Karim Boudechiche. Comédien et metteur en scène au Théâtre de Constantine

«Le 4e art ne pourra être qu’une affaire de professionnels»



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Produite en 2019 par le théâtre régional d’Oum El Bouaghi, la pièce Tin Hinan, en tamazight, mise en scène par Karim Boudechiche, d’après un texte en chaoui du Dr Leila Benaicha, avait fait sensation lors de la 11e édition du festival national du théâtre amazigh organisée à Batna au mois de février dernier.

L’avant-première, qui a été présentée au Théâtre de Constantine avant le confinement, a connu une belle adhésion du public. Il s’agit d’un travail de fiction qui raconte sous une nouvelle vision le parcours de cette personnalité mythique dans l’histoire de l’Algérie.

La pièce offre un spectacle basé sur l’esthétique de l’image scénique et non pas sur la vérité historique. Le personnage de Tin Hinan symbolise toutes les femmes, qu’elles soient Amazighs, Numides ou Algériennes libres qui sont toujours prêtes à défendre leur terre et leur honneur. «J’ai travaillé sur la symbolique de la femme résistante sur cette terre numide, en imaginant la présence de Tin Hinan en face des Romains, bien qu’historiquement, ils ne se sont jamais rencontrés, mais j’ai voulu mettre en évidence cette symbolique.

C’est aussi une œuvre à travers laquelle j’ai tenu à rendre hommage au combat de la femme algérienne à travers l’histoire notamment à des personnalités comme la reine berbère Dihya, connue sous le nom de Kahina et Lalla Fatma N’soumer», notera Karim Boudechiche. Malgré les contraintes techniques rencontrées lors du festival, selon son metteur en scène, la pièce a réussi à décrocher le prix du meilleur rôle féminin pour Zoulikha Talbi, le prix du meilleur second rôle pour Soumia Bounab et le prix de la meilleure musique pour Abdeladhim Khomri, alors que l’œuvre a été nominée pour le prix de la mise en scène et celui du 1er rôle masculin pour Hichem Guergah.

C’est dire que la moisson a été très encourageante pour un metteur en scène qui continue de faire ses preuves dans le théâtre d’expression amazighe par cette deuxième expérience, après celle de L’Amenokal (qui veut dire le chef suprême) produite par le Théâtre régional de Constantine (TRC) en 2015 et qui demeure une première dans l’histoire de cet établissement culturel. «Pour produire cette pièce, j’ai décidé de voir Aïssa Redaf, comédien à la retraite et ancien scénographe au TRC pour me proposer un texte en chaoui ; ce dernier m’avait confié une version en arabe de sa nouvelle El Bernous, écrite en chaoui et publiée en 1980 dans la revue Izouran, paraissant à Tizi Ouzou, et c’est comme ça que j’avais commencé à étudier le texte, que j’avais trouvé très intéressant et j’avais décidé ainsi de l’adapter au théâtre», confie Karim Boudechiche.

Un riche parcours

Très jeune déjà, Karim Boudechiche a montré une vraie passion pour le théâtre. Né en 1968 à Constantine, il avait fait ses premiers pas dans des troupes d’amateurs, avant de rejoindre l’ex-école des cadres, devenue l’Institut de formation des cadres de la jeunesse. Deux années de formation qui feront aiguiser ses talents dans les arts dramatiques, notamment l’interprétation et la mise en scène, pour lesquels il poursuivra sa carrière au sein de l’Institut entre 1992 et 1997 en tant qu’enseignant aussi pour les techniques d’animation et la culture théâtrale.

Karim avait déjà montré ses talents de comédien au sein de la troupe de l’association Ahl El Masrah avec laquelle il avait commencé dans sa première pièce El Khorba en 1986, alors qu’il avait juste 18 ans, avant de s’illustrer en 1987 avec la même troupe dans la pièce Le retour d’Al Halladj, coproduite avec le TRC, d’après un texte du Tunisien Azeddine El Madani et une mise en scène de l’Irakien Fares El Machta. Il prendra part en 1989 aux côtés de Hakim Dekkar et le regretté Mourad Messahel à la pièce Al Makhdoû (Le trahi), d’après un texte de Rachid Bouchair, adapté par Kamel Eddine Ferrad, et une mise en scène de Fares El Machta. Sa première apparition dans une production du TRC aura lieu en 1993 avec La dernière chanson mise en scène par Hassan Bouberioua, d’après une œuvre d’Anton Tchekhov.

