Abdelhalim Tail. Médecin-vétérinaire

La surveillance sanitaire de la faune sauvage devient un impératif»



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-Comment se prémunir du danger qui provient des espèces sauvages notamment les zoonoses ?

La biodiversité est, de nos jours, confrontée à des transformations d’envergure (déforestation, surexploitation des milieux naturels, commerce exacerbé et changement climatique) qui favorisent des interactions de plus en plus fréquentes entre la faune sauvage, les animaux domestiques et l’homme. Ces interactions facilitent des échanges de pathogènes entre ces différents compartiments d’hôtes et peuvent précipiter l’émergence de maladies infectieuses pouvant avoir un impact colossal sur les élevages, la santé publique ou la conservation d’espèces animales composant la chaîne biologique.

La surveillance sanitaire de la faune sauvage devient donc un impératif dans la gestion des interactions homme-animal et comme élément stratégique indispensable en raison de son rôle épidémiologique concernant les maladies réglementées et émergentes. Tout comme les maladies animales, les actions criminelles aussi sont des sujets qui ne connaissent pas de frontières. Une réponse efficace à leur encontre et à l’éventuelle introduction délibérée de maladies au travers de frontières territoriales et politiques demande une coordination au niveau national, régional et international.

La gestion intégrée de la faune sauvage et les risques sanitaires inhérents aux interactions entre ces différents compartiments, exigerait des analyses sous l’angle de différentes disciplines, telles que l’écologie, l’épidémiologie, la sociologie et l’économie.

Pour ce faire, il est idoine en primo-intention, d’interpeller l’attention des législateurs, d’apporter leur appui aux institutions, dans l’élaboration de textes législatifs et réglementaires relatifs à la gestion et la protection de la faune sauvage, permettant ainsi la prise en compte et l’accompagnement des collectivités territoriales dans la préservation et la conception de projets d’aménagements conformes à l’accueil et la sauvegarde des écosystèmes de cette faune sauvage, répondant à des objectifs gouvernementaux dans les politiques gouvernementales de développement des territoires. Les épisodes des lâchers de la gazelle du Golf introduite sans aucun encadrement juridico-sanitaire en sont des exemples d’agression envers un écosystème et la faune qui le compose.

-N’est-il pas aussi prépondérant de définir un cadre d’actions à mener sur les domaines d’intérêt commun pour une biodiversité durable, à travers les secteurs, de la santé animale, de la santé publique vétérinaire, tout comme celui du sécuritaire, en établissant des considérations et une base permettant de garantir que la réduction des menaces biologiques représente une initiative nationale et/ou régionale de nature transversale. D’où s’impose la création d’une entité organisationnelle, de réflexion, de concertation, de proposition et d’harmonisation de textes réglementaires, assurant une réelle sécurité Zoosanitaire dont l’objectif serait la préservation des écosystèmes, et par conséquent la protection de la santé humaine.

En effet, une réponse efficace face à une situation où un agent pathogène est libéré intentionnellement exige une collaboration et une coordination des actions à mener à la fois, par toutes les entités ayant la responsabilité de réagir face à un tel événement, au même titre que les forces sécuritaires.

Cependant, il y a nécessité que ces forces que constitue la diversité institutionnelle du corps des vétérinaires se rassemblent pour travailler ensemble dans le cadre de leur Ordre trans-institutionnel, à travers un engagement proactif à créer et installer cet organe par la force d’une loi, afin d’arriver à une compréhension, une confiance, un respect et une coopération mutuels.

En parallèle, il y a cette autre nécessité d’ouvrir et encourager les possibilités d’acquisition de solides connaissances de la faune sauvage, de la biologie, du statut et de l’évolution des espèces, de leur état sanitaire, grâce aux travaux collaboratifs des vétérinaires, de par une diversification de filières, à travers les édifices formatifs (Instituts & Ecoles), ingénieurs et biologistes, sur la base de données à recueillir par des réseaux d’observation trans-institutionnels. La finalité est de faciliter les interactions entre les personnels clefs, de toutes les institutions, afin que chaque secteur puisse comprendre les rôles de chacun pour prévenir, préparer et réagir face à un évènement impliquant des agents pathogènes animaux.

