Arezki Ighemat . Économiste

«Créer un climat de confiance qui stimule les entrepreneurs potentiels»



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Arezki Ighemat, PhD en économie et titulaire d’un master of Francophone Literature (Purdue University, USA) analyse dans cet entretien les mesures continues dans le plan de relance de l’économie. Il aborde également les conditions nécessaires pour sa réussite et les défis à relever dans ce double contexte de crise sanitaire et économique.

 

-L’entreprise est au centre des débats actuellement. Des mesures pour l’encouragement des petites industries sont prévues dans le cadre du plan de relance de l’économie. Comment faire pour ne pas rater le cap encore une fois ?

Le débat sur l’entreprise ne date pas d’aujourd’hui. Il remonte à l’ère dite «socialiste» des années 1960-70. Depuis la fin 1970/début 1980, des réformes économiques étaient entreprises par les gouvernements pour libérer les entreprises du joug des barrières de toutes sortes entravant leur fonctionnement. En effet, le poids de ces obstacles était tellement lourd pour les entreprises des deux secteurs que leur performance était affectée. Diverses mesures étaient adoptées par les gouvernements pour arrêter l’asphyxie des entreprises : subventions de l’Etat, restructuration, mise à niveau, assainissement, etc., mais ces mesures n’ont pas conduit à relancer l’économie comme le souhaitaient les gouvernements.

Ces mesures n’ont pas réussi non plus à insérer le secteur informel qui, selon certaines sources, représenterait près de 40% de l’économie nationale. Cette situation a été, bien sûr, aggravée depuis mars 2020 par la pandémie de la Covid-19 qui a obligé certaines entreprises à fermer ou à fonctionner au minima de leurs capacités habituelles, entraînant un chômage massif qui s’ajoute à celui déjà énorme que connaît le pays. Pour réduire les effets désastreux de la pandémie sur l’économie, le gouvernement actuel a pris certaines mesures d’urgence pour aider les entreprises les plus affectées. Parallèlement à cela, il a aussi pris des mesures spéciales ayant pour but la création de micro-zones industrielles et de start-up.

Il encourage aussi la collaboration entre les nouvelles start-up et les entreprises d’Etat en difficulté, en vue de redonner vie à ces dernières. Pour «booster» la création de start-up, le nouveau ministère envisage la création d’un Conseil national de l’innovation et d’une Cité des start-up qui constituerait «un centre de technologies multiservices à haute attractivité pour renforcer la place de l’Algérie en tant que pôle africain en matière de création d’innovation» (Yassine Djeridène, ministre de la Microentreprise, des Start-up et de l’Economie du savoir, Ecofin, 4 février 2020). Les nouvelles mesures d’encouragement de la petite industrie et des start-up prévoient aussi la création d’un fonds destiné à financer l’innovation. Pour que ces mesures puissent aboutir à une véritable relance de l’économie, un des éléments essentiels est de créer un climat de confiance qui stimule les entrepreneurs potentiels algériens (résidents et diaspora) à se lancer dans cette bataille du développement.

Pour cela, il est nécessaire de simplifier au maximum les procédures administratives, lutter contre la corruption, tout en dépénalisant les actes de gestion, faciliter l’accès au financement bancaire, avoir un système juridique stable, et établir une gouvernance transparente encourageant la participation de la population, notamment des jeunes. Un tel climat encouragerait les entrepreneurs nationaux (résidents et diaspora) et attirerait l’investissement étranger qui pourrait «booster» la relance.

-Quel serait l’impact de la dépénalisation de l’acte de gestion sur la gestion du secteur public sans un management de qualité ?

Il faut rappeler que jusqu’à maintenant, les entreprises et leurs dirigeants étaient assujettis à la fois au droit commercial et au droit pénal et pouvaient être sanctionnés pour les «fautes de gestion» comme les fautes relevant du droit pénal. La moindre erreur de gestion, réelle ou supposée, pouvait conduire à l’emprisonnement d’un chef d’entreprise ou de ses co-gestionnaires. La dépénalisation a pour but de faire que l’acte de gestion soit soumis seulement au droit commercial et au droit du travail, seuls codes légaux devant s’appliquer aux actes de gestion stricto sensu. Avec la dépénalisation, les actes de gestion sont donc soustraits à l’emprise du droit pénal. La dépénalisation permet, ainsi, de supprimer l’épée de Damoclès qui pendait constamment sur chaque gestionnaire et de libérer l’initiative qui a été étouffée pendant plusieurs décennies. Elle doit avoir pour but de mettre fin à la paralysie que les entreprises publiques connaissaient jusqu’à maintenant et qui faisait que les gestionnaires ne prenaient aucune décision qui présentant un risque. Le résultat est que nos gestionnaires ne pouvaient pas être de véritables entrepreneurs de type Schumpeterien, c’est-à-dire des «risk-takers».

