Abdelmadjid Chikhi à propos des archives détenues par la France

«Ce qui a été rendu est insignifiant»



...

Abdelmadjid Chikhi, directeur des Archives nationales et conseiller auprès de la présidence de la République chargé des Archives et de la Mémoire nationale, a fait deux importantes interventions médiatiques ces derniers jours, l’une sur Canal Algérie, et l’autre, hier, sur les ondes de la Chaîne 3, où il était l’hôte de l’émission «L’Invité de la Rédaction».

Ces sorties médiatiques, force est de le constater, ont une résonance particulière dans la mesure où elles interviennent dans un contexte où il est beaucoup question de travail de mémoire, de concert avec l’ancien colonisateur.

Rappelons que M.Tebboune avait nommé Abdelmadjid Chikhi pour la partie algérienne concernant ce travail de mémoire, tandis que le président français Emmanuel Macron a chargé l’historien Benjamin Stora d’une mission sur «la mémoire de la colonisation et de la guerre d’Algérie».

Invité de l’émission «Visions» de Canal Algérie animée par Samia Bacha, et diffusée le 22 octobre dernier, M.Chikhi a indiqué à propos de cette démarche aux contours toujours flous  : «Ce travail, si on veut être objectif et précis, n’a pas encore commencé, tout simplement parce qu’il appartient à la partie française, donc à mon collègue Benjamin Stora qui est désigné pour s’accompagner tous les deux dans cette galère, d’essayer de construire quelque chose qui puisse un peu apaiser les mémoires.»

Il explique : «L’Algérie a été victime de comportements parfois très douloureux, parfois sanguinaires, barbares, vous pouvez les qualifier de tout ce que vous voulez… Les oublier, je ne pense pas que cela soit possible. La mémoire d’un peuple ne s’efface pas comme ça. (…) L’Algérie est un pays qui a une assez bonne mémoire.

Elle s’en sert pour avancer, parce que nous ne pouvons pas avancer sans mémoire.» «De l’autre côté, note-t-il, il y a un problème très profond dans la société française qu’il convient de traiter, et auquel il faut trouver des solutions. Ce ne sont pas les Algériens qui vont trouver ces solutions. (…) Il ne s’agit plus de mentir ou de cacher ce qui s’est passé.

Le président de la République a expliqué que nous voulons des relations équilibrées avec les pays du monde entier, et particulièrement avec la France, et donc, il faut quand même les assainir.» Pour «assainir ces relations», Abdelmadjid Chikhi estime que cela oblige à «se pencher sur ces problèmes de mémoire et les problèmes d’histoire. Les deux ne sont pas identiques mais se complètent».

Et de préciser : «Ce travail qui nous est demandé, M.Stora et moi, ce n’est pas un travail d’histoire. C’est un travail de mémoire, c’est-à-dire comment amener nos deux peuples à se regarder en face sans s’entre-tuer. C’est construire une relation pour le futur sans oublier ce qui s’est passé.»

Evoquant la restitution des restes mortuaires de combattants de la résistance populaire au XIXe siècle, et qui ont été rapatriés peu avant la célébration du 58e anniversaire de l’Indépendance, M. Chikhi commente : «L’acte en lui-même est à féliciter (…) Cela constitue, pour nous, Algériens, un précédent et cela apporte une lueur d’espoir.»

Espoir dans le sens où cela autorise, selon lui, à penser que «ce qui reste à faire pourrait aller dans le même sens».

«Cela pourrait prendre un peu de temps, c’est un fait, mais je pense que si nous continuons dans les mêmes dispositions d’esprit, nous pourrons dépasser un certain nombre d’obstacles pour arriver à une restitution de beaucoup de choses, et particulièrement les archives», a-t-il espéré.

A une question de la journaliste qui lui demande : «Quelle est la prochaine étape ? », le directeur des Archives nationales répond qu’à l’heure actuelle, il n’y a pas de «calendrier» «parce qu’il y a cette pandémie qui nous a empêchés d’avoir des contacts assez soutenus». «Le dialogue n’est pas interrompu, il est suspendu en raison donc de cette pandémie.»

Et de faire remarquer : «Pour ce qui est des archives, il est suspendu pour d’autres raisons depuis deux ou trois ans. On ne se rencontre pas. Mais je sais que des initiatives sont prises de la part du ministère des Affaires étrangères chez nous, et de la part des autorités françaises, pour que le dialogue reprenne.»

Comparant le dossier des archives avec celui de la restitution des restes mortuaires, Abdelmadjid Chikhi déclare : «Les données du problème ne sont pas les mêmes. S’agissant des crânes, c’est quelque chose de physique et d’assez précis, le lieu est connu (…) Pour les archives, le problème est un peu plus compliqué.

D’abord parce que les archives ont été prises et transportées en France, à des périodes diverses (…). Le transport de ces archives a été fait par l’Etat français lui-même. Il ne s’agit pas d’une entreprise privée ou d’actes individuels. Il s’agit d’un comportement d’Etat, ce sont des décisions d’Etat.

Or, ce comportement va à l’encontre de tous les règlements internationaux, parce que les archives appartiennent au territoire sur lequel elles ont été produites. Donc ces archives appartiennent à l’Algérie. (…) Il s’agit seulement de négocier comment les récupérer.»

Il souligne dans la foulée que ces archives, «personne n’en a évalué ni le volume, ni la quantité». «Je peux vous dire que ça représente 2000 tonnes, comme je peux vous dire que ça représente une tonne. Pour moi, ce qui a été rendu est véritablement insignifiant.»

«On cherche des échappatoires pour ne pas rendre ces archives», assène M. Chikhi, observant que dans ce dossier, «il n’y a pas la même volonté que celle qui a présidé à la remise des restes mortuaires».

Lors de son intervention ce mardi dans l’émission de Souhila El Hachemi, Abdelmadjid Chikhi est revenu à la charge en faisant part de la détermination de l’Etat algérien à récupérer les archives qui ont été emportées par l’ancien colonisateur.

Le conseiller à la Présidence en charge de la Mémoire nationale a laissé entendre que si les négociations concernant ce dossier n’aboutissent pas, l’Algérie pourrait faire appel à un «arbitrage international» pour régler ce contentieux. 


Lire la suite sur El Watan.