Géopolitique du PQ



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La scène se passe à Alger. Nous sommes en fin février début mars de cette année funeste. La France était déjà confinée et l’Algérie s’apprêtait à l’être.
Nous regardons la télé. Un cousin joue de la télécommande, alternant chaînes françaises et algériennes. Et, à un moment, il synthétise ce que nous venons de voir dans cette remarque insolite :
- C’est peut-être une question de culture, mais les peuples se complètent, il n’y a pas à dire. En Algérie, c’est le rush sur la semoule et en France sur le papier toilette. Et pas seulement en France.
Un des traits sociologiques saillants de cette pandémie, c’est cette ruée sur le papier toilette, appelé vulgairement PQ, de la France au Pérou, en passant par les États-Unis, le Canada, la Chine, l’Australie, etc.
Un objet scatologique ? Possible, mais la question est sérieuse !
La preuve, ces bagarres devenues virales qui ont envahi les réseaux sociaux à propos du PQ institué, comme disent les journalistes de chaînes low-cost d’informations en boucle, en «vrai sujet».
Ayant des WC ultramodernes dotés d’un mécanisme de lavage et de séchage intégré, les Japonais sont les seuls à échapper à la fièvre quasi planétaire du PQ. Planétaire ? Non ! Certaines civilisations, cultures et sociétés s’y prennent autrement pour se nettoyer.
Mais dans les pays qui possèdent un fort potentiel de communication comme l’Europe, les États-Unis, l’Australie, le Canada et d’autres, l’élévation du PQ au rang d’objet précieux donne lieu à des situations parfois consternantes, souvent cocasses et toujours surprenantes.
En février dernier, deux hommes sont arrêtés à Hong Kong. Délit : ils ont braqué un livreur de... papier toilette.
Audruicq, une commune du nord de la France près de Calais lance un concours du «meilleur confiné» avec photos à l’appui, sur le thème du confinement. Autodérision ? Le lauréat remportera un lot de PQ 
En Australie, par crainte de pénurie, on limite l’achat de PQ à 4 rouleaux par personne. La limi­tation chauffe le marché au point où les rouleaux peuvent atteindre des centaines de dollars sur le Web.
Steven Taylor, professeur de psychologie à l’Université de Colombie britannique aux États-Unis, affirme dans son ouvrage La pathologie des pandémies que cette ruée vers le PQ procède d’un achat panique, symbole de sécu­rité.
Ce comportement révèle aussi, selon lui, «un moyen d’éviter des choses dégoûtantes», une aversion pour les choses qui nous répugnent exacerbée par la menace de l’infection.
Plus largement, le professeur Steven Taylor avance une théorie, celle du «zéro risk bias» selon laquelle, on a tendance à privilégier l’élimination d’un petit risque plutôt que celle d’un risque plus important.
Mais d’autres thèses tentent d’expliquer pourquoi on se jette de cette façon effrénée sur le PQ. Une des explications possibles se fonde sur le syndrome de FOMO (fear of missing out), autrement dit par la peur de rater quelque chose. Selon le professeur Nikita Garg de l’Université de Nouvelle-Galles du Sud : «Si mon voisin achète, il doit y avoir une raison. Donc, je dois aussi le faire.»
Toutes ces théories essayent de percer les raisons de cette attitude moutonnière qui aboutit à ce que en certains endroits, la hausse des ventes de PQ peut aller jusqu’à + 700%.
D’autres études mettent en évidence des angoisses concomitantes : ceux qui font des stocks de PQ sont aussi les plus anxieux face au Covid-19.
À vue d’œil, ce sont les Français, pour nous autres Algériens, qui possèdent dans leur culture l’usage du PQ . Pas vrai.
Aujourd’hui, un Français consomme 71 rouleaux par an, derrière l’Anglais (127) et l’Allemand (134).
Mais comment est né le PQ devenu iconique aujourd’hui ? Ce n’est pas une blague, il a été fabriqué en… Chine, mais au IIe siècle avant Jésus-Christ.
Pendant des siècles, les êtres humains ont procédé au nettoyage de la région anale de différentes manières. Selon les climats et les cultures, on a utilisé l’eau, la neige, les pierres, les feuilles, les herbes les épis de maïs, des fourrures d’animaux, les bâtons, les coquillages, des tissus de laine, de dentelle, de chanvre. C’est en Asie du Sud-Est, en Inde et dans les pays musulmans qu’on utilise l’eau. Dans ces derniers, les gens se servent de la main gauche (impure) pour se nettoyer et de la main droite (pure) pour saluer et manger.
Joseph Gayetti fabrique industriellement, en 1857, aux États-Unis, du papier pour des besoins hygiéniques . Quelques décennies plus tard, en juin 1891, un autre Américain, Seth Wheeler, dépose un brevet : il invente le papier toilette en rouleau. En septembre de la même année, il en améliore l’usage en imaginant des lignes de perforation pour mieux détacher les feuilles.
Ce n’est qu’au début du XXe siècle que le PQ est introduit en France où, jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, il était considéré comme un produit de luxe. Il ne détrônera le papier journal qu’au milieu des années 1940.
Retour à Alger. Le cousin conclut triomphalement : «Hé hé, ils stockent le PQ qu’ils ne connaissent que depuis un peu plus d’un siècle et nous la semoule qui nous accompagne depuis des siècles et des siècles.»
A. M.
 


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