Les gouvernants n’ont pas d’autre traitement que la coercition pour enrayer la pandémie



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Par Mesloub Khider – En matière sanitaire, l’incurie criminelle des gouvernements de nombreux pays n’était déjà plus à démontrer. Mais, à la faveur du Covid-19, ce constat prend une dimension catastrophique. En effet, alors que l’épidémie du coronavirus s’était, depuis le début de l’année, massivement répandue dans de nombreux pays, notamment asiatiques, les gouvernants se sont résolus de mauvaise grâce, avec beaucoup de retard et dans l’improvisation, à prendre des mesures. Des mesures expéditives, non pas sanitaires mais sécuritaires. En fait, de politique sanitaire et médicale, celle-ci confine à une opération militaire : confinement obligatoire, fermeture des frontières, contrôles policiers, mobilisation de l’armée pour suppléer les personnels soignants débordés.

Cela s’apparente à une opération de «pacification du pays», digne des guerres coloniales où les populations indigènes étaient parquées dans des emplacements distinctifs, pourchassées, bannies des centres urbains, suspectées de transporter une bombe, d’attenter à la vie de l’occupant, tenues à distance comme si elles étaient porteuses de maladies contagieuses. Mais, surtout, elles étaient dépossédées de leur dignité, privées de leur liberté, de leurs droits politiques et civiques, militairement quadrillées, «policièrement» contrôlées, dictatorialement confinées.

Pour prendre l’exemple de la France, tardivement enrôlée sur le front de la lutte contre la pandémie du coronavirus, le général Macron a d’emblée imprimé des accents belliqueux à son discours. «Nous sommes en guerre !» a-t-il martelé dans son allocution du 16 mars. En guerre contre qui ? Contre le Covid-19 ou contre la population contrainte de subir dans la détresse un confinement plus destructeur que le coronavirus, étant entendu qu’aucune autre prise en charge médicale ne l’accompagne, ni sous forme de traitement antiviral ni sous l’aspect d’une cellule psychologique, laissant la population en proie à la peur et à la sidération (ce constat s’applique à la plupart des pays, notamment l’Algérie). En vérité, le gouvernement Macron, comme la majorité des pouvoirs d’autres pays, naviguent à vue, embarqués dans leur navire étatique en plein naufrage, sans aucune prise sur le gouvernail, livré aux tempêtes cahotantes de l’économie en perdition et les vagues submergeantes de la débâcle politique et institutionnelle.

Aujourd’hui, face au Covid-19, la gestion sanitaire s’opère sur fond de pénuries d’équipements médicaux et de privations alimentaires annoncées. Dans la majorité des pays, notamment en Algérie, on déplore un manque cruel de matériels de protection. La pénurie est générale : aucun pays ne dispose de stocks de matériels de sécurité pour endiguer la pandémie. Les hôpitaux sont dépourvus des équipements indispensables : de masques, de solutions hydro-alcooliques, de charlottes, de blouses, de respirateurs. Actuellement, dans de nombreux pays, le personnel soignant, face aux rationnements, est réduit à utiliser des masques périmés, voire usagés. Les agents hospitaliers, «en première ligne» (sic !), se trouvent donc directement exposés à la maladie.

Le système de santé est partout dans le monde en ruine, sacrifié sur l’autel de la «rigueur budgétaire». De nombreux lits d’hôpitaux ont été supprimés, des équipements médicaux réduits. Il n’est pas inutile de relever que, si l’Allemagne affiche un taux de mortalité lié au coronavirus beaucoup plus faible que la France et l’Italie, c’est en raison du nombre élevé de places en soins intensifs (309 places en soins intensifs pour 100 000 habitants en France contre 601 lits en Allemagne), mais également de sa politique de dépistage massif, totalement absente dans ces deux pays.

Au reste, incapables de gérer médicalement la crise du Covid-19, avec le souci prioritaire d’éviter d’impacter l’appareil de production, de nombreux pays se sont résolus à adopter une série de mesures d’urgence, assimilables davantage à des opérations sécuritaires plutôt qu’à des campagnes sanitaires. La principale mesure instaurée est le confinement tardif à géométrie variable. Ainsi, du fait de leur incapacité à approvisionner en matériels de protection (masques, gants, solutions hydro-alcooliques, tests) l’ensemble de la population, les gouvernements ont opté pour des mesures sécuritaires de confinement généralisé, dont l’inefficacité est démontrée par l’Italie et la France. En France, cette mesure instituée tardivement, dans l’affolement suscité par l’effondrement économique et non par l’aggravation de l’épidémie, a donné lieu à des recommandations contradictoires résumées dans cette injonction paradoxale, proférée par le président Macron : sortez de chez vous, mais ne sortez pas ; restez confinés chez vous pour éviter la contamination, mais allez travailler – pour maintenir le fonctionnement de l’économie des patrons afin de sauver leurs profits au péril de votre vie.

Devant tant d’amateurisme en matière de gestion de la crise, les citoyens étaient sceptiques quant à la gravité de la pandémie, voire de sa réalité. De là s’explique que de nombreuses personnes ont fait preuve d’«incivisme», selon les récriminations des dirigeants relayés par les médias toujours aussi prompts pour fustiger le peuple mais complaisamment muets sur les méfaits de leurs maîtres.

