les récentes attaques du gouvernement marocain contre l’Algérie, fera prendre conscience à nos lecteurs de l’importance des enjeux qui se jouent pour le Maroc et par ricochet sur l’Algérie qui revient en force sur la scène internationale, tout comme il permettra, d’apporter à tous, des éléments qui lui permettront de se forger sa propre opinion.

Amir Youness


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