-Quelles sont des éventuelles zoonoses qu’on a en Algérie ? Certains expliquent la recrudescence de la tuberculose en Algérie par le contact avec les animaux…

Devant des changements écologiques caractérisés par des mutations touchant les écosystèmes de plusieurs pathogènes, surtout dans les deux continents Afrique et Asie, et devant ce réel challenge mondial, l’analyse de la sécurité zoosanitaire devient indispensable. Depuis plus de 20 ans, des crises sanitaires se sont succédé à un rythme accéléré. Chaque fois, les insuffisances, voire même l’inexistence du système de veille et d’alerte ont été constatées et soulignées. La prise en charge, très en amont, de la gestion des problèmes sanitaires devient une nécessité et en théorie semble devenir une réalité. Toutefois, les observations montrent clairement que la population manifeste une forte inquiétude vis-à-vis des risques engendrés par ces crises. Les Algériens restent aussi très critiques sur l’information reçue, jugée insuffisante et tardive.

Si la transparence de l’information manque à l’appel, c’est sans doute la résultante des difficultés rencontrées dans la gestion de ces crises. Celles-ci proviennent notamment de la complexité, si ce n’est souvent l’absence des relations entre les acteurs institutionnels, sanitaires, sécuritaires, économiques et sociaux, non seulement à l’échelle locale, mais aussi régionale et nationale.

Grippe aviaire : un exemple de crise zoonotique, terme générique utilisé par les médias, qui recouvre l’Influenza Aviaire et les transmissions de ce virus à l’homme ou à d’autres espèces. Cette dénomination, scientifiquement inappropriée, est cependant passée dans le langage courant pour désigner l’Influenza Aviaire. La tuberculose provoquée par Mycobacterium bovis est une maladie animale réputée contagieuse, transmissible à l’homme à partir de bovins infectés par ingestion de lait, de viande ou d’abats contaminés, ou par voie respiratoire. En Algérie, la tuberculose bovine est classée dans les maladies animales de catégorie 1, maladies pour lesquelles un système permanent de surveillance et de lutte subventionnées par l’État est en place.

Ce système permet de détecter les nouveaux cas et de contrôler le statut des ruminants domestiques et des troupeaux auxquels ils appartiennent. Malheureusement, il est amputé par la conduite d’investigations sur des animaux d’autres espèces domestiques (chats et chiens) présentant des infections qui peuvent évoquer le développement de M. bovis, et par la surveillance de l’infection dans les espèces sauvages qui y sont sensibles (cervidés, blaireaux, sangliers, animaux de zoo).

Dans ce cadre, la lutte contre la tuberculose bovine est motivée par le caractère zoonotique de cette maladie. Compte tenu de l’ignorance de la prévalence de la maladie, les enjeux de santé publique sont actuellement beaucoup plus importants que les enjeux économiques.

La transmission par manipulation de gibier infecté a également été prouvée. Il a été aussi admis que l’origine des foyers sauvages est bovine. Mais, dans certaines conditions démographiques et environnementales, les populations de mammifères sauvages infectées peuvent ensuite entretenir à elles seules M. bovis, devenant ainsi des hôtes réservoirs du bacille (réservoirs primaires), et éventuellement retransmettre la TB aux bovins (transmission retour). C’est le cas du sanglier, qui constitue une piste jamais explorée.

Dans d’autres situations, les mammifères sauvages peuvent constituer des réservoirs secondaires de l’infection ; celle-ci disparaissant naturellement si le réservoir primaire est éradiqué. Enfin, les animaux sauvages peuvent aussi être des culs-de-sac épidémiologiques, incapables d’entretenir ni de transmettre la maladie. Dans tous les cas, l’installation d’un réservoir sauvage persistant met en péril les programmes de lutte chez les bovins. Vue la recrudescence de la maladie, maintes interrogations s’imposent en matière de détection et de gestion des foyers.

