Subvention des carburants routiers en Algérie

Quels enseignements peut-on tirer des expériences de certains pays ?



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La réforme des subventions des carburants est d’actualité, depuis quelques années, dans plusieurs pays pétroliers. Elle est conçue avec l’adoption de mesures d’atténuation en faveur des ménages à faible revenu et pour les entreprises, afin de garantir sa pérennité et d’assurer l’équité sociale.

Cette contribution vise à mettre la lumière sur les distorsions liées aux subventions et sur les réformes poursuivies par quelques pays pour réduire le coût budgétaire des subventions en atteignant un meilleur résultat en termes de protection sociale, pour un volume de ressources publiques moindre. Les expériences de ces pays peuvent servir à l’Algérie qui a choisi depuis quelques années et plus particulièrement à travers la LFC 2020 de se désengager graduellement de la subvention des carburants routiers.

1-.Objectifs des subventions à l’énergie

Les politiques de subvention à l’énergie poursuivent divers objectifs qui sont d’ordre politique, socioéconomiques et environnementaux. La promotion du secteur industriel, l’équité sociale et la protection de l’environnement sont les plus importants objectifs. Les subventions sont beaucoup plus utilisées dans les pays en développement afin de réduire la pauvreté et de stimuler le développement économique et social grâce à un accès à des prix abordables de l’énergie. Ces subventions supportées par l’État prennent diverses formes ; soit par des transferts directs depuis le budget, ou en assumant une partie des risques, par des instruments fiscaux (allègement fiscal, fiscalité différenciée, tarifs d’importation, etc.) et par des instruments règlementaires (contrôle des prix à la consommation, quotas d’importation, etc.).

La subvention des carburants routiers occupe la plus importante part dans la politique de subvention de l’énergie. Une telle politique fait de l’Algérie le sixième pays au monde en termes de prix le moins cher des carburants et arrive derrière le Venezuela, l’Arabie saoudite, la Libye, le Turkménistan et le Koweït. Contrairement à ces pays, les autres pays riches en pétrole ont entrepris une politique de réduction des subventions avec un système de quotas en Iran en limitant le nombre de litres subventionné par ménage et un alignement progressif au prix du marché international pour d’autres pays ; Russie, Nigeria, Yémen, Émirats arabes du golfe. Toutefois, deux pays se distinguent par une stratégie de prix le plus élevé au monde pour rationaliser la consommation du carburant ; il s’agit d’un pays producteur du pétrole qui est la Norvège et d’un pays importateur qui est la Turquie.

2-.Prix des carburants routiers par catégorie de pays

Le niveau des prix des carburants n’est pas systématiquement lié à la position du pays en question en tant qu’importateur ou producteur de ces énergies. Nous citons à titre d’exemple la Norvège et les États-Unis qui sont des pays producteurs, mais les prix sont plus élevés qu’ailleurs. Principalement, nous pouvons classer les pays en trois catégories :

1-D’abord, les pays qui dépendent en grande partie des importations et qui taxent les produits pétroliers pour limiter la consommation et la dépendance énergétique. Dans cette catégorie les prix des carburants sont évidemment plus chers ;

2-.Ensuite, nous avons les pays producteurs qui taxent les carburants, ce qui augmente leur prix, mais qui restent malgré inférieurs à ceux du premier ensemble décrit précédemment. On trouve dans cette catégorie les États-Unis en tête où les taxes sont réduites, car l’utilisation de véhicules individuels est une tradition fortement établie ;

3-.Enfin, le dernier groupe est composé des pays producteurs qui subventionnent leur énergie à des taux différents. Ces derniers sont illustrés dans la figure suivante. On constate que les pays au fort taux de subvention sont : le Venezuela, l’Iran, les pays du golf, l’Algérie et la Lybie. Dans beaucoup de ces pays, il paraîtrait anormal au consommateur de payer cher pour un produit qui sort de son sous-sol.

 

3-.Les distorsions de la subvention et les réformes à travers quelques exemples de pays.

Il est évident que la subvention de l’énergie permet aux divers utilisateurs de bénéficier de prix plus abordables, mais elle crée de l’autre côté des distorsions et des effets négatifs. D’un côté, les subventions générales au prix se traduisent par une augmentation des revenus des catégories sociales les plus riches proportionnellement plus importante que pour les catégories les plus pauvres puisque les plus riches consomment davantage de biens subventionnés. De l’autre coté, les prix bas de carburent encouragent la consommation interne (et le trafic frontalier) qui se fait au détriment de l’exportation ce qui revient à réduire les recettes du pays exportateur. L’effet financier qui en résulte est important dans la mesure où cette subvention implique plus de dépenses (charge budgétaire) et réduit les recettes d’exportation. À titre d’exemple, la consommation du carburant en Arabie saoudite est de 50% supérieure à celle de la France pour une population inférieure à plus de 50%.

Afin de limiter les effets négatifs des subventions, des réformes sont mises en place dans plusieurs pays depuis quelques années. Ces reformes sont réalisées avec une réduction graduelle de la subvention en mettant en parallèle des mesures d’atténuation qui visent à épargner les couches les plus défavorisées des populations. Autrement dit, ces réformes visent à réduire le coût budgétaire des subventions en atteignant un meilleur résultat en termes de protection sociale, pour un volume de ressources publiques moindre.

