Un témoin du siècle qui s’en va



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Il était très affaibli par la maladie, ces trois dernières années. Ses apparitions en public devenaient très rares, depuis l’hommage qui lui a été rendu en avril 2016 à l’occasion de la clôture de l’évènement «Constantine capitale de la culture arabe 2015». Le dernier grand maître du malouf à Constantine, cheikh Kaddour Darsouni s’est éteint, à l’aube du lundi 20 avril, à l’âge de 93 ans.

 

Durant des années, Cheikh Darsouni avait pleuré tous ses amis grands maîtres de ce genre musical, partis pour le laisser seul. Des images reviennent toujours dans la mémoire de ceux qui en étaient témoins.

Celles d’un Kaddour Darsouni en larmes, terrassé par la douleur, devant la tombe de son fidèle ami Abdelmoumene Bentobbal, lors de son enterrement, un certain dimanche 11 juillet 2004, au cimetière central de Constantine. Ce sera ensuite la perte du grand maître Abdelkader Toumi en 2005, puis le décès du cheikh incontesté et irremplaçable, Mohamed-Tahar Fergani, le 7 décembre 2016.

Des épreuves que Darsouni a durement vécues. Aujourd’hui, c’est tout Constantine, mais aussi les amoureux du malouf et ses nombreux élèves qui pleurent cheikh Darsouni. Durant toute sa carrière qui s’est étalée sur plus de 70 ans, cet homme respecté par ses pairs a été toujours connu pour son amour, son dévouement et son attachement inébranlable à la tradition musicale et les efforts inlassables qu’il a déployés pour sa sauvegarde et sa transmission aux générations.

Connu pour sa parfaite maîtrise des noubas, des mouachahate, des zdjoul et autres genres tels que le hawzi et le mahdjouz, faisant partie du riche patrimoine musical classique, l’histoire lui retiendra d’être, avec Abdelmoumene Bentobbal et Mohamed-Tahar Fergani, l’un des initiateurs du projet d’enregistrements pour la sauvegarde de la musique andalouse, lancé par l’Office national des droits d’auteur (ONDA) et parrainé par le ministère de la culture à la fin des années 1990.

Cheikh Kaddour Darsouni est aussi connu pour être un homme discret et peu bavard, mais il était surtout très sérieux et méticuleux dans son travail. Il laissera pour la postérité un ouvrage intitulé Mémoires du Cheikh Kaddour Darsouni –Figure emblématique de la musique andalouse constantinoise, publié en 2002 par l’ex-Conseil consultatif culturel et la direction de la culture de la wilaya de Constantine. Un document précieux qui révèle la vie et la carrière de celui qu’on nomme désormais le «dernier Mohican» du malouf à Constantine.

Un intérêt pour la musique dès l’enfance

Mohamed Darsouni, dit Kaddour est né le 8 janvier 1927 dans le quartier de Sidi Boumaaza, au n°1, rue Maillot, actuellement rue Mahdi Noui Djamila. Ce quartier populaire de la vieille ville de Constantine se trouve à proximité de la rue Abdelhamid Benbadis (ex-Alexis Lambert), plus connue aujourd’hui par Arbaine Chérif. Un lieu célèbre pour avoir abrité l’association « Tarbiaouataâlim » fondée par le cheikh Abdelhamid Benbadis, ainsi que l’imprimerie de l’Association des Oulema musulmans.

À l’âge de 4 ans, le petit Kaddour fréquente l’école coranique où il fut l’élève de cheikh Slimane Belhadj Mostefa, avant de rejoindre l’école primaire française Arago, actuelle école Mouloud Belabed dans le quartier de Sidi Bouannaba. Darsouni évoque dans ses mémoires que son intérêt pour la musique s’est manifesté très tôt. «Le milieu familial aidant et ma grande admiration pour mon oncle Si Tahar Benkartoussa, grand maître de son époque, a fait le reste», décrit-il. Remarquant cet intérêt, son père le confia en 1933 à Si Brahim Amouchi (1903-1990), un pédagogue hors pair, responsable de la section musique de l’association «Mouhibi El Fen», fondée un an plus tôt.

Il commence comme choriste à l’âge de six ans. Dans ses mémoires, Darsouni rappelle avec fierté la journée du 13 juin 1938 où il avait participé à une représentation mémorable en l’honneur de cheikh Abdelhamid Benbadis et des membres de l’Association des Oulema, durant laquelle avait été chanté pour la première fois le poème de Benbadis Chaâbou El Djazairmouslimoune, dont la musique avait été composée par Si Brahim Amouchi. Darsouni rejoindra l’Association Echabab El Fenni en 1938 jusqu’à le gel de ses activités au début de la Seconde Guerre mondiale.

Début d’une longue carrière

Très doué, le jeune Darsouni ne perdra pas de temps durant la guerre. Il commencera à apprendre à jouer à la flûte à Foudouk Sidi Guessouma, un véritable conservatoire à l’époque situé à RahbetEssouf. Il aura pour maîtres cheikh Khodja Djelloul et cheih Belamri. En 1947, il se produira dans les émissions de la radio de Constantine animées par feu Amar Bourghoud, dans les studios dirigés par Si KhodjaBoulbina et qui se trouvaient à la place de Souk El Asser, avant de rejoindre en 1952 l’orchestre de cheikh Belamri comme flûtiste, animant les fêtes familiales.

