«La faute de gestion peut toutefois être constituée par des manœuvres frauduleuses»



...

-Que peut représenter la dépénalisation de l’acte de gestion pour un chef d’entreprise ?

Des chefs d’entreprise, pour rappel, vivent avec une épée de Damoclès sur la tête, car n’étant jamais à l’abri de poursuite judiciaire, voire d’emprisonnement pour un simple acte de gestion. La fin de la pénalisation de l’acte de gestion va certainement rassurer et libérer les initiatives qui permettraient de créer un climat des affaires favorable. Dépénaliser l’acte de gestion, c’est libérer l’acte d’entreprendre, soutenant que l’acte matériel de l’infraction de la mauvaise gestion est difficilement détectable et est toujours sous l’appréciation des magistrats. L’acte de la mauvaise gestion reste au niveau de l’action disciplinaire et tout gestionnaire relève d’une tutelle qui peut le sanctionner pour avoir failli. Ce n’est pas à la justice de gérer l’acte de gestion. La justice pénale ne doit intervenir que dans les cas d’abus de pouvoir et de détournement.

Tout le reste doit être dépénalisé. Il est utile d’abord de rappeler le concept de l’acte de gestion. L’acte de gestion est entouré d’un flou juridique et les fautes de gestion sont évoquées par le seul article 715 bis 23 du code de commerce et elles engagent uniquement la responsabilité civile des dirigeants de société. Au regard des principes généraux du droit, l’acte anormal de gestion représente celui qui met une dépense ou une perte à la charge de l’entreprise ou qui la prive d’une recette sans être justifiée par les intérêts de l’exploitation commerciale. Le dirigeant est juge de l’opportunité de sa gestion car, en principe, il doit jouir d’une certaine liberté de décision en contrepartie des risques qu’il assume. La faute de gestion ne fait l’objet d’aucune définition, précise par la loi.

En conséquence, son périmètre peut être assez large et elle est appréciée par les tribunaux au cas par cas, et il y a lieu de retenir que tout acte ou omission d’un dirigeant, qui serait contraire à l’intérêt social, pourrait constituer une faute de gestion de nature civile. Il peut s’agir d’erreurs dans la gestion opérationnelle, par exemple des engagements contractuels disproportionnés par rapport aux moyens ou aux besoins de l’entreprise. La sanction de telles négligences ou erreur ayant entraîné un préjudice pour la société doit être, selon lui, civile : elle consiste en une réparation du dommage ainsi causé.

-Quand intervient la sanction pénale ?

S’agissant précisément d’une entreprise publique économique ou tout autre établissement public, on ne reconnaît pas au gestionnaire le droit à l’erreur de gestion : la faute de gestion prend une coloration pénale, dès lors que la loi retient comme acte matériel «la détérioration ou la perte des deniers publics ou privés» pour reprendre l’expression employée dans l’article 6 bis du code de procédure pénale, que le législateur lui-même se fourvoie en utilisant des termes «fourre-tout», loin du cadre précis de la qualification, ce qui a pour effet de susciter l’inquiétude légitime des cadres dirigeants et de désemparer les magistrats ! Aucun texte, clair dans sa rédaction et précis quant à sa portée, n’encadre correctement le concept d’acte pénal de gestion. Il faut reconnaître qu’en l’absence de telles définitions entourant les actes de gestion et susceptibles d’exclure l’arbitraire, il est bien évidemment difficile pour les chefs d’entreprise publique de tracer une frontière entre le licite et l’illicite, entre le permis et l’interdit, entre ce qui relève de la gestion avec tous ses aléas et ce qui tombe sous le coup de la loi.

Pour les actes de gestion quotidienne, le directeur général est l’exécutant d’une démarche supposée être définie par des structures identifiées : conseil d’administration et assemblée générale. Celles-ci mandatent un président du conseil d’administration, qui peut exercer en même temps la fonction de directeur général ou la déléguer. Les attributions de chaque partenaire sont définies par la loi. Il est plus rationnel d’infliger les sanctions concernant les poursuites pour toutes sortes de délits et de les emprisonner. Cependant, il ne faudrait pas criminaliser la fonction mais plutôt le délit dans le cas où il y a malversation.

-Quelle est la responsabilité du dirigeant dans la faute de gestion ?

Être chef d’entreprise n’est pas une profession sans risques ! Outre le fait de s’exposer aux risques économiques liés à l’activité, il n’est pas à l’abri de voir sa responsabilité personnelle engagée du fait de négligences dans la gestion de la société ou de manœuvres frauduleuses. Dans la pratique, la faute de gestion n’est pas définie par la loi, mais est laissée à l’appréciation souveraine des juges du fonds. Une faute de gestion s’entend d’une action ou d’une inaction commise par un dirigeant d’entreprise dans l’administration générale de sa société, manifestement contraire à son intérêt.
La faute de gestion peut toutefois être constituée par des manœuvres frauduleuses : cautionnement par la société d’une dette personnelle du dirigeant ou encore le fait de ne pas établir de comptabilité régulière. La notion de faute de gestion ne permet pas de sanctionner l’opportunité des décisions prises par le dirigeant dans l’administration de sa société.

Un gérant ne pourrait ainsi pas être sanctionné uniquement sur la base d’un «mauvais calcul» économique. Les fautes de gestion engageant la responsabilité personnelle du dirigeant en raison de son imprudence ou négligence sont nombreuses. Relèvent de la faute de gestion un désintérêt manifeste pour la gestion de l’entreprise, un détournement des fonds de l’entreprise ou encore la réalisation de manœuvres allant à l’encontre des intérêts de l’entreprise…Tout dirigeant d’entreprise s’expose à l’engagement de sa responsabilité personnelle en cas d’infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables, de violations des statuts ou de fautes commises dans leur gestion. Cette responsabilité du chef d’entreprise concerne aussi bien le dirigeant de droit, tel que le gérant de SARL ou le président de société par actions, que le dirigeant de fait, c’est-à-dire celui exerçant en pratique les fonctions de direction.

-Quelles sont les sanctions de la faute de gestion ?

La faute de gestion peut servir de fondement juridique à une action en responsabilité civile et pénale. En matière civile, l’action peut être engagée dès que la faute cause un préjudice à autrui. Pour se faire, il faudra réunir et démontrer une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux. Le dirigeant pourrait ainsi être condamné à payer des dommages et intérêts afin de réparer le préjudice causé. Par ailleurs, la responsabilité civile du dirigeant pourrait aussi être engagée sur le fondement des dispositions du Code de commerce quand il cause un préjudice à la société ou aux associés. Il faut savoir qu’envers les tiers, le dirigeant ne pourra être tenu responsable que des fautes détachables de ses fonctions, à savoir une faute intentionnelle d’une particulière gravité incompatible avec l’exercice normal des fonctions de direction.

Par ailleurs, le dirigeant expose également sa responsabilité pénale, notamment en cas d’abus de biens sociaux. Les sanctions de l’abus de biens sociaux sont codifiées dans le Code de commerce. L’objectif visé par la dépénalisation de l’acte de gestion va libérer les initiatives qui permettraient aux dirigeants des entreprises d’être performants. A l’heure actuelle, les entreprises sont confrontées à de nombreux défis – tels que la concurrence intensive, la mondialisation des marchés, les turbulences de l’environnement économique auxquels leur performance est très sensible. Il paraît évident que, dans les années à venir, réussiront uniquement les entreprises qui seront plus aptes à tirer profit des opportunités et à réduire les menaces auxquelles elles seront confrontées.


Lire la suite sur El Watan.