Sur ce chapitre de l’incivisme, le pouvoir verse dans l’inversion accusatoire. Dans cette gestion chaotique de la crise, les véritables délinquants, ce ne sont pas les pauvres citoyens livrés à eux-mêmes par manque de protection médicale, mais les dirigeants incompétents, criminels, tout juste capables de gérer par des mesures coercitives un drame sanitaire. En effet, faute de moyens sanitaires pour endiguer la propagation du coronavirus, les gouvernements de la majorité des pays n’ont pas d’autres choix, pour éviter l’hécatombe, que d’instaurer des mesures de confinement et des couvre-feu, épaulées par une armée de policiers et de militaires déployée sur tout leur territoire, chargés de tenir en respect leurs populations respectives, sidérées, terrorisées (et bientôt affamées) par la peur d’être contaminées par le coronavirus, sans aucune chance d’être soignées faute de places dans les hôpitaux sous-équipés, par ailleurs débordés .

En vérité, les gouvernements de la majorité des pays, en butte à la crise du Covid-19 doublée d’un effondrement économique, criminellement dépourvus de solutions sanitaires faute d’équipements médicaux, ne peuvent faire autrement que de déployer leurs forces de l’ordre. Cette politique sécuritaire, en lieu et place d’une campagne sanitaire, a pour dessein d’habituer la population à la militarisation de la société quand «l’ennemi intérieur» ne sera plus le coronavirus mais la classe ouvrière, les classes populaires faméliques, en lutte.

Pour preuve de la supercherie scélérate des gouvernements prétendument soucieux de la santé du peuple laborieux, le maintien scandaleux de l’ouverture des entreprises absolument pas indispensables aux activités économiques essentielles en cette période de pandémie. En effet, dans le même temps où les gouvernements imposent le confinement généralisé pour lutter contre la propagation du coronavirus, prétendent-ils, ils contraignent des millions de travailleurs (sous le matraquage propagandiste de «l’union sacrée nationale», de la réquisition étatique ou de la menace de sanctions) à s’entasser quotidiennement dans les transports en commun, à se déplacer dans les ateliers d’usines, les administrations, les grandes surfaces, foyers par excellence de contagiosité.

«Ma priorité est de sauver l’appareil de production français», rappelait récemment le ministre de l’Economie de France, Bruno Le Maire (et non de sauver prioritairement la vie de la population : l’aveu a au moins le mérite d’être explicite). Cet aveu sonne comme une profession de foi, que tous les dirigeants de tous les pays reprennent à leur compte, sans le formuler avec autant de cynisme bourgeois et de mépris de classe. Ainsi, pour le dieu-capital, en pleine phase paroxystique de la pandémie, le ministre est prêt à sacrifier la vie de millions de travailleurs, envoyés en première ligne, sur le front de la production des profits, au «casse-pipe», avec les risques de contamination inhérents aux concentrations de travailleurs sur des unités de production et dans les transports en commun.

A ce sujet, il n’est pas inutile d’évoquer ici les véritables raisons de la mortalité exceptionnellement élevée, comparée à d’autres pays, relevée en Italie. Outre les carences en matière d’équipements médicaux déjà évoquées, l’autre principale explication de la surmortalité se loge dans l’économie. On l’oublie souvent, mais les principales victimes du génocide «sanitaire» italien résidaient dans la vitale région industrielle et ouvrière de l’Italie, autour de Milan, où toutes les entreprises et les transports en commun ont continué à fonctionner en dépit des risques de contagiosité du coronavirus, en pleine pandémie. Le pouvoir criminel italien a, certes, instauré le confinement sur tout le territoire, mais il a maintenu la «liberté de déplacement et de concentration» pour les travailleurs contraints de se rendre chaque jour sur leur lieu d’exploitation, en empruntant les transports en commun, avec tous les risques de contagiosité et de propagation du coronavirus. De là s’explique le nombre dramatiquement élevé du nombre de morts parmi cette population de cette région industrielle. Ce n’est pas l’inconscience des pauvres citoyens italiens qui a provoqué le génocide sanitaire coronavirisque, mais l’irresponsabilité criminelle des classes régnantes italiennes soucieuses prioritairement de la préservation de leurs profits fournis par les entreprises maintenues ouvertes, au sein desquelles les travailleurs étaient contraints de faire tourner l’outil de production. Donc de se déplacer massivement, de se concentrer étroitement, de circuler largement, de transporter le coronavirus, de contaminer des collègues, des voisins, des proches.

Certes, le confinement est efficace, mais seulement quand il est appliqué de manière totale. En effet, pour être efficient, le confinement doit être complet, avec arrêt général de la production, de la circulation, fermeture absolue de toutes les entreprises non essentielles à la gestion de la lutte contre la propagation du coronavirus. Au moins, le temps d’enrayer la pandémie. Or, aujourd’hui, le confinement spécieux, appliqué par la majorité des gouvernements, est une mystification car ils maintiennent en fonction la production capitaliste pour ne pas pénaliser les profits des classes possédantes. C’est une supercherie. Ce confinement n’a aucune efficacité sanitaire (la France, l’Espagne et l’Italie le démontrent dramatiquement avec l’explosion de cas de corona positifs et de décès).

Une chose est sûre : dans la majorité des pays, les populations ne se sentent pas protégées par leurs respectifs gouvernements, du fait de leur inertie en matière de gestion de la crise sanitaire du Covid-19, conduite avec une impéritie pétrie d’une scandaleuse hypocrisie. Au lieu de leur procurer une protection sanitaire et médicale, terriblement défaillante, le pouvoir leur offre pour tout traitement la relégation, le confinement sous contrôle policier.

Le confinement sélectif s’inscrit dans la logique du capital. La pandémie meurtrière ne doit pas entraver la «pérennité» de l’économie nationale. Or, toute gestion efficiente d’une crise sanitaire virale implique deux variables d’ajustement : le confinement total et le dépistage systématique. Les deux sont étroitement associés et complémentaires. Une politique de confinement partiel est une opération de quarantaine propre aux sociétés du moyen-âge, par essence dépourvues d’infrastructures sanitaires et médicales, autrement dit arriérées. De là s’explique le taux de mortalité exceptionnellement élevé en Italie, dû à une politique de confinement partiel, amputé de surcroît de mesures de tests de dépistage. Cela revient à livrer une guerre contre une armée moderne au moyen d’arbalètes.

En vérité, pour être efficiente, afin d’enrayer la pandémie, une authentique gestion sanitaire doit impliquer une politique de confinement total pour une durée d’au moins quatre semaines, assortie de la fermeture de toutes les entreprises non essentielles, des transports en commun, de la réquisition de toutes les grandes surfaces pour être gérée directement par les habitants de la ville, en vue d’organiser la distribution directe des denrées alimentaires aux résidents afin d’éviter les concentrations de clients au sein des magasins, de l’interdiction de circulation pédestre et automobile, tout cela associé à une protection sanitaire matérialisée par des tests de dépistage massifs à l’échelle nationale, une distribution gratuite de masques de protection respiratoire et autres matériels de sécurité aux rares travailleurs réquisitionnés dans l’intérêt public pour œuvrer dans les secteurs vitaux à la survie de la population confinée.

Tout cela allié à une communication publique transparente, fondée sur le respect des droits du peuple et non sur la coercition épaulée par une politique sécuritaire policière et militaire, dictée exclusivement par le souci de la protection des intérêts financiers et la pérennisation de la domination politique des classes possédantes, apeurées car menacées de disparition sous l’effet de l’éruption des tremblements sociaux imminents inéluctables. Une chose est sûre : la gestion de la crise sanitaire actuelle doublée d’une crise économique doit être collectivement prise en charge par l’ensemble des membres du peuple et non être déléguée aux représentants officiels étatiques actuels, disqualifiés, responsables, par ailleurs, de l’incurie sanitaire et de la débâcle économique. Elle ne doit pas également être «régentée» par les forces de l’ordre, bras armé des classes dirigeantes, attachées au maintien de leur ordre social et, par voie de conséquence, de leurs richesses car il s’agit de régler un problème sanitaire et économique «civil», et non de superviser une opération sécuritaire et de service d’ordre.

Par ailleurs, dans cette période troublée, au-delà de la question sanitaire se pose, surtout, la question du modèle économique à inventer collectivement, des nouveaux rapports sociaux à instaurer, pour remplacer le mode de production capitaliste en voie d’effondrement. Une chose est sûre : l’épidémie n’est qu’un catalyseur, un accélérateur de la crise du système capitaliste, elle-même est un pur produit de cette crise.

Le peuple ne doit accorder aucune confiance aux gouvernants responsables de la crise sanitaire et économique actuelle. Aujourd’hui, à la faveur de la crise économique mortelle, la priorité des classes dirigeantes, comme on peut le constater, est de sauver leurs richesses (leurs entreprises, leurs banques, leurs investissements, leurs biens immobiliers) et non de protéger la vie du peuple. L’union nationale prônée par les gouvernants pour lutter soi-disant contre le coronavirus vise à défendre uniquement leur système d’exploitation et d’oppression menacé d’éclatement par la crise économique et les inévitables révoltes sociales insurrectionnelles, et non pas à sauver la vie du peuple déjà depuis toujours socialement mort.

Et si le coronavirus était le meilleur allié du peuple. Il vient lui rappeler à point nommé la nature criminelle des classes dirigeantes et de leur système dominant aliénant, surtout la nécessité de devoir, enfin, se résoudre à prendre son destin économico-social et politique en main, en se débarrassant définitivement, et du virus capitaliste (personnifié par les classes dirigeantes) et du coronavirus. En vrai, le coronavirus est moins dangereux que le «capitalistovirus» car le premier finit toujours par mourir naturellement dans le corps humain, du moins dans 98% des cas. En revanche, le «capitalistovirus», lui, tue en permanence «notre» corps social, sans répit.

M. K.


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