Emotion et hommage populaire aux résistants rapatriés



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Grosse émotion hier au palais de la culture Moufdi Zakaria, sur le plateau des Anassers, où étaient exposés les cercueils contenant les restes mortuaires des 24 héros de la résistance populaire, qui ont été rapatriés ce vendredi, afin de permettre aux Algériens de saluer leur mémoire avant leur inhumation, ce 5 juillet, au cimetière El Alia.

Première image qui nous frappe en arrivant sur les lieux : la longue file d’attente qui s’est formée depuis le parking jusqu’à l’entrée latérale du palais de la Culture. Des jeunes, des vieux, des vieilles, des filles, des femmes, des familles entières avec leurs enfants, des personnes à mobilité réduite…

Certains ont même fait le déplacement depuis des wilayas éloignées, sous une chaleur accablante, pour se recueillir affectueusement à la mémoire de ces noms mythiques : Mohamed Lamjad Ben Abdelmalek, dit Cherif Boubaghla, Cheikh Bouziane, Moussa Ederkaoui, Mokhtar Ben Kouider Al Titraoui, Amar Benslimane, Mohamed Ben El Hadj, Belkacem Ben Mohamed El Djenadi, Ali Khelifa Ben Mohamed, Keddour Ben Yettou, Essaid Ben Delhis de Beni Slimane, Saadi Ben Saad, sans oublier les combattants non identifiés. Les cercueils étaient exposés dans le hall central, recouverts de l’emblème national, une gerbe de fleurs posée au pied de chacun d’eux.

Un portrait du vaillant Cherif Boubaghla surplombait l’un des cercueils. Des éléments de la Garde républicaine veillaient sur le périmètre, tandis qu’en face, une armada de caméras filmaient méticuleusement les défilés incessants de citoyens et d’officiels qui traversaient le tapis rouge déployé au milieu du hall avant de s’incliner humblement devant ces pionniers de la résistance anticoloniale en récitant la «Fatiha». Des versets coraniques étaient diffusés sans discontinuer.

«J’enseigne l’histoire de ces héros à mes étudiants»

Des agents veillaient à organiser les flux de façon à ne pas saturer l’espace et s’assurer du respect de la distance sanitaire. La plupart des visiteurs portaient un masque de protection, de même que les éléments de la Garde républicaine et les agents d’accueil.

Les visiteurs sortaient souvent bouleversés de cet aparté fulgurant avec l’histoire, et beaucoup d’entre eux fondaient en larmes, ayant du mal à contenir leur émotion. Une vieille femme caressait délicatement le drapeau recouvrant un cercueil.

Les marques d’affection et de gratitude s’exprimaient en vérité dans les moindres gestes, de la part des descendants de ces vaillants chouhada. Il y avait aussi des images joyeuses avec, à la clé, les inévitables selfies et les interminables séances photos pour immortaliser ce moment. On pouvait entendre également des youyous qui fusaient pour célébrer ce retour au bercail hautement symbolique.

Fayçal, la quarantaine, originaire de Skikda, est accompagné de son fils Alaa, 11 ans. «On est venus de loin et on a fait la queue, mais c’est la moindre des choses. On le doit à ces grands hommes. Le fait que ces valeureux résistants reviennent à leur pays, c’est quelque chose de grandiose. J’ai tenu à venir avec mon fils afin de lui inculquer l’idée que le drapeau, la patrie, la Révolution… ce sont des symboles très importants. C’est pour ces jeunes qu’on est là, pour leur transmettre ces valeurs», nous dit Fayçal.

Voici une autre famille qui s’est déplacée au complet : la maman, le papa et leurs deux adorables petites : Amira et Amani. Il s’avère que le papa est professeur d’histoire à l’université d’El Oued. Son nom : Abdelkader Kerkar. «Il était important pour moi de venir avec ma famille. Je suis docteur en histoire contemporaine, je suis d’ici, d’Alger, et j’enseigne à l’université d’El Oued. Ça n’aurait aucun sens que je ne les ramène pas. J’enseigne à mes étudiants l’histoire du chahid Bouziane, de Moussa Ederkaoui… et quand on les rapatrie, je ne viens pas me recueillir à leur mémoire ?» lance-t-il.

Et de souligner : «Il y a encore beaucoup de restes à rapatrier. Il y a la question des archives aussi, sans oublier le canon Baba Merzoug, qui est un grand symbole. Il y a également les clés des portes de La Casbah, les trésors pillés et emportés par la France en 1830. Inch’Allah ce n’est que le début.»

«Nous sommes en droit de réclamer tous les autres corps»

Parmi les personnes les plus sollicitées hier, au palais de la Culture : maître Fatima-Zohra Benbraham. Et pour cause : voilà des années que l’avocate se bat, elle aussi, pour le rapatriement des restes de nos héros. Elle nous confie que pendant longtemps, elle s’est sentie seule dans ce combat. «Oui, je me suis sentie seule pendant longtemps, très longtemps.

J’ai été même traitée de folle par des Algériens, par des confrères qui m’ont dit : ‘‘Mais qu’est-ce que tu vas chercher ? Fiche la paix à la France !’’ J’ai dit : ‘‘La France ne nous a jamais fichu la paix, alors, je ne ficherai pas la paix à la France !’’» martèle l’avocate. Détaillant la procédure qui a permis ce rapatriement, elle explique : «Nous avons un précédent, à savoir les têtes des maories restituées à la Nouvelle-Zélande. Il y a aussi la déesse noire Hottentote, qui a été restituée à l’Afrique du Sud par le biais de Mandela.

Les deux cas ont fait l’objet de deux lois de l’Assemblée nationale française. Après cela, il y a eu un texte de l’Unesco. C’est la loi sur la bioéthique. Celle-ci dit clairement que tout reste humain ne doit pas être enfermé dans des musées, il doit être déclassifié, et ces restes doivent être inhumés et avoir un enterrement honorable. Ainsi, la loi sur la bioéthique nous a permis de revenir sur la revendication de restitution des crânes et de dire : ‘‘Ce sont des humains, ils ont des descendants en Algérie, ils ont une patrie, ils ont combattu pour une cause noble, pour l’Algérie’’.»

«Etant donné qu’il y a cette série de lois, on est obligés de les appliquer et de restituer ces corps à leur pays d’origine», insiste Me Benbraham. D’après elle, «ce n’est pas le politique» qui a permis cette restitution, «c’est le juridique». «Face à la loi, ni Macron ni quelqu’un d’autre ne peut dire : ‘‘On va ignorer la loi sur la bioéthique et les conserver plus longtemps’’.» Et de préciser : «Ces corps sont ici à la faveur de textes de loi, d’un travail très poussé de juristes. J’ai commencé ce travail en 2012, il vient juste de se terminer.

Mais en fait, il n’est pas encore terminé.» Maître Fatima-Zohra Benbraham est déterminée à poursuivre ce combat jusqu’au bout. «Toujours en exécution de la loi bioéthique, nous sommes en droit de réclamer et de recevoir tous les autres corps», déclare-t-elle, avant d’ajouter : «Etant donné que ces corps sont sortis d’Algérie, ils doivent revenir en Algérie. La seule condition imposée est de leur donner une sépulture digne et honorable. C’est-à-dire qu’il est interdit de les faire venir et de les exposer dans un musée. Si on les fait venir, il faut les inhumer. Et c’est ce qui va se passer avec ces crânes.» Allah yerham echouhada…


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