Balade historique et touristique «Trig Réghaïa hayat» (Slimane Azem) (4e Partie)



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Par Mohamed Arezki Himeur
Fatigué de voyage par route ? Prenez un avion pour faire le trajet Alger-Centre- Hamiz, suggère un site internet. Ce n’est pas une galéjade. Il invite les lecteurs-internautes à vérifier le «temps de vol» entre les deux lieux «avant de voyager». Tout en précisant que la distance séparant les deux endroits n’est que de 18 km qu’on relie en 24 minutes environ.

Hamiz : Un gros village qui se présente, de prime abord, comme un immense marché de l’électroménager, de produits Hi-Fi et autres gadgets électroniques, qui débordent sur les trottoirs des bâtisses édifiées dans un désordre total des deux côtés de l’artère principale. Il est d’ailleurs réputé pour cette activité qui semble constituer sa principale source de revenus. Car, ses fertiles terres agricoles sont en partie enfouies sous le béton des bâtiments et villas, qui ont poussé comme des champignons ces dernières décennies. Les centaines de magasins de gros et de détail attirent beaucoup de monde. Les acquéreurs viennent d’Alger mais aussi des villes et villages des régions environnantes, en raison des prix légèrement bas par rapport à ceux pratiqués ailleurs.
Hamiz tire son nom du cours d’eau et d’un barrage du même nom construit du côté de Khemis El-Khechna, dont le plan définitif a été adopté en 1857. La première pierre de l’édifice d’une capacité de plus 14 millions de m3 a été posée en 1869 et sa mise en eau effectuée en 1884. Entretemps, il avait fallu colmater quelques brèches, des fissures apparues à gauche et à droite de la muraille, et renforcer les contreforts du mur de soutènement. Il a subi au moins deux dragages : au milieu des années 1930 et de 1968 à 1972. Les bidonvilles construits sur les berges du cours d’eau ont été éradiqués et leurs occupants logés dans des cités édifiées un peu partout dans les wilayas d’Alger, de Blida et Boumerdès. 

Rouiba : C’est le poumon industriel du centre-nord du pays. Il abrite l’une des plus importantes zones industrielles, comptant des dizaines de grandes usines et entreprises, dont l’ancienne Sonacome, devenue Société nationale de véhicules industriels (SNVI). Cette entreprise constituait, dans les années 70 et durant la première moitié de la décennie 1980, le fleuron de ce qu’on appelait pompeusement à l’époque l’«industrie industrialisante». On la faisait visiter aux invités de marque : présidents, chefs de gouvernement, ministres et autres délégations étrangères. 
La politique de développement et d’industrialisation, au centre d’une polémique après la restructuration des entreprises menée tambour battant sous le règne du président Chadli Bendjedid (1979-1992), a été élaborée et mise en œuvre par le ministre de l’Industrie d’alors, Belaïd Abdesselam. Le village colonial de Rouira a vu le jour en septembre 1853, puis devenu commune de plein exercice en août 1861 avec, comme annexes, les hameaux de Aïn Beïda et de Cap-Matifou. Aujourd’hui, Rouira a pris l’étoffe une grande et coquette ville.

Réghaïa : Cinq ans après le débarquement des troupes coloniales sur les plages de Sidi Fredj, le prince de Mir, d’origine polonaise (nous y reviendrons plus loin dans ce reportage), a bénéficié, en 1835, d’une concession de 5 000 hectares de terres fertiles à Rassauta, près de Bordj El-Kiffan. 
L’année suivante, la généreuse France coloniale lui en a rajouté 2 000 autres du côté du littoral de Réghaïa. Une pépinière créée sur les berges de la rivière de cette localité comptait, à la même période, des «milliers de boutures de peupliers, de pommiers, de canne à sucre, etc., et déjà on y a greffé 4 000 oliviers».(3)
Comme dit l’adage, «ma yebqa fe l’oued ghir hdjarou» (ne restent dans l’oued que ses galets). Les terres sont revenues entre les mains des autochtones. Parmi elles, la zone humide de Réghaïa, qui s’étend sur une surface globale de 1 100 hectares. «La superficie totale du lac est de 150 ha tandis que la surface du plan d’eau est d’environ 75 ha. La zone côtière et humide de Réghaïa est l’un des derniers sites patrimoniaux du littoral centre du pays. En effet, le littoral de la wilaya d’Alger, qui est urbanisé à plus de 80% de son linéaire côtier, est le plus urbanisé de la côte algérienne. 
Cette urbanisation s’est faite progressivement et au détriment des zones naturelles côtières. Elle s’est accompagnée donc d’une dégradation quasi systématique de tous les cordons dunaires côtiers, des forêts et maquis littoraux. C’est dans ce contexte que la préservation de la zone de Réghaïa devient impérative pour maintenir l’un des derniers cordons dunaires de la wilaya et préserver une zone qui renferme un complexe d’écosystèmes interdépendants et patrimoniaux (mer, îlots, plage, lac et marécages)».(4)
Réghaïa tire son nom d’un ancien grand domaine agricole appartenant au beylick turc. Le village colonial a été créé par décret en octobre 1854 et érigé en commune en 1856. En dépit de l’urbanisation galopante, il dispose encore de terres fertiles propres aux céréales et aux produits maraîchers. Il partage la zone industrielle avec la ville voisine de Rouira. Ces deux localités, après leur expansion et l’extension de la zone industrielle, ont presque fusionné depuis quelques années. Le long tronçon de la route traversant la zone en ligne droite, sur plusieurs kilomètres, bordée d’arbres géants élancés dans le ciel, avait inspiré le chanteur Slimane Azem : «Trig Reghaïa hayat» (la route de Réghaïa est superbe). 