C’est ce qui explique aussi la faible performance de nos entreprises publiques et leur dépendance de la tutelle pour la moindre décision. Cependant la dépénalisation ne signifie pas que les entrepreneurs seraient indemnes de toute sanction pénale. En effet, il y a des actes dépassant le cadre du droit commercial ou du droit du travail et relevant du droit pénal. Lorsqu’un entrepreneur dilapide les deniers publics par exemple, il doit être soumis au droit pénal. Il faut donc que, dans le cadre de la législation sur la dépénalisation, le législateur précise la frontière entre les actes de gestion ordinaires relevant du droit commercial et du droit du travail et ceux relevant du droit pénal.

Cette précision pourrait mettre fin aux sanctions d’entrepreneurs pour «excès d’initiative» ou «prise de risques» et en même temps lutter contre la corruption. Par conséquent, pour éviter que «le» politique s’immisce dans l’économique, un travail similaire à celui fait pour la révision constitutionnelle doit être entrepris par un groupe de travail ad hoc de juristes et d’économistes devant aboutir à une définition précise des actes de gestion. Il faut souligner aussi que la dépénalisation ne doit pas concerner uniquement les entreprises publiques mais aussi les entreprises privées dont les gestionnaires subissent les mêmes contraintes que ceux des entreprises étatiques et qui sont aussi susceptibles, au même titre que les entrepreneurs publics, d’abus et de corruption comme le montrent les procès actuels de Ali Haddad, des frères Kouninef et autres.

Dans ces procès, en effet, il est difficile de savoir ce qui relève du «politique» (des règlements de comptes) et ce qui tient de l’acte de gestion. Pour avoir un management de qualité, il est donc nécessaire de supprimer cette «épée de Damoclès» qui pend sur les entrepreneurs et leur permettre de prendre des initiatives et des risques, qui sont le propre même de l’acte de gestion. Une fois cette contrainte levée, le second déterminant d’un management de qualité est la formation des managers qui exige la création de «business schools» de qualité. C’est ce que souligne Peter Drucker, le gourou du management : «La ressource ultime du développement économique est la ressource humaine. C’est la ressource humaine, pas le capital ou les matières premières, qui développe l’économie ».

-L’intégration de l’économie nationale dans les chaînes de valeur mondiales et son insertion dans la finance internationale est-elle possible ?

L’Algérie a vécu plusieurs décennies en vase-clos en dépit des réformes économiques et politiques entreprises depuis le début des années 80’ et des avantages comparatifs énormes qu’elle possède : position géostratégique la reliant à l’Afrique, à l’Europe et au Moyen-Orient ; ressources énergétiques considérables en hydrocarbures et revenus en devises tirés de leur exportation ; ressources humaines non négligeables, notamment sa jeunesse ; potentialités touristiques, etc. Toutes ces ressources la disposent normalement pour un développement intégré au niveau national et international. La réalité est que, en dépit de ce potentiel, l’Algérie demeure à la traîne dans beaucoup de domaines, dont le plus important est celui des technologies nouvelles et de l’économie du savoir.

En effet, pendant que les autres pays développent les industries de l’information et ce qu’on appelle les «Dot.com» et les services (audiovisuel, édition, loisirs, voitures électriques, etc., l’Algérie compte encore exclusivement sur l’exportation des hydrocarbures. Comme le souligne Hachemi Siagh, expert en management et finance internationale, «il faudra prendre garde à ce que la conception d’une stratégie de développement ne soit pas faite par et pour la génération de la machine à écrire mais par et pour la génération des réseaux sociaux, du digital, de la technologie de l’information et du virtuel, c’est-à-dire la génération de l’intelligence artificielle qui partage les mêmes valeurs que leurs grands-parents qui gouvernent toujours» (EcoTimes, 13 septembre 2020). Siagh dit encore : «Les jeunes [Algériens] sont fascinés par les Mark Zuckerberg [CEO de Facebook], Jeff Bezos [CEO de Amazon.com], Jerry Yang et David Filo [inventeurs de Yahoo], etc. C’est dans ce monde que nos jeunes veulent travailler», pas celui des révolutions industrielles et encore moins de la révolution agraire de leurs arrière-grands-parents.

En effet, les dirigeants algériens ne veulent pas comprendre – parce que soucieux de garder les privilèges de la rente pétrolière – que les matières premières, telles que les hydrocarbures, ont une fin de vie. Par conséquent, si l’Algérie veut rejoindre le concert des nations développées, elle doit investir dans les technologies de demain et non celles d’hier.

