Ali Hached, ancien vice-président de Sonatrach

« Il faut repenser la gouvernance de nos ressources naturelles»



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Ali Hached connaît la Sonatrach comme nul autre pour y avoir passé presque toute sa vie. Il a la maitrise du secteur de l’Energie, il a occupé d’importantes fonctions et responsabilités, il a été aussi bien dans l’opérationnel que dans l’élaboration des stratégies du secteur et dans le conseil. Il nous livre dans cette interview sa vision sur la transition énergétique, les ratages de l’Algérie. Il met en évidence les menaces qui pèsent sur notre sécurité énergétique, il parle du gaz de schiste, des enjeux, des mauvais choix en matière de projets, comme celui de la raffinerie de Hassi- Messaoud, du rachat de la raffinerie d’Augusta en Italie. Tous les sujets brulants liés à l’actualité du secteur de l’Energie.  

 

Propos recueillis par  Saïd Rabia

 

 -Le monde change, économiquement, politiquement et technologiquement, les relations économiques internationales aussi, toutefois ce n’est que depuis 2001 qu’on évoque un réchauffement climatique qui menace toute la planète à l’horizon 2050. Tous les regards se tournent vers les grandes compagnies Oil&Gas qui sont en train de s’adapter à ce  nouveau défi en faisant appel à de nouvelles technologies.  En Algérie, on peine à assimiler ces mutations, on a du mal à les intégrer. Le problème est-il d’ordre politique, c’est-à-dire dans l’élaboration des stratégies, ou plutôt exogène dû au jeu de puissances dans un monde régulé par la vitesse des transformations technologiques et géopolitiques ?

 

Oui, le monde change en permanence. Il faut distinguer la problématique du réchauffement climatique du concept de transition énergétique, qui est un concept d’abord économique, mais également souvent politique.  Les transitions énergétiques existent depuis le début de la révolution industrielle, et reposent sur un schéma d’accumulation dans lequel de nouvelles sources primaires, plus avantageuses, viennent s’ajouter à celles en exploitation, sans jamais les remplacer complètement. Dans cette phase d’accumulation, les hydrocarbures se sont progressivement imposés car ils fournissent plus d’énergie tout en étant plus facile à produire, à transporter et à stocker que le charbon qui avait lui-même supplanté le bois. La percée du nucléaire est, quant à elle, attribuée au premier choc pétrolier de 1973, et relève plus d’une réflexion géopolitique basée sur le thème d’indépendance énergétique que purement économique.

Il faut se rappeler qu’historiquement ce concept a surgi discrètement lors de la première augmentation des prix du pétrole dans les années 1970 pour vanter la diversification du mix énergétique, une manière subtile pour les pays occidentaux d’alerter sur leur dépendance trop forte au pétrole venant des pays arabes, mais également de l’Union soviétique. Avec la chute des prix du pétrole au milieu des années 1980, il a quelque peu été mis en sourdine, n’étant plus « utile ». Il a fallu attendre les années 2000 pour le voir réapparaitre avec la remontée des prix des énergies, d‘où d’ailleurs les suspicions, voir les réticences, des pays producteurs vis-à-vis des discours sur la question climatique. Dans ces contextes évolutifs, le concept de transition est donc appréhendé différemment par les uns et les autres : pour les États-Unis, par exemple, il avait pour objectif essentiel de réduire la dépendance du pays à l’égard des importations d’hydrocarbures. Cet objectif a été rendu possible grâce au déploiement à grande échelle des pétroles et gaz de schistes, qui ont fait des USA un exportateur net de pétrole et de gaz, et l’ont replacé au centre de l’équation énergétique mondiale, avec la Russie et l’Arabie Saoudite. En revanche, en Europe, la transition a servi à justifier des politiques nationales très différentes d’un pays à l’autre, sous couvert de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), de promotion des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. Pour reprendre certains observateurs et faire dans la caricature, au nom de la transition énergétique, l’Allemagne abandonne le nucléaire mais ne renonce pas au charbon, ni même au lignite ; à l’inverse, le Royaume-Uni décide de lâcher le charbon et de revenir au nucléaire, la Pologne s’accroche désespérément au charbon tout en cherchant à entrer dans le nucléaire et la France, tergiverse sur les moyens de réduire le poids du nucléaire dans son mix électrique.

Dans les pays producteurs notamment ceux de la région MENA (y compris l’Algérie), la transition énergétique est souvent appréhendée comme une solution à la dépendance à la rente pétrolière. Dans les nouveaux pays émergents, elle est vue comme un moyen de satisfaire les besoins grandissants en énergie compatibles avec les besoins croissants de leurs économies, en limitant le coût. Tout cela pour dire que le lien entre l’énergie et le climat, est apparu bien tardivement et timidement en 1997 durant la réunion de Kyoto, dans le prolongement du Sommet de la Terre en 1992 à Rio. Vous avez donc raison : ce n’est qu’en 2001 que l’impact de l’énergie sur la dégradation du climat a été cette fois sans équivoque, mis en évidence dans un rapport publié par l’organisme Onusien GIEC démontrant que le réchauffement climatique observé ces cinquante dernières années est attribuable aux énergies fossiles et à l’activité humaine. En 2015, les pays signataires de l’accord de Paris (COP21) se sont engagés à contenir le réchauffement en dessous de 2°C, et si possible 1,5°C, à l’horizon 2100.

Ceci dit, la transition énergétique est aujourd’hui définie comme un processus qui va s’étaler sur des dizaines d’années et qui vise à réduire les émissions des GES. Bien entendu, ce processus vise aussi à réduire la pollution et à améliorer l’efficacité énergétique. Au fur et à mesure du déroulement de ce processus, il est évident que les enjeux géopolitiques et géoéconomiques liés aux politiques de l’énergie et du climat sont appelés à se complexifier, