Les entreprises lourdement impactées

 Panne sèche dans les transports



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Les effets la crise sanitaire ont eu un impact dévastateur sur les entreprises de transport des voyageurs. Les pertes occasionnées par l’arrêt des activités jusqu’à la fin du mois de mai en cours se chiffrent à 13,6 milliards de dinars pour Air Algérie, 2,5 milliards de dinars pour l’Entmv, 1 milliard de dinars pour la SNTF et plus de 30% du chiffre d’affaires de l’Etusa. Pour les taxis et les transporteurs collectifs privés interwilayas et suburbains, le confinement s’est traduit par la perte totale de revenus pour quelque 500 000 personnes.

L’impact de la Covid-19 sur les activités du transport est dévastateur. Qu’il soit aérien, terrestre, ferroviaire ou maritime, le secteur fait face à sa plus grave crise financière qui, en l’absence de perspective de reprise immédiate, aura des conséquences néfastes, voire mortelles pour beaucoup d’entreprises de transport de voyageurs, notamment les plus petites d’entre elles.

Le déficit occasionné depuis deux mois est aussi révélateur qu’inquiétant, surtout que l’incertitude d’une reprise à court terme plane toujours. Comme pour l’ensemble des compagnies aériennes dans le monde, Air Algérie est la plus impactée par la crise sanitaire, et ce, bien avant le 18 mars, avec l’annulation en janvier de tous ses vols de la omra imposée par l’Arabie Saoudite, ainsi que la grève du PNC (personnel navigant commercial) au mois de février dernier.

Au 30 avril passé, explique-t-on auprès de la compagnie, «les pertes financières liées au transport de passagers ont été évaluées à près de 16 milliards de dinars et pourraient atteindre 28,8 milliards de dinars d’ici la fin du mois de mai en cours. La compagnie, malgré cette situation de crise, doit faire face à des dépenses et à des charges incompressibles liées à la maintenance, aux salaires, aux locations à l’étranger, à des prestations de services aéroportuaires, au catering, au remboursement des dettes et d’arriérés, etc., qui ont atteint, au 30 avril dernier, le montant de 13,6 milliards de dinars.

Pour préserver sa trésorerie actuelle de 65 milliards de dinars, l’entreprise a mis en place un plan de redressement à travers la réduction de 30% de ses frais de fonctionnement, de la suspension de ses projets d’investissement, de la réduction de ses dépenses à l’étranger».

Mais, ajoutent nos sources, parallèlement, un programme de relance des vols a été élaboré par la compagnie, en prévision de la reprise de ses activités qui reste cependant conditionnée par les décisions des pouvoirs publics et des pays destinataires de ces vols. «Il faut toutefois garder à l’esprit que cette reprise ne va pas générer les revenus habituels.

Ces derniers seront très faibles, et les dépenses seront, quant à elles, très importantes en raison des nouvelles dispositions liées à la situation sanitaire. Le déficit pour les compagnies du monde entier sera très lourd. La majorité d’entre elles sont passées par une compression de 50% de leurs effectifs, et la réduction d’une moyenne de 4 à plus de 50% des salaires pour ne pas déclarer faillite. D’ici la fin de l’année, même avec un dispositif de relance agressif, il atteindra, pour le cas d’Air Algérie, 89,6 milliards de dinars.»

7,2 millions d’euros de pertes pour la Sntf

Le transport maritime des voyageurs a lui aussi été impacté par la crise sanitaire. L’Entmv (Entreprise nationale de transport maritime des voyageurs), qui emploi 1240 travailleurs, a annulé toutes ses dessertes entre la France et l’Espagne, depuis le 19 mars dernier et ce jusqu’au 30 mai. Il s’agit de 107 traversées qui assurent le transport de plus de 47 000 voyageurs et plus de 21 500 véhicules.

Ce qui se traduit, nous explique-t-on auprès de l’entreprise, par une perte sèche de 2,5 milliards de dinars. «Le montant comprend la mévente de billets en France et en Espagne, mais aussi l’annulation des voyages durant la période de confinement. Pour l’instant, seulement 300 travailleurs sont maintenus pour assurer l’entretien et certaines tâches professionnelles.

Pour réduire les charges de l’entreprise à l’étranger, les chefs d’escale et les chefs d’agences ont été rapatriés. Un seul cadre est resté pour assurer la permanence. Jusque-là, la situation est maîtrisable. Mais si elle perdure, il est clair qu’il faudra prendre d’autres mesures», précisent nos sources.

La Sntf (Société nationale du transport ferroviaire), qui compte 13 000 employés, n’est pas dans cette situation, mais son déficit a atteint 1 milliard de dinars, soit près de 7,2 millions d’euros. Contacté par nos soins, Yacine Bendjaballah, son directeur général, explique que «le chiffre d’affaires enregistré annuellement est de 4 milliards de dinars.

Les pertes enregistrées durant les deux mois de confinement représentent 50% du chiffre d’affaires qu’a réalisé l’entreprise durant la même période en 2019. Ce déficit se creuse quotidiennement, mais l’activité du transport de marchandises assure un revenu de plus en plus important, puisqu’elle représente presque 80% de nos services».

Le directeur général précise, néanmoins, que de «nouvelles dépenses» sont venues se greffer aux charges de l’entreprise, avec l’acquisition des produits sanitaires pour les travailleurs, dont 50% ont été démobilisés et la désinfection régulières des rames ferroviaires ainsi que les campagnes d’information par affichage, sur les risques de la contamination par la Covid-19.

Le transport urbain a également été touché de plein fouet. L’Etusa (Entreprise de transport urbain et sururbain d’Alger), qui assure l’activité à Alger, a perdu 30% de son chiffre d’affaires, durant les deux mois de confinement. Ce qui est considérable pour sa trésorerie, sachant que son budget est constitué à hauteur de 50% d’aide de l’Etat et de 50% des recettes engendrées par le transport quotidien de 150 000 passagers.

Durant cette crise sanitaire, elle a libéré 2200 travailleurs, sur les 3800 qu’elle employait et assure, gratuitement, le transport du personnel médical et de l’entretien, à travers la mise en circulation de 350 bus.

«Ce qui constitue un coût supplémentaire à sa trésorerie», précise-t-on auprès de l’entreprise. Si toutes ces entreprises sont publiques et peuvent avoir l’aide de l’Etat, ce n’est pas le cas pour les transporteurs privés et leurs employés, qui se retrouvent sans aucune ressource mais avec des charges de plus en plus importantes. Président de l’Anca (Association nationale des commerçants et artisans), Hadj Tahar Boulenouar, tire la sonnette d’alarme.

Son inquiétude est légitime, sachant, que la pandémie a mis à l’arrêt 180 000 taxis et 90 000 transporteurs privés interwilayas, urbains et sururbains, sans compter les nombreux taxis qui travaillent au noir et ceux qui exercent le métier à travers les nombreuses applications téléphoniques.

Le silence «inquiétant» du ministre des transports

«Sur les 180 000 taxis et les 90 000 transporteurs privés enregistrés, il y a au moins un employé par chaque taxi et chaque bus se retrouvant à l’arrêt. Bon nombre de ces bus ont été acquis dans le cadre de l’Ansej. Leurs propriétaires sont obligés de rembourser chaque mois, sinon ils font face à des pénalités. Les chauffeurs de taxi n’ont pas de salaire fixe.

Ils vivent de leurs revenus journaliers. Habituellement, s’ils n’ont pas de rentrée, au bout du troisième jour, ils commencent à s’endetter. Ils ont des familles à charge qu’ils doivent nourrir. Comment font-ils pour vivre sans revenus durant deux mois ? Il faut penser à ceux qui ont loué la licence de transport et qui doivent s’acquitter des échéances, ceux qui ne sont pas déclarés à la sécurité sociale, etc.

C’est un drame national», déclare Hadj Tahar Boulenouar. Il s’offusque du silence inexpliqué du ministre des Transports devant cette situation. «C’est pratiquement un demi-million de travailleurs qui sont livrés à leur malheureux sort. Pourquoi le ministre des Transports ne leur parle pas et se mure dans un silence pathétique. Il doit leur parler du devenir de leur emploi, de la situation induite par les mesures de confinement et surtout de l’aide que ces travailleurs à laquelle ils peuvent avoir droit», lance Hadj Tahar Boulenouar.

Cette semaine, faut-il le rappeler, de nombreux «taxieurs» ont lancé des appels sur les réseaux sociaux, pour la reprise de leur travail et beaucoup de citoyens étaient favorables pour cette initiative qui reste tributaire des mesures barrières contre la propagation de la Covid-19. La réaction du ministre des Transports ne s’est pas faite attendre.

Dans un communiqué, Farouk Chiali, qualifie cet appel «d’irresponsable» et note qu’«au moment où l’Etat multiplie les efforts pour faire face à la pandémie de Covid-19 en limitant sa propagation et en prenant en charge ses effets négatifs sur de larges couches de la société, dont les opérateurs du transport, nous avons constaté le lancement, sur les réseaux sociaux, d’appels incitant les chauffeurs de taxi à briser le confinement sanitaire imposé pour protéger les vies humaines» puis souligne que «les revendications sont en cours de traitement au niveau des wilayas et elles seront prises en charge progressivement».

Pour le ministre, «la meilleure manière de résoudre les problèmes posés est l’adoption d’un dialogue constructif et direct avec les partenaires concernés». Or à ce jour, le département de Farouk Chiali n’a lancé aucune initiative en direction de cette catégorie de travailleurs qui activent dans le secteur privé.

En plus d’avoir causé des pertes en vies humaines et des drames sociaux, la pandémie liée à la Covid-19 a impacté lourdement le secteur du transport, qui devra attendre encore longtemps pour se relever et juguler les déficits financiers engendrés par une paralysie dont la fin reste toujours du domaine de l’incertitude.


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