Lutte contre la pandémie de Covid-19

Le personnel soignant au bout du rouleau



...

Les équipes médicales doutent de leur capacité à faire face à une nouvelle vague de l’épidémie, dont les prémices ne sont pas à ignorer. L’organisation des tâches, les faibles moyens mis à leur disposition, l’insécurité sur les lieux du travail, le défaut de soutien de la hiérarchie, l’incertitude et l’évolution inconnue de la crise sanitaire sont autant d’éléments évoqués par une corporation blasée non pour la charge du travail accompli et son devoir de soigner et de traiter, mais pour n’avoir pas été considérée à sa juste valeur.

Alors que l’épidémie de Covid-19 connaît une nouvelle progression du nombre de cas de contamination, dont le bilan des dernières 24 heures dépasse la barre des 200 cas confirmés à la PCR (sans compter les formes bénignes non testées), les personnels de santé à bout de souffle alertent déjà sur la hausse du nombre des hospitalisations aux urgences et en réanimation.

Ils craignent une surcharge de certaines structures vu que les unités Covid-19 ouvertes au mois de mars pour la circonstance ont été réduites.

Ce qui implique une surcharge de travail pour les mêmes équipes qui ont travaillé durant sept mois sans relâche face à une épidémie qui menace tout le monde et prend des proportions alarmantes.

L’organisation des tâches, les faibles moyens mis à leur disposition, l’insécurité, le défaut de soutien de la hiérarchie, l’incertitude, l’évolution inconnue de la crise sanitaire sont autant d’éléments évoqués par une corporation blasée non pour la charge du travail accompli et son devoir de soigner et de traiter, mais pour n’avoir pas été considérée à sa juste valeur.

Les dysfonctionnements d’un système de santé déjà observés des décennies durant ont été aggravés avec la Covid-19. Ce qui a mis la communauté hospitalière à rude épreuve.

Entre la gestion de toute une logistique souvent défaillante pour une prise en charge optimale des malades qui arrivent quotidiennement, l’impact de la maladie pèse sérieusement sur ces «soldats désarmés» en mettant leur vie en danger. Ils appréhendent justement leur capacité à faire face à une nouvelle vague de l’épidémie dont les prémices ne sont pas à ignorer.

Une prime qui se fait attendre

La prime pour la Covid-19 instituée par le président de la République a tout de même encouragé les équipes médicales à continuer à donner le meilleur d’elles-mêmes, malgré l’épuisement et la fragilité de leur condition physique. Mais certains attendent toujours cette prime qui n’arrive pas.

Ils sont aujourd’hui une centaine de professionnels de santé à perdre la vie à cause de la Covid-19, et ce n’est pas encore fini. «Nous n’avons bénéficié à ce jour ni de congés ni de jours de repos. Nous sommes depuis plusieurs semaines sur le front face à une maladie contagieuse avec tout ce que cela pourrait entraîner comme facteurs d’anxiété et d’épuisement.

Aujourd’hui, nous sommes face à une nouvelle hausse de cas avec toujours les mêmes équipes», sont unanimes à dire des médecins, des infirmiers et agents de la santé qui ont été directement en contact avec les patients testés positifs, dont certains portent déjà les signes d’une souffrance psychique et d’épuisement moral et physique.

«Je suis fatigué et moralement épuisé», est la phrase leitmotiv de tous ceux que nous avons interrogés, marquée par une touche d’amertume et un sentiment d’abandon et d’ingratitude, de non-reconnaissance de la part des responsables et particulièrement de l’autorité sanitaire.

«A part les premières visites dans les structures hospitalières qui étaient dépourvues de tout au début de l’épidémie, aucune personnalité, encore moins les responsables du ministère de la Santé ou les membres du conseil scientifique, ne s’est déplacé pour s’enquérir de notre état psychique et physique éprouvé par une crise sanitaire sans précédent», relève le Dr Mohamed Yousfi, chef de service d’infectiologie à l’EPH de Boufarik et président du Syndicat national des praticiens spécialistes de santé publique (SNPSSP).

Absence de soutien

Il déplore l’absence d’un soutien des pouvoirs publics à l’équipe de Boufarik, qui a dédié la totalité de son établissement à la Covid-19, à l’exception de la maternité, un centre de référence en infectiologie, dès les premiers cas testés positifs. «Nous travaillons avec la même équipe depuis huit mois.

