Une initiative de soutien psychologique au Croissant-Rouge algérien



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L’initiative, qui demeure une première du genre dans la wilaya de Constantine, est une opération d’écoute et d’analyse de l’impact psychologique de la Covid-19 sur les victimes et leurs proches, dont les enfants, à travers des ateliers de dessin et des groupes de parole.

Avec l’allégement des mesures de confinement décidées au mois d’octobre dernier et le retour progressif à la vie normale, le comité du Croissant-Rouge algérien à Constantine (CRA) a fait un pas en lançant une initiative de soutien psychologique aux personnes ayant souffert des séquelles de la Covid-19. Des sujets qui ont exprimé un grand besoin de parler et de «vider leur sac», après des mois de confinement et de souffrances.

L’initiative, qui demeure une première du genre dans la wilaya de Constantine, est une opération d’écoute et d’analyse de l’impact psychologique de la Covid-19 sur les victimes et leurs proches, dont les enfants, à travers des ateliers de dessin et des groupes de parole.

Une manière aussi d’aider ces personnes à vaincre leur isolement et les assister pour surmonter cette épreuve difficile sans dégât. «C’est à travers l’accueil des personnes en quête d’aide sociale que nous avons proposé des séances d’écoute et d’entretien pour les gens ayant souffert des séquelles de la Covid-19 et qui ont accepté de venir volontairement parler de leur vécu avec le coronavirus, et puis avec le temps, des groupes de parole se sont formés.

C’est ainsi qu’ au vu de ce que nous avons observé, nous avons initié une opération de soutien psychologique aux personnes ayant souffert de cette pandémie», a révélé à El Watan Ouahiba Nahoui Hazourli, vice-présidente du comité du Croissant-Rouge algérien de Constantine et psychologue ayant chapeauté cette expérience.

Les choses sont allées doucement et progressivement, puis l’information a circulé et, avec le temps, les gens ont commencé à affluer. «Le centre polyvalent situé au quartier de La Casbah a été choisi pour recevoir les citoyens une fois par semaine. Ce sont des gens qui viennent pour des entretiens, après des mois de confinement ; mais nous avons aussi des entretiens téléphoniques avec ceux qui ne peuvent pas se déplacer», a ajouté notre interlocutrice.

Un événement traumatisant

Mme Hazourli avance que les multiples contacts avec ces personnes ont révélé des sujets dans un état de détresse psychologique, n’ayant pas supporté à ce jour le choc imposé par la maladie, alors que d’autres n’ont pas accepté leur maladie quand ils ont découvert qu’ils étaient atteints de la Covid-19, ceci sans parler des conflits familiaux que cette crise sanitaire a générés.

Qu’elles soient atteintes directement par la Covid ou ayant des parents contaminés ou décédés, et selon les degrés de gravité, plusieurs personnes reçues au CRA présentaient également des signes d’angoisse, de nervosité, un sentiment d’impuissance, mais aussi des troubles de concentration, des insomnies, des troubles alimentaires et un sentiment de fatigue même après la guérison.

«La pandémie a été vécue comme un événement traumatisant, inhabituel, terrifiant et violent, ressenti comme une menace par de nombreuses personnes que nous avons reçues au centre d’écoute du CRA et qui représentent un échantillon fiable d’une bonne partie de la population.

Cet événement traumatisant a été vécu comme on vit une guerre ou un fort séisme durant lequel le sentiment du danger est grand, avec une peur démesurée d’attraper la maladie, c’est même devenu une obsession», analyse la psychologue du CRA.

«Nous avons constaté que les gens avaient un besoin urgent de parler de ce qu’ils ont vécu et de raconter ce qu’ils ont connu comme souffrances, cela leur a permis de se soulager, surtout quand ils ont ressenti qu’il y a d’autres personnes qui les écoutent ; ils avaient besoin de parler et d’être écoutés ; cet échange s’est développé à travers des groupes de parole de six personnes, au lieu de 12, selon les normes, que nous avons formés en respectant les mesures de sécurité sanitaire, du port de la bavette et de distanciation», poursuit-elle.

Des effets psychologiques sur les enfants

Malgré tout ce que les gens pensent de cette maladie, et toutes les rumeurs et fausses informations véhiculées sur les réseaux sociaux, l’impact sur les enfants est souvent sous-estimé.

Selon Ouahiba Nahoui Hazourli, les traces de ces effets sont bien perceptibles dans les comportements des jeunes qui avaient un malade dans la famille ou qui ont perdu un proche. «Nous nous sommes déplacés dans des écoles de la ville et nous avons effectué un travail de proximité avec les enfants à travers des textes écrits, mais surtout par le dessin, qui demeure le moyen préféré d’expression chez cette frange pour savoir ce qu’ils pensaient du coronavirus ; le résultat a été surprenant, car nous avons découvert à travers ces dessins le degré de vulnérabilité de ces enfants, qui ont exprimé à leur manière leur peur de la mort, de perdre des amis, des proches, mais aussi la peur des privations de sortir et de jouer dans la rue avec leurs amis, et d’être contraints de subir la distanciation au sein même de la famille ; les enfants ont vécu eux-aussi ce traumatisme à leur manière, surtout qu’il ne s’agissait pas d’une mort habituelle», a-t-elle affirmé.

«Dans leurs dessins, ces enfants se sont représentés très petits face au virus, ce qui traduit le sentiment de vulnérabilité, même si on retrouve également dans ces formes d’expression une conscience remarquable vis-à-vis des moyens de prévention, notamment le respect du port de la bavette, le lavage des mains et l’usage du gel hydroalcoolique», explique-t-elle.

Cette expérience a montré que les enfants avaient leur propre conception de la maladie. Beaucoup d’entre eux ne cessaient de poser des questions à leurs parents sur cette pandémie. «Il faut donner aux enfants les réponses qui conviennent à leur âge et ne jamais les affoler et leur faire peur», insiste Mme Hazourli.

Cette dernière nous a rapporté que la chose la plus terrible que les gens avaient réellement montrée lors des discussions est cette peur de ne pas pouvoir faire le deuil d’un proche décédé des suites de la Covid, surtout après la diffusion à grande échelle de photos et de vidéos d’enterrement dans des fosses communes. Des images qui ont choqué beaucoup de monde et créé un climat de psychose, selon notre interlocutrice.

Chez les jeunes, c’est la peur d’un avenir obscur. «Les groupes de parole que nous avons initiés nous ont permis de réaliser un vrai travail thérapeutique, surtout que les nombreux cas que nous avons écoutés ont vécu un grand chamboulement dans leur vie.

Le plus important pour nous demeure le fait que cette expérience de soutien psychologique a eu des effets positifs sur les cas qui ont suivi les séances des groupes de parole, ou même ceux qui ont été écoutés par téléphone.

Elle leur a permis de se libérer, de renforcer leurs propres sources internes et amorcer un retour progressif à la vie normale», conclut Ouahiba Nahoui Hazourli.


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