Sa montée en puissance se fera remarquer à travers son premier grand rôle au TRC dans la pièce Massinissa, produite en 1999 d’après un texte de Azzedine Mihoubi et une mise en scène du regretté Abdelhamid Habbati, une pièce qui sera rejouée en 2005. Mais le rôle qui sera sûrement le plus remarquable dans la carrière de Karim Boudechiche est sans conteste celui de Saad Bendjaballah, tombé amoureux de la belle Nedjma dans l’œuvre magistrale El Boughi, produite en 2003 d’après un texte de Yahia Boulakroune et une mise en scène de Hassan Bouberioua. Karim ne se limitera pas à l’interprétation.

Il tentera la mise en scène avec la Coopérative Mohamed Djellid dans la pièce Point à la ligne, en 1996, puis Leila maa majnoun (Une nuit avec un fou) coproduite par le TRC et l’association Nadi Elliqa Ethaqafi en 1999, d’après un texte du défunt Abdelkader Alloula, suivie en 2001 par la pièce Parking, corproduite par le TRC et la coopérative Numidia arts, d’après un texte de Guy Folssey. Karim Boudechiche a également travaillé avec d’autres théâtres régionaux, dont ceux d’Annaba dans la pièce Benboulaid, Oum El Bouaghi dans Soirée à Paris et Skikda dans La fleur maudite.

Il entamera sa première expérience dans le théâtre d’expression amazighe avec L’Aménokal produit en 2015 par le TRC, avec lequel il a également mis en scène Ennaib El Mouhtarem, en 2015, puis Leilat dam (Une nuit de sang) en 2016, puis Bracage Kharaib et Calédonia, avec le théâtre de Guelma en 2018, avant de s’illustrer dans Tin Hinan en 2019, avec le Théâtre régional d’Oum El Bouaghi. Sa carrière ne se limitera pas au théâtre puisque il sera sollicité pour jouer des rôles dans plusieurs feuilletons télévisés à travers lesquels il sera découvert par le public, notamment dans Chadjaret Essabar, Al Koussouf, Forsane El Hoggar, Taouk ennar, et autres. Il réalisera également à partir de 2013 pour la télévision Hadaik El Yassamine et Family show.

Mettre en valeur le patrimoine amazigh

«Nous devons définir les objectifs du théâtre d’expression amazighe, qui ne doit pas s’inspirer, selon ma vision, du répertoire universel, mais il doit puiser de notre histoire et notre mémoire collective profondément amazighes pour mettre en valeur notre identité, notre patrimoine, nos origines et notre culture», insiste Karim Boudechiche qui appelle à ouvrir la voie pour un théâtre-laboratoire afin d’expérimenter de nouvelles formes d’expression.

Revenant sur son expérience comme metteur en scène, Karim soutient qu’il s’attelle toujours dans ses œuvres à créer une ambiance théâtrale avec une sensation cinématographique. «A travers le travail d’éclairage, du son, de la scénographie, des costumes, j’essaie d’apporter des éléments nouveaux pour donner au public la sensation de regarder un film», explique-t-il.

C’est une nouvelle vision qu’il dit avoir développée dans ses dernières pièces à l’instar de Ennaïb el mouhtaram (Le député respectable), Leïlat dam (Nuit de sang), Bracage Kharaïb et Calédonia, produites avec la Coopérative Mohamed Djellid. Abordé sur la problématique de la diffusion du produit culturel, Karim regrette que des pièces théâtrales, ayant connu un grand succès populaire, ne soient pas connues du grand public à travers les wilayas du pays.

Certaines d’entre elles ne sont présentées qu’en certaines occasions avant d’être remises au placard. «C’est regrettable pour les amoureux du théâtre car une pièce est censée être présentée des dizaines de fois et même plus comme cela se fait dans d’autres pays, mais le problème financier demeure toujours le principal handicap pour le théâtre algérien, dont des œuvres célèbres sont toujours inconnues des jeunes.

Il est également déplorable qu’en 2020, l’Algérie ne dispose que d’un seul institut des arts dramatiques à Bordj El Kiffan», déplore-t-il. «Le théâtre en Algérie ne pourra être qu’une affaire de professionnels», révèle-t-il, tout en appelant à encourager les troupes indépendantes.

Karim se dit surtout optimiste quant au changement opéré à la tête du ministère de la Culture au vu des idées de la ministre et son projet culturel qui répondent aux aspirations des artistes, espérant que cela donnera le souffle tant espéré pour le théâtre algérien, pourvu que ce dernier soit débarrassé des opportunistes et des intrus.


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