La complexité, voire l’absence de partage des tâches entre les directions centralisées des institutions et les directions décentralisées, en transversal et/ou en vertical, s’est avérée proéminente, notamment dans la gestion de ces crises sanitaires, et met en évidence des problèmes majeurs : les compétences et moyens techniques destinés à une veille sanitaire restent dispersés, voire inopérants, entre les directions centralisées et décentralisées ; le pilotage des cellules inter-wilayas d’épidémiologie et d’intervention, placées sous une autorité mixte, scientifique et administrative, pas assez structurée ; le niveau de spécialisation exigé par la réponse aux urgences sanitaires nécessite une plus grande mutualisation des fonctions médicales et enfin en cas de crise, les walis ne peuvent pas toujours s’appuyer sur les compétences disponibles dans la région ; faute d’une organisation régionale préalable.

Pour la plupart des maladies visées, la détection et la maîtrise précoce d’un foyer primaire constituent un point essentiel du dispositif de lutte. La vigilance de tous les acteurs est capitale. Or, il est délicat de l’entretenir sans veiller à maintenir des compétences et une expertise vétérinaire pour ces maladies, le plus souvent méconnues.

-Le contact avec les animaux se fait également par le biais de l’élevage. Y a-t-il des normes régissant ces animaux de rente. Comment se fait concrètement le suivi sanitaire de cette catégorie d’animaux ?

Un constat aussi sévère se justifie probablement par le manque de moyens dont souffrent les services vétérinaires. On compte environ 3000 vétérinaires des services officiels et plus de 10 000 vétérinaires libéraux. En outre, selon plusieurs observations, il semble que les relations entre les éleveurs et les vétérinaires libéraux deviennent de moins en moins étroites.

La connaissance des exploitations par les vétérinaires officiels serait également de moins en moins précise, à cause de l’inexistence d’un plan de caractérisations des élevages, et l’absence endémique d’un processus d’identification du patrimoine animalier. Nonobstant les lacunes du contrôle en rapport avec l’importance des mouvements d’animaux. Au demeurant, elles vont de pair avec des carences dans le recensement des animaux et des élevages eux-mêmes.

L’absence d’identification des animaux de rente et d’enregistrement de leurs ventes sur les marchés à bestiaux serait aussi, sans nul doute, un des facteurs favorisant la dissémination des virus, d’autant que l’activité des principaux marchés de bétail serait à son comble, peu avant la préparation de la fête de l’Aïd El Adha et suite aux campagnes d’agnelage. En outre, les mouvements d’animaux sont aussi renforcés par la période des campagnes de vaccination, préalable à l’attribution des subventions de l’état.

Aujourd’hui, le rapport de l’homme et de l’animal est au cœur d’un débat éthique et moral. La question du droit de l’animal, notamment domestique, relative au «bien-être» se pose avec acuité, et le statut juridique de l’animal est d’ailleurs inexistant, à un moment où l’évolution sociétale prenne un rythme effréné ; en particulier, l’abattoir, lieu de mise à mort des animaux destinés à être transformés en viande ; une enceinte qui cristallise de nombreuses préoccupations sociétales sur le bien-être animal, d’une part et la santé publique vétérinaire d’autre part ; une enceinte paradoxale, de transformation d’un être vivant et sale en une viande propre à la consommation, en plus du vétérinaire hygiéniste, le regard d’un sociologue peut s’avérer utile.

Il s’agirait de caractériser les relations «homme- animal» et de les analyser à la lumière de la mise en place de réglementations sur le «bien-être animal».

 

Entretien réalisé par  Djedjiga Rahmani

 

Bio-express

Diplômé de l’Ecole nationale vétérinaire d’Alger, en 1990, puis Master professionnel en développement des produits de santé (spécialité vétérinaire), Faculté de pharmacie de Limoges 2008, il a occupé un poste de vétérinaire inspecteur à la Direction des services agricoles (DSA) de Tipasa. Il se dirige vers la fonction libérale en tant que praticien libéral à la wilaya de Tipasa, comme Directeur technico-commercial / la distribution de médicaments vétérinaires (Qualifications / Validations Techniques en industrie pharmaceutique). Il s’est également intéressé aux questions liées à l’environnement. Il est en outre président d’une association à caractère environnemental.


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