Elle doit notamment stimuler les jeunes à créer des start-up dans les domaines des dot.com, des services et des technologies nouvelles de l’information. Pour s’intégrer dans les nouvelles chaînes de valeur mondiales et dans l’économie globale, il lui faut aussi maîtriser les nouveaux mécanismes de la finance internationale. Les nouvelles PME et start-up ne pourront, en effet, s’insérer dans un monde globalisé et interconnecté que si elles maîtrisent les nouveaux produits financiers qui sont utilisés dans les relations commerciales internationales : cartes de crédit, e-commerce, e-banking, etc. Quand on pense qu’en Algérie, le chèque n’est toujours pas utilisé dans le commerce local et que le dinar n’est pas convertible – même s’il existe un marché noir de devises – on peut dire que l’intégration de l’Algérie dans la finance internationale n’est pas pour demain.

-Entre les mesures d’urgence face à la crise sanitaire et la mise en œuvre du plan de relance, comment procéder financièrement ?

Il faut d’abord rappeler le contexte dans lequel ces mesures d’urgence et le plan de relance économique à moyen terme ont été décidés. Depuis mars 2020, l’Algérie fait face à une double crise —si on exclut pour le moment la crise politique : une crise sanitaire due à la pandémie de la Covid-19 et une crise économique qui est le résultat de la chute du prix du pétrole du début 2020 et des effets de la crise sanitaire. Cette double crise a eu des effets désastreux sur la population – 1600 décès au 15 septembre 2020 – et sur l’économie – des centaines d’entreprises ont dû fermer, d’autres sont à l’agonie. Il fallait donc que le gouvernement prenne des mesures ayant pour but de soulager les personnes et les entreprises affectées.

Parallèlement, le gouvernement a lancé un plan de développement ayant pour but de faire passer l’économie algérienne d’une économie rentière dépendante à 95% des hydrocarbures à une économie plus diversifiée et orientée vers le futur. Ces deux catégories de mesures demandent énormément de fonds pour leur mise en œuvre. On sait aussi que, en raison de la chute des recettes pétrolières évoquée plus haut et de la baisse du Fonds de réserves de change qui est passé de quelque 174 milliards de dollars en 2014 à environ 62 milliards en 2020, voire 42 milliards en 2021, l’Algérie n’a pas la capacité financière suffisante pour financer ces deux types de mesures.

En effet, avec des réserves réduites, l’Algérie n’a pas une grande marge de manœuvre et ne peut tenir que jusqu’à la fin de 2021. Compte tenu de ces contraintes, l’Algérie devrait faire deux choses. La première est de réduire les dépenses de l’Etat et des entreprises publiques. Selon certaines sources, le budget de fonctionnement de l’Algérie est d’environ 60% du budget total. Il est donc nécessaire de réduire autant que possible le poids de ces dépenses et réorienter les gains en résultant vers l’investissement productif. Parmi ces mesures, on peut citer la réduction des salaires de certaines catégories de fonctionnaires (députés, sénateurs, réduction des emplois fictifs) (certaines entreprises publiques n’ont besoin que de 10% de leur personnel) ; réduction de l’importation de certains produits non indispensables ; réduction des subventions accordées aux entreprises publiques qui doivent être encouragées à recourir au marché financier local pour leurs besoins de fonds, etc.

Du côté des recettes, il faut prendre les mesures nécessaires pour accroître la collecte des impôts dus par les personnes et surtout les entreprises des deux secteurs. Il faudra aussi prendre des mesures pour insérer intelligemment le secteur informel (qui constituerait, selon certaines sources, 40% de l’économie) en vue de collecter les impôts que ce secteur ne paie pas. La deuxième source de fonds pour financer les deux types de plans envisagés devrait venir des capitaux extérieurs. On sait que le gouvernement actuel n’est pas très favorable à cette solution, parce qu’il pense y perdre sa souveraineté, mais cette solution pourrait s’avérer peu coûteuse vu que l’Algérie n’a pratiquement pas de dette extérieure et que, par conséquent, avec un plan de relance bien ficelé et une diplomatie dynamique, il est possible d’obtenir des prêts à faible coût et sans conditionnalité.

Si l’Algérie réussit à réduire son train de dépenses publiques et à obtenir un financement extérieur à des conditions raisonnables, elle pourrait financer les mesures d’urgence nécessitées par la double crise pandémique et économique et assurer le financement du plan de relance économique à moyen/long terme. Il reste tout de même une inconnue de taille—une autre crise que nous avions mise de côté jusqu’à maintenant : l’instabilité politique, qui détermine le climat des affaires.

En effet, même si les deux sources de financement évoquées sont réunies, si le pays entre dans une phase d’instabilité – par exemple reprise du hirak conduisant à l’insécurité – ni le plan d’urgence, ni le plan de relance à moyen et long termes ne pourront être réalisés.


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