Le retour des héros

Ce vendredi 3 juillet 2020 est un grand jour pour la mémoire. Pour l'Histoire, réconciliée enfin avec elle-même. Le retour des restes de ces braves patriotes, sauvagement décapités par la soldatesque coloniale, est à marquer d'une pierre blanche car il porte la reconnaissance de toute la nation au combat héroïque des chefs des révoltes populaires contre la colonisation.
Oui, ce sont les restes de véritables héros qui rentrent au pays ! Boubaghla ne s'est pas rendu comme certains. Il est allé jusqu'au bout, refusant de se soumettre à une colonisation sanguinaire et avilissante. Il a croisé le fer avec des généraux sortis des hautes écoles de la stratégie militaire de l'époque, aguerris aux combats sur les fronts européens.
Lui et ses hommes n'avaient que la connaissance du terrain et l'amour de la terre. Ils avaient aussi, pour eux, le respect et le dévouement des populations conscientes des objectifs sacrés du combat livré à l'ennemi envahisseur. Mais ils avaient aussi, contre eux, d'autres Algériens pris dans le tourbillon des luttes fratricides nourries par les vieilles rancœurs tribales. Des Algériens qui ont pris fait et cause pour le colonisateur et qui seront les plus dangereux combattants contre ces patriotes de la première heure. Et, dans ce lot de traîtres à la solde des généraux, il n'est pas surprenant de rencontrer quelques chefs de zaouïas dont beaucoup ont joué un rôle trouble durant la colonisation. Rares sont les confréries qui ont gardé le cap pour l'indépendance nationale.
Boubaghla, Bouamama, Cheikh Bouziane, Mokrani, Keblouti et tant d'autres, n'ont jamais baissé les bras ! Ils auraient pu choisir les cérémonies romantiques de l'Opéra de Paris ou la compagnie de l'impératrice Eugénie. Non, ils n'étaient pas de la race de ceux qui abandonnent leur peuple au joug de la colonisation pour aller jouer aux «humanitaires», à des milliers de kilomètres de Mezghenna, et accrocher sur leurs poitrines les galons d'une cause surréaliste au moment où la colonisation commettait ses pires crimes contre leur peuple, victime d'un des plus grands pillages de l'histoire, refoulé vers les piémonts incultes des montagnes, réduit à l'esclavage et presque totalement décimé.
Les Boubaghla, les Bouziane et tous les autres héros de ces régions rebelles qui, à peine les Ottomans criminels sortis de nos terres, durent reprendre les armes contre d'autres colonisateurs, ont écrit les plus belles pages de l'histoire de la résistance algérienne. Ils sont morts en héros et leur retour aujourd'hui, pour enfin se mélanger à l'humus de cette terre des ancêtres, est un grand moment de reconnaissance à leur juste combat et une preuve de profond respect et d'hommage national à leur inestimable contribution à la libération de l'Algérie. Les graines qu'ils ont semées ont connu une germination tardive, au cours des saisons de feu et de sang, sous le signe d'un Novembre aux couleurs d'espoir et de liberté. Boudiaf, Ben Boulaïd, Ben M'hidi, Abane et les autres pères de la Révolution ont bien saisi le message de ces grands martyrs décapités. Ils ont compris que le peuple algérien ne doit pas finir comme les Indiens d'Amérique, décimés par la civilisation "chrétienne" et dont les survivants sont parqués dans les réserves, vivant en marge de la vie politique, économique et sociale de la dynastie des descendants de colons.
Après les anciens esclaves noirs, qui réveillent la conscience engourdie de l'Amérique, justice sera-t-elle enfin rendue à ces authentiques habitants du continent américain ?
Leur sort devait être le nôtre. Gloire éternelle aux héros, à tous les héros qui ont dévié le sens de l'histoire pour que les autochtones algériens ne soient plus étrangers sur leur sol, pour que fleurisse la dignité et le progrès aux quatre coins de l'Algérie, pour que le soleil de la liberté brille pour tous...
Maâmar Farah