C’était le début d’une véritable carrière professionnelle. Darsouni ne passe plus inaperçu. Il est le meilleur joueur de flûte (jawak) de son époque, suivant les pas de son oncle maternel cheikh Tahar Benkartoussa et de cheikh Kara Baghli dit Baba Abeid. Les chantres de la ville de Constantine se l’arrachent.

On raconte que Cheikh Hamou Fergani et Cheikh Raymond Leyris lui avaient fait des offres alléchantes pour rejoindre leurs orchestres. Connu pour ses activités militantes au sein du FLN durant la guerre de libération, Darsouni rappelle dans ses mémoires son arrestation en 1957 par les parachutistes de l’armée française à la place des Chameaux (Rahbet Ledjmal).

Il connaîtra l’emprisonnement, la torture et les camps d’internement jusqu’à sa libération en 1958. Après l’indépendance, KaddourDarsouni prend part en 1964 au 1er Colloque national sur la musique algérienne. Il entreprend la formation d’un groupe de jeunes passionnés de malouf. Ce sera l’embryon de l’association El Moustakbal El Fenni El Kassantini, fondée officiellement en 1966. Elle sera la première association de musique andalouse à Constantine après l’indépendance. Ce sera la belle époque.

Malgré les difficultés financières, le manque de moyens, les répétitions dans un local de chaufferie d’un hôtel, El Moustakbel El Fenni fera sensation, en décrochant le 3e prix au 1er Festival national de la musique andalouse en 1967, puis le 1er prix au festival de la chanson algérienne durant la même année, avant de briller encore une fois en décrochant le 1er prix et la médaille d’or remise des mains du défunt président Houari Boumediène, à l’issue du 2e Festival national de la musique andalouse en 1968.

L’on apprend auprès de ceux qui ont suivi sa carrière artistique que du côté discographique (disques vinyles 33 et 45 tours), il accompagna différents artistes (Mohamed-Tahar Fergani, Simone Tamar, Benrachi Maamar…) et créa même sa propre maison d’édition Darsouphone avec laquelle il a produit au moins 5 disques 45 tours, dont une excellente anthologie de Zendali.

Une vie vouée à la formation des jeunes

La crise interne qui avait secoué El Moustakbel El Fenni précipitera le départ volontaire de Kaddour Darsouni. Ce dernier décidera de se consacrer à la formation en dirigeant le Conservatoire municipal de Constantine où il continuera à y exercer jusqu’à l’arrêt des activités de cette structure en 1987.

Il sera nommé en 1975 professeur de musique et d’histoire de la musique au lycée Zighoud Youcef jusqu’en 1992, avant de dispenser des cours de musique au CEM Khadidja jusqu’en 1995. Darsouni réunira ses disciples pour créer l’association Les élèves du Conservatoire du malouf de Constantine, qui continuera à assurer la formation des jeunes.

Le défunt Kaddour Darsouni n’oublie pas de révéler dans ses mémoires la concrétisation en 1998 de son vœu le plus cher en réalisant l’enregistrement de dix noubas du patrimoine malouf sur CD.

Une opération lancée par l’Office national des droits d’auteur (ONDA) sous l’égide du ministère de la Culture durant laquelle Darsouni était chargé de la direction artistique, alors que l’interprétation des noubas avait été assurée par Abdelmoumene Bentobbal et Mohamed-Tahar Fergani.

Dans ses mémoires, le défunt Kaddour Darsouni avoue avoir la grande chance de connaître et de côtoyer les grands maîtres du malouf et du chant populaire constantinois, citant Ahmed Bestandji, Tahar Benkartoussa, Hamou Fergani, Abderahmene Kara Baghli, Allaoua Bentobal, Si Hsouna Ali Khodja, Brahim Amouchi, Maamar Benrachi, Larbi Belamri, Khodja Bendjelloul, Abdelkader Toumi et autres.

Durant plus de 70 ans, feu Kaddour Darsouni avait dans ses classes des dizaines d’élèves qui seront des artistes, des musiciens, des chanteurs, mais aussi des formateurs qui continuent de lui vouer respect et reconnaissance. «Avec la satisfaction du devoir accompli, je suis rassuré, car la relève est là. Mon vœu le plus cher est qu’elle œuvre avec plus d’acharnement puisque la tâche ne sera que plus ardue, afin que ce précieux patrimoine puisse être préservé et parvenir aux générations futures et atteindre sa vraie dimension de musique savante», a-t-il conclu dans ses mémoires, comme pour transmettre un testament.

La mort de cheikh Kaddour Darsouni signe la fin de la génération des grands maîtres du malouf à Constantine. Parti en ce temps maudit de coronavirus, il n’a pas eu droit aux honneurs qu’il mérite comme une personnalité culturelle nationale.

Comme il a vécu dans la discrétion, il est parti sans faire de bruit. Il a été enterré, lundi 20 avril, à Constantine, dans le silence total. Même la télévision algérienne ne lui a consacré que quelques minutes, dans un journal dominé par l’actualité de la pandémie qui marque le quotidien des Algériens. Espérons que le temps viendra pour lui rendre tous les hommages.


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