Plus de 12 000 prélèvements ont été effectués depuis mars dernier, 2600 patients ont été hospitalisés et 2200 traités selon les directives nationales», a-t-il relevé.  Et de rappeler : «Nous continuons à travailler à la même allure après une halte durant le mois de septembre. Des médecins, des infirmiers et autres agents de la santé ont été infectés mais non remplacés.

Je dis bien que c’est la même équipe qui continue à travailler avec toutes les difficultés que nous rencontrons dans cet établissement qui date des années 1970, fragilisé par une vétusté des espaces, notamment les salles d’hospitalisation. Nous avons alerté les pouvoirs publics sur cet état de fait, en vain. Nous ne savons plus à quel saint nous vouer, nous sommes à bout.»

Pour le Pr Achour d’El Kettar, la fatigue physique et morale s’est abattue sur toutes les équipes. «Nous n’avons pas pensé à la relève alors que nous enregistrons un nouveau rebond des cas. Les services doivent être renforcés, d’autant que les résidents qui ont assuré durant tous ces mois un travail doivent reprendre les cours», a-t-elle expliqué.

«Etre confrontés quotidiennement à cette pathologie contagieuse, bien que nous sommes habitués à traiter les maladies infectieuses, la peur de la maladie pour soi, sa famille, ses collègues, peur de contaminer ses proches et les patients, le sentiment de compassion dans l’accompagnement et la solitude des patients sont autant de facteurs de stress, dont les conséquences commencent à se faire sentir.

Il nous est difficile de continuer au même rythme», note le Dr Amel Zertal, assistante en infectiologie à l’hôpital d’El Kettar. Elle évoque ainsi son expérience dans la prise en charge des malades du VIH, mais pour elle, la Covid-19 a sérieusement affecté le personnel de santé et a conduit à une réduction drastique du nombre de soignants.

Moral en berne

«Nous n’avons jamais connu une épidémie d’une telle ampleur. C’est toute notre vie qui est chamboulée. Nous avons vécu des moments très difficiles avec ce virus. Des mamans, des papas sont restés des mois sans voir leurs enfants, leurs parents ou leurs proches par peur de les contaminer.

Ils dorment dans des hôtels, à l’hôpital, chez des amis, et tout ça a sérieusement impacté le psychique et le physique. Le port des tenues de protection a été durement supporté durant les derniers mois. De nombreux collègues restaient des heures sans manger pour éviter de changer de tenue et se désinfecter.

Toutes ces contraintes ont un poids sur notre vie privée», a-t-elle relaté tout en déplorant le relâchement dans l’application des mesures de prévention et les gestes barrières. «Une nouvelle vague de contaminations arrive ces derniers jours à notre hôpital et ce sont généralement des membres d’une même famille contaminés suite à une fête de mariage.

On ne comprend pas comment en cette période d’épidémie, on continue à célébrer des fêtes. Ce qui provoque une démobilisation du corps médical», a-t-elle regretté.

Pour le Dr Zertal, il serait difficile pour les personnels de santé de se redéployer à nouveau avec la même détermination, «lorsqu’on voit que certains se privent même de leur famille alors que les autres vivent normalement». Elle signale que l’épidémie est toujours là et que c’est aux citoyens de s’adapter pour une cohabitation.

«Nous n’avons pas, pour le moment, d’autres moyens de lutter contre ce virus, nous sommes condamnés à vivre avec. Il est temps de passer à autre chose. Il y a beaucoup de malades qui attendent», a-t-elle souligné. Le Pr Abdelmadjid Bessaha, chef de service de médecine légale au CHU de Beni Messous, parle de non-visibilité quant à l’évolution de la maladie.

«Le manque de communication claire complique davantage la situation. Les soignants ne voient pas le bout du tunnel», a- t-il déclaré. Et de souligner qu’après des semaines au front face à un virus meurtrier, «les personnels de santé continuent quand même à travailler, alors que nous observons un relâchement total vis-à-vis des mesures barrières.

C’est ce que nous constatons au niveau de l’hôpital, lorsque des familles viennent récupérer à la morgue le corps d’un de leurs proches décédé sans respect des gestes barrières, le port de masque, par exemple. Ce sont autant d’exemples qu’on peut citer».

L’octroi de la prime de risque Covid-19 par le président de la République a encouragé certains à «tenir le coup», a ajouté le Pr Bessaha qui redoute «un épuisement généralisé des équipes médicales qui méritent des encouragements et un soutien moral et financier des pouvoirs publics».


Lire la suite sur El Watan.