Hosni Kitouni. Chercheur en histoire et auteur

«Ce qui nous importe, c’est le jugement que nous portons nous-mêmes sur la colonisation»



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Hosni Kitouni est fils de Abdelmalek Kitouni, officier de l’ALN tombé au champ d’honneur durant la guerre de libération. Il est aussi chercheur en histoire et auteur, entre autres, de l’ouvrage Le désordre colonial (Casbah éditions 2018). Dans cet entretien, il commente le rapport Stora et renvoie dos à dos Alger et Paris.

– Le rapport de Benjamin Stora sur «Les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie» vous interpelle. Qu’avez-vous retenu à la lecture du texte ?

Au fond, le texte ne concerne pas les Algériens, il s’adresse d’abord au président français et par-delà, à la société française à travers ses préconisations et leurs implications.

Seulement, ces propositions viennent à la suite d’une analyse historique de ce que M. Stora appelle les «passions douloureuses» franco-algériennes ; analyse qui nous interpelle, parce qu’elle fait une lecture de l’histoire de la colonisation aux antipodes du savoir historique et dépasse tout ce qu’on peut imaginer comme banalisation-euphémisation du passé.

– A la publication du rapport, vous avez vite réagi en écrivant que «l’éléphant a accouché d’une souris», soulignant que les propositions faites sont «un catalogue insignifiant sans aucune portée historique». Que
reprochez-vous à ce travail ?

On a l’impression à lire M. Stora que la guerre 1954-1962 est née ex nihilo, qu’avant 1954, l’Algérie vivait dans la béatitude et la communion entre les deux populations.

Or, celle-ci est inscrite dans les événements mêmes de 1830. Dès que les premiers Français ont mis les pieds à Alger et ont commencé à piller les terres et à spolier les biens sous la protection de l’armée, les autochtones leur ont dit qu’ils allaient tôt ou tard les jeter à la mer.

Tous les événements qui vont suivre sont une lutte terrible entre un peuple envahisseur soutenu par 100 000 soldats de la seconde puissance militaire mondiale, et un peuple de paysans attaché à sa terre, qui tient une arme à la main et une faucille de l’autre.

Ce fut ensuite 50 années d’une guerre terrible, exterminatrice, dont le résultat a été la formation d’une société à deux peuples fondée sur la ségrégation, les inégalités, le racisme, etc.

M. Stora ne pouvait revenir sur cette période sans entrer en contradiction avec la conclusion présumée de son rapport «qu’il n’y aura ni repentance ni excuses». Etant donné que la question de fond est neutralisée, que reste-t-il ?

– Mais selon une idée reprise jeudi par le journal Le Monde et transmise à Paris par des canaux diplomatiques, le président Tebboune aurait abandonné l’exigence des excuses et de repentance de la France, et qu’au nom des Algériens, il ne voulait «Ni excuses ni repentance, mais reconnaissance des faits de la guerre et de la colonisation»…

Les historiens ont de tout temps dénoncé l’instrumentalisation de l’histoire par le pouvoir politique en Algérie. C’est sans doute cela qui a fait le plus de mal à la recherche historique, qui n’a jamais été ni libre ni suffisamment encouragée.

Le résultat est que nous avons d’un côté un discours historique mis au service des luttes idéologiques et politiques, et de l’autre un besoin irrépressible de la société de connaître vraiment son histoire. Faute d’un véritable savoir national dans le domaine, chacun selon sa chapelle idéologique va chercher ce qui semble répondre à ses convictions et ses préoccupations.

D’où l’immense cafouillage auquel nous assistons aujourd’hui. Ajoutez à cela les ravages des réseaux sociaux où chacun peut s’improviser historien. Le pouvoir politique continue de naviguer à vue, et à instrumentaliser la mémoire et l’histoire selon les intérêts ponctuels aussi bien en interne qu’en externe.

C’est quand même affligeant que 60 ans après l’indépendance, le pouvoir algérien ne sache pas encore quelle démarche adopter vis-à-vis de la France, pour exiger quoi et dans quel but ? Sa parole manque de crédibilité, d’autorité et pour tout dire, de sérieux. Voilà pourquoi il y a un fossé abyssal entre le discours officiel sur l’histoire et la société en général.

Disons-le tout net, le pouvoir politique n’a aucun droit, aucune légitimité à trancher sur les questions d’histoire et de mémoire. Seuls les représentants légitimes du peuple, soutenus par les historiens et les personnes habilitées peuvent se prononcer sur ces questions, faire des propositions, avancer des stratégies.

– Justement, est-il possible de considérer le rapport Stora en dehors des contextes politiques actuels dans les deux pays et du rapport de force entre Alger et Paris ?

Bien sûr que non, aussi bien en France qu’en Algérie. Pourquoi le président français a-t-il senti l’obligation de revenir sur cette question du passé colonial, en déclarant en tant que candidat à la présidence de la République que la «colonisation est un crime contre l’humanité», et ensuite que «La guerre d’Algérie est sans doute le plus dramatique. Je le sais depuis ma campagne. Il est là, et je pense qu’il a à peu près le même statut que la Shoah pour Chirac en 1995».

Certes, M. Macron est allé au-delà de tout ce qui a été fait par ses devanciers sur la question. Mais très vite, il va comprendre combien la société française est rigide sur les questions du passé colonial et des conflits de mémoire, il va voir monter contre lui une large frange de l’opposition de droite et d’extrême droite.

On peut supposer que les enjeux électoraux actuels, la popularité en deuil de M. Macron pour des raisons qui tiennent à d’autres facteurs, expliquent sans doute la frilosité de ses positions actuelles.

Du côté algérien, le pouvoir, fragilisé par une élection manquant de transparence et un déficit de légitimité, espère certainement dans le prolongement de la restitution par la France des 24 crânes des résistants algériens obtenir d’autres concessions dont il en attend un bénéfice en termes de popularité. Encore une fois, on passe à côté de l’essentiel et l’opinion publique semble l’avoir compris.

En tous les cas, les réactions à travers les réseaux sociaux soulignent combien les gens sont écœurés par ces petits calculs politiciens faits sur le dos de notre histoire.

– Pour finir, que pensez-vous de la demande de réparation ?

Avant de demander quoi que ce soit, il faut savoir que nous avons réglé la question de la relation avec la France par la Guerre de Libération nationale. La question est tranchée.

Ce qui nous importe, c’est le jugement que nous portons nous-mêmes sur la colonisation. De savoir précisément quelle histoire nous devons écrire là-dessus. Je pense que nous n’avons pas à demander une réparation matérielle contre la colonisation, parce que nous avons récupéré nos biens, nos terres, nos villes, etc.

Il y a cependant des communautés blessées et dont les souffrances se maintiennent jusqu’à aujourd’hui. Je pense notamment aux victimes des mines antipersonnel, aux victimes des essais nucléaires, aux familles des disparus…Effectivement, sur ces questions, la France a un rôle que nous devons lui demander d’assumer.


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