Boudouaou (ex-l’Alma) : Le village, construit sur l’emplacement d’un hameau autochtone, tire son nom algérien d’un cours d’eau, el-oued Boudouaou. L’appellation de l’Alma que les Français lui ont donnée est le nom d’une rivière de Crimée qui se jette dans la mer Noire, entre Euparoria et Sébastopol. Elle a été franchie par l’armée anglo-française le 20 septembre 1854, en battant l’armée russe. Ce qu’un général français qualifia de «glorieuse journée» (sic) avait fait 536 morts et 2 703 blessés du côté des troupes franco-anglaises, et 5 000 à 6 000 morts et blessés du côté russe.(5)
Boudouaou a vécu des combats intenses et violents en 1839 et 1871, entre les troupes coloniales et des résistants autochtones. Ces derniers ont, auparavant, attaqué et détruit plusieurs villages (coloniaux) environnants, dont Bordj Menaïel, Legata, Khemis El-Khechna (Fondouk) et d’autres. Ces attaques répétées avaient amené les autorités militaires françaises à ordonner aux colons des villages de la région de se replier sur Alger lors de l’insurrection de 1871. 
Le village colonial de Boudouaou a été créé en juillet 1856 sur les terres de la tribu des Khechna, puis érigé en commune en 1861. Comme dans la plupart des villages fondés presque à la même époque entre Alger et Tizi-Ouzou, la population de Boudouaou comptait un grand nombre d’Alsaciens-Lorrains. Elle est devenue, aujourd’hui, une grande ville qui est sur le point de faire jonction avec Réghaïa. Celui-ci a fait annexion avec Rouiba, grâce à la zone industrielle qui chevauche les territoires des deux cités industrielles. 

Tidjelabine (ex-Bellefontaine) : Dans quelques décennies, ce village sera absorbé par la ville de Boumerdès, chef-lieu de la wilaya du même nom, qui s’étend dans tous les sens. Il abrite l’un des plus importants marchés hebdomadaires de véhicules d’occasion. 
Tidjelabine a été créé sur un mamelon en 1871, sur l’emplacement d’un hameau autochtone, pour accueillir les premiers colons venus de l’Alsace et de la Lorraine. Sur les quarante-et-un lots de terrains agricoles délimités par les autorités coloniales, 28 avaient été cédés à des familles d’Alsaciens-Lorrains. En plus des terres fertiles, chaque famille avait bénéficié d’une maison bâtie, d’une paire de bœufs, d’une charrue et de 800 kg de semences. 
Le nom de Bellefontaine que les Français lui ont donné viendrait d’une abondante source jaillissant près du village. Tidjelabine, qui surplombe la route nationale Alger-Tizi Ouzou, a été élevé au rang de commune le 12 mars 1958, pendant la lutte de Libération nationale. Proche des plages de Boumerdès, il offre une superbe vue dans toutes les directions. Il a été durement endommagé par un séisme en 1862, puis par celui de 2003.
M. A. H.

Sources :
(3) L’Echo du monde savant, journal analytique des nouvelles et des cours scientifiques, n°137, 3e année, du 9 juin 1836.
(4) CAR/ASP-PNUE/PAM, 2015. Plan de gestion de la future réserve naturelle de Réghaï en Algérie. Par Mouloud Benabdi. Ed. CAR/ASP-Projet MedMPAnet, Tunis : 120 p.
(5) Français et Russes en Crimée : lettre d’un officier français à sa famille pendant la campagne d’Orient, Calmann Lévy, éditeur, Paris, 1892.


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