Toufik Hedkhiel . Président du cluster algérien des fruits et légumes

«Nous devons avoir une politique agressive en matière d’exportation des dattes»



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Selon Toufik Hedkhiel, président du cluster algérien des fruits et légumes, il est temps d’investir dans la transformation des dattes à travers la mise en place d’unités de production à base de dattes, et ce, parallèlement à la levée des contraintes à l’exportation.

 

-Quelles sont les conséquences de la pandémie sur les exportations de dattes ?

Comme dans tous les secteurs, l’exportation de la datte algérienne a baissé en raison de la crise de la Covid-19. Les traditionnels clients ont dû revoir leurs commandes à la baisse en raison de la chute de la consommation des ménages étrangers. Ceci s’explique par l’érosion de leur pouvoir d’achat et l’évolution de leurs habitudes alimentaires. Pour information, la datte connaît traditionnellement deux piques, l’un pendant le Ramadan et l’autre en fin d’année. Période pendant laquelle, les phases d’exportations battent leur plein. En 2019, l’Algérie avait exporté pour 104 millions de dollars de fruits et légumes. Or les dattes représentent 99% du montant de produits agricoles. Inutile de vous dire que les chiffres du commerce extérieur vont être mauvais cette année en raison du faible taux d’exportation de dattes algériennes. Le marché national est dans l’obligation d’absorber les stocks de 2019 non exportés ainsi que la nouvelle récolte. Tous ces paramètres nous laissent penser que c’est un souci occasionnel et non systémique puisque les choses reprendront leur cours habituel à la fin de la pandémie.

-Avec la nouvelle récolte, comment gérer la situation ? Quel impact sur le marché local ? Ne devrait-on pas saisir l’occasion pour investir dans des moyens de stockage ?

La récolte 2019, qui s’ajoute à celle de 2020, comme je l’ai déjà dit précédemment, est conjoncturelle et non systémique. Elle va engendrer une chute considérable des cours de la datte fraîche. Il serait intéressant de penser à la transformation à l’image de mise en place d’unités de production à base de dattes comme de la confiture, de la pâte à tartiner, du sirop, ainsi que tout produits dérivés comme des barres énergisantes pour les sportifs. La transformation de dattes est illimitée et peut produire une plus-value non négligeable pour l’opérateur économique. Les unités de stockage de dattes sont déjà disponibles en grand nombre dans la wilaya de Biskra, et El Oued principalement, et l’État a déjà subventionné beaucoup de chambres froides et ce phénomène d’abondance de dattes n’est que passager compte tenu de la pandémie que nous traversons. Il faut traverser cette zone de turbulence qui reprendra son cours dès que la pandémie sera derrière nous.

-Avant la crise sanitaire, quels sont les facteurs qui bloquaient l’exportation des dattes ?

Beaucoup d’exportateurs se dirigeaient traditionnellement vers le marché européen, notamment la France qui historiquement et en raison de sa logistique avec l’Afrique du Nord jouait le rôle de plaque tournante avec les autres pays européens. D’ailleurs, plus de 40% des dattes importées en France sont immédiatement réexportées vers les pays voisins. Le marché français a atteint sa maturité. Il est quasi stable, ce qui explique en partie la stagnation des exportations vers ce pays. La croissance est d’ailleurs très faible. Certains exportateurs ont pris les devants, en trouvant d’autres marchés consommateurs de dattes à l’image de la Russie, de l’Inde, les Etats-Unis, les pays asiatiques et des pays du Golf qui sont demandeurs de ce produit, mais sous réserve d’avoir une certification. Notons que le fait de réussir à pénétrer des marchés réputés difficiles à l’image des Etats-Unis, ou certains pays asiatiques est un gage de qualité de nos produits. La logistique est un frein aux exportations. En effet, les coûts prohibitifs de certains armateurs qui n’hésitent pas à faire de la rétention de containers reefers (réfrigérés) pour spéculer à la hausse leurs coûts. Leur disponibilité n’est pas immédiate surtout en période d’exportation des dattes où la demande est très forte. Les lignes maritimes au départ des ports algériens sont rarement directes. Ce qui engendre un temps de transit de la marchandise plus long.

Chose qui pénalise l’exportateur lorsqu’il désire conquérir de nouveaux marchés. On a tendance à sous-estimer le conditionnement, or, celui-ci est primordial. Un bon emballage permet de vendre plus facilement votre produit, et il se doit d’être de bonne qualité, pouvant supporter le stockage de plusieurs caisses dans une palette, le froid et surtout l’humidité sans se déformer. Malheureusement, certains exportateurs pensaient qu’avoir un bon produit était suffisant. Il arrive que des opérateurs économiques se voient obligés d’importer un emballage de l’étranger ce qui engendre des surcoûts sur le produit final. L’ensemble de ces facteurs, nous amène à dire qu’une bonne opération d’exportation est une opération étudiée et programmée. Sans étude au préalable l’opérateur économique joue à la roulette russe. Toutes ces données qui peuvent faire défaut au produit apparaissent lors de l’étude de marché sur les habitudes du client final, le type de conditionnement, boîtes de 1, 2, 5kg etc.

-Comment y remédier ?

L’ensemble de ces paramètres doivent être pris en compte lors des phases d’exportation, ce qui explique d’une manière plus cartésienne les raisons pour lesquelles certains facteurs bloquaient l’exportation des dattes. La connaissance de l’ensemble de la chaîne de valeur de l’export est primordiale.

-Si la fermeture des frontières se poursuit pour d’autres mois, y a-t-il risque de perdre d’autres partenaires  ?

Oui, bien entendu, car il faut savoir que même si les marchandises peuvent voyager, cela n’est pas le plus important. En effet, pour connaître les besoins des clients, l’évolution du marché, ses potentialités, seule une rencontre avec le client final permettra de conserver les parts de marché et encore mieux les augmenter par l’apport de nouveaux produits. Dans le secteur des fruits et légumes, le contact humain est privilégié. Une relation professionnelle doit s’entretenir, sinon elle est appelée à être remplacée par un concurrent direct qui ne lésinera sur aucun moyen pour faire fructifier son business et vous évincer. Comment les reprendre ? Nous devons avoir une politique agressive et veiller à ce que notre produit puisse être irréprochable tant sur le plan de la qualité que sur celui du respect de la logistique.

C’est le cas aussi en matière de conditionnement. Il s’agit surtout d’avoir un prix de vente permettant au produit de se vendre. D’autre part, l’avantage d’ouvrir des bureaux de liaison permet d’être proche du client malgré la fermeture des frontières. Un client qui sent que l’on s’occupe de lui réfléchira à deux fois avant d’aller voir la concurrence.


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