Des milliers d’emplois menacés aux moulins Amor Benamor, Condor et l’ETRHB

Entreprises à la dérive



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Profondément ébranlées par l’emprisonnement de leurs patrons, les entreprises, qui bénéficiaient de toutes les facilités dans le passé, se retrouvent aujourd’hui en pleine tempête à cause de la chute vertigineuse de leurs chiffres d’affaires et des imbroglios administratifs liés à leur statut. Des milliers de postes de travail ont été perdus depuis 2019 chez Condor, l’ETRHB, les Moulins Amor Benamor…, et d’autres milliers risquent encore d’être perdus malgré la nomination d’administrateurs à la tête de ces entités économiques à l’avenir des plus incertains.

Plusieurs groupes se sont retrouvés, un an et demi après, face à des difficultés, parfois insurmontables, ce qui a eu des conséquences directes sur leurs employés.

Des milliers de travailleurs des entreprises privées dont les patrons sont en prison sont dans le désarroi le plus total. En plus du non-paiement de leurs salaires, depuis plusieurs mois dans certains cas, il y a cette incertitude qui plane sur eux quant au devenir de leurs sociétés.

Des centaines d’entre eux ont déjà été «libérés», et ce, à cause de difficultés financières dues à la réduction du plan de charge ou carrément à la fermeture des unités les plus affectées par cette situation. S’il est naturel, et même souhaitable que les chefs d’entreprise qui ont commis des infractions soient poursuivis, ou même mis en prison dans le cas de graves délits, estiment bon nombre de syndicalistes de ces sociétés, l’objectif premier des autorités est de «sauver» ces entreprises et, par conséquent, les milliers d’emplois qui y sont liés.

Dimanche 28 février 2021, lors du dernier Conseil des ministres, le président de la République, Abdelmadjid Tebboune, «a chargé le ministre du Commerce de la recherche d’une solution immédiate pour engager le transfert de propriété de l’usine de Jijel de production d’huile de table suite aux jugements définitifs rendus contre les anciens propriétaires, et à accélérer sa remise en production». C’est une usine des frères Kouninef, actuellement en prison. S’agit-il d’une «nationalisation» ou d’un transfert vers un autre privé ? Pour l’instant, aucune autre indication n’a été communiquée par les autorités quant aux options qui se présentent.

Déjà, au mois de janvier dernier, l’ancien ministre de l’Industrie, Ferhat Aït Ali, n’a pas exclu la possibilité de «nationaliser» ces entreprises, tout en évoquant la mise sur la table d’«autres alternatives». Bien entendu, tant que des jugements définitifs ne sont pas prononcés (c’est le cas pour les frères Kouninef pour ce qui est des affaires liées à cette usine de Jijel), les entreprises concernées seront toujours gérées par des administrateurs judiciaires.

Même si, là encore, la gestion de ces derniers, nommés pour la première fois durant l’été 2019, avant qu’ils ne soient remplacés à la fin de l’année passée, est souvent décriée. Ainsi, plusieurs entreprises se sont retrouvées dans le rouge ou carrément à l’arrêt.

Perte de chiffre d’affaires et de postes d’emploi

Après le déclenchement du hirak, un certain 22 février 2019, et la démission de Bouteflika, le 2 avril de la même année, plusieurs patrons d’entreprise, dont la majorité sont connus pour faire partie de son cercle le plus proche, d’où, par exemple, le procès pour «financement illicite de la campagne électorale», ont été mis en prison. Donc, au mois d’août de l’année 2019, la justice a désigné des administrateurs pour les groupes Haddad, Tahkout et Kouninef.

Les autres ont suivi par la suite. L’objectif étant «d’assurer la pérennité des activités desdites sociétés, de leur permettre de préserver les postes d’emploi et d’honorer leurs engagements envers les tiers», comme l’avaient souligné les autorités à l’époque.

Or, plusieurs de ces groupes se sont retrouvés, un an et demi après, face à des difficultés, parfois insurmontables, ce qui a eu des conséquences directes sur leurs employés. Les Moulins Amor Benamor, qui détenaient une part de marché importante pour ce qui est des pâtes alimentaires, ont été à l’arrêt pendant près de sept mois. Ils n’ont repris leurs activités (l’usine est située à Guelma) que depuis quelques jours (mardi 23 février) au grand bonheur du millier d’employés (emplois directs et indirects).

Si la situation semble se débloquer pour ce groupe, ce n’est pas le cas pour les autres sociétés. Au mois de décembre, des centaines de travailleurs de l’ETRHB de Ali Haddad ont battu le pavé à Tizi Ouzou. Leurs représentants ont affirmé qu’ils n’ont pas perçu de salaires depuis dix mois.

Selon un syndicaliste de ce groupe, le nombre d’employés est passé de 7400 environ en 2019 à pas plus de 3000 actuellement. Des responsables d’unité ont signifié aux travailleurs qui étaient titulaires de CDD (Contrats à durée déterminée), que ces derniers ne seront pas reconduits. Le syndicaliste évoque également la «non-cotisation du congé Cacobath pour l’année 2020 et de la CNAS depuis juin 2019». Ceci au moment où, ajoute-t-il, «l’administrateur désigné s’est fixé un salaire mensuel de 330 000 DA».

Le groupe Condor est également dans la même situation. Dans un courrier adressé aux autorités le 17 janvier dernier, un membre de l’assemblée générale de la société, A. Benhamadi, a évoqué «la perte de 60% du chiffre d’affaires» et de «3700 postes d’emploi, uniquement dans l’activité électronique et électroménager, et plus de 7000 emplois au total», et ce, durant ces 18 derniers mois.

Le nombre d’employés dégringole

Le nombre d’employés actuellement au sein de ce groupe, ajoute cette même source, est de 8000, alors qu’il était de 14 900 au 31 décembre 2018. 8000 salariés qui n’ont pas touché leurs derniers salaires. A. Benhamadi fait remarquer, à cet effet, que «l’administrateur judiciaire désigné est le responsable du service après-vente de SNVI, à la wilaya de Tlemcen».

Donc, laisse-t-il entendre, son expérience ne lui permettrait pas de «diriger une entreprise qui réalise plus de 100 milliards de dinars de chiffre d’affaires». Donc, en plus des postes d’emploi perdus ou menacés, il y a le manque à gagner pour le fisc, en plus de la contribution de cette entreprise aux exportations (64,3 millions de dollars de chiffre d’affaires à l’exportation réalisé par Condor durant les années 2017, 2018 et 2019, alors que le chiffre n’excédait pas 3,2 millions de dollars en 2020).

Ce membre de l’assemblée générale exprime également son incompréhension à la suite de la nomination d’un administrateur «alors que l’entreprise dispose de ses organes de gestion».

Tous ceci pour dire que jusque-là l’option choisie de nommer des administrateurs et de les maintenir aussi longtemps n’a pas, au moins, permis à ces sociétés de se maintenir, bien au contraire. Et ce sont bien entendu les employés qui subissent souvent et grandement les conséquences.

Nationalisation, changement de propriétaires ou de directions pour les groupes qui disposent d’un conseil d’administration, des solutions sont préconisées par des experts pour sauver ces sociétés et, par conséquent, les milliers de postes d’emploi. Pour beaucoup de syndicalistes, l’emprisonnement des patrons concernés ne devrait pas signifier la mort de leurs entreprises.


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