Nous présenterons brièvement les exemples du Brésil et de l’Iran qui ont entrepris des réformes des subventions sur la base de modèles différents en ce qui concerne les mesures d’atténuation des effets de l’augmentation des prix sur les ménages. Le Brésil s’est basé sur des aides ciblées pour les familles à faible revenu, alors que l’Iran a opté pour un programme d’aide généralisé.

Au Brésil, la libéralisation des prix de tous les produits pétroliers est officiellement mise en place depuis 2002. Le gouvernement a mis en parallèle des mesures d’atténuation pour aider les familles à faible revenu sous forme de Bon d’essence et des transferts monétaires (Bolsa Escola). La réforme a connu un succès grâce à une démarche progressive d’élimination des subventions qui a permis de réduire au minimum la résistance des groupes de la population qui en sont bénéficiaires. De plus, une politique de ciblage à travers des programmes sociaux a permis de limiter les oppositions à la réforme et de garantir sa pérennité.

En Iran, la reforme des subventions énergétiques est lancée en décembre 2010. Il est considéré comme le premier grand pays producteur d’énergie à imposer d’importantes réductions des subventions indirectes et à mettre en place un programme généralisé de transferts monétaires en faveur des ménages. Les transferts ont aussi concerné les entreprises pour les aider à diminuer leur intensité énergétique. Les sommes des transferts sont issues des recettes tirées de la hausse des prix des carburants. Prés de 80% des recettes issues des hausses des prix ont été reversées aux ménages et aux entreprises sous la forme de transferts monétaires. À cette mesure s’ajoute un système de carte électronique pour le rationnement et de quota d’essence attribué aux ménages avec un prix nettement inférieur au prix du marché.

Cette réforme est limitée par les difficultés de mettre en place des aides ciblées et donc toutes les catégories sociales en bénéficient. La réforme a connu un succès partiel et a été suspendue en 2012 à cause de la hausse de l’inflation et de l’évolution défavorable de la conjoncture économique.

Dans une large mesure les transferts monétaires ont facilité l’acceptation des réformes par les populations et ont un effet redistributif de la richesse qui a bénéficié davantage pour les plus démunis avec une indemnisation qui représente une part importante de leur revenu. La rente énorme d’environ 50 à 80 milliards de $ issue de l’alignement des prix des carburants et des produits pétroliers sur le prix international en Iran a permis d’assurer un revenu minimum garanti aux plus pauvres dans ce pays.

4-.Les prix des carburants en Algérie

À l’instar de plusieurs pays riches en pétrole, l’Algérie a procédé depuis quelques années à l’augmentation des taxes sur les produits pétroliers. La dernière de ces augmentations est décidée dans le cadre de la LFC 2020 ce qui fait porter les prix des carburants au double de ce qu’ils étaient il y a cinq ans. Les augmentations pour l’année 2020 sont de 3 à 5 dinars le litre pour l’essence et le gasoil et seul le prix du GPL (9 dinars) est resté inchangé. Cette augmentation ne sera pas sans conséquence sur le pouvoir d’achat des citoyens qui sont déjà éreintés par la crise sanitaire liée au Covid-19 et ses conséquences. Cette augmentation sera poursuivie d’une augmentation générale des prix de plusieurs produits et services liés aux produits pétroliers.

En effet, étant donné que le coût du transport est une variable de la fonction de production, donc toute augmentation de celui-ci aura un effet direct sur le coût de revient et au final sur les prix de vente des biens et services. Ces augmentations auront un impact beaucoup plus important sur les ménages à faible revenu et encore plus important sur les populations urbaines plus dépendantes de ces énergies. Il convient de souligner que la surconsommation avancée comme principal argument pour cette augmentation des prix des carburants est justement provoquée par les ménages riches multimotorisés (plus d’un véhicule par ménage), et non plus par les pauvres dont les taux de motorisation sont très faibles voir nuls.

Dans ce contexte, la prise en charge des populations les plus vulnérables est nécessaire afin atténuer les inégalités sociales et assurer la pérennité à la réforme. En effet, les pays qui ont gagné l’adhésion de l’opinion publique aux réformes sont ceux qui ont mis en place des mesures d’atténuation sous forme de programmes sociaux ciblés, de transferts monétaires et de quota de consommation. Par ailleurs, la réforme doit être suivie d’un effort supplémentaire pour expliquer ses objectifs et pour concevoir un mécanisme alternatif de substitution aux subventions des prix.

Par Dr Merzoug Slimane

Enseignant-Chercheur, Université de Bejaia

Références bibliographiques

Agence internationale de l’énergie, 2012 : https://www.iea.org/

CIRED, les subventions à l’énergie dans le monde : Leur ampleur, leur efficacité et leur nécessaire recentrage, 2010. http://www2.centre-cired.fr/IMG/pdf/Finon_rapport_CFE_subventions_Energie_Monde_.pdf

FMI, études de cas sur la reforme des subventions à l’énergie : enseignements et conséquences, 2013. https://www.imf.org/~/media/Websites/IMF/imported-publications-loe-pdfs/external/french/np/pp/2013/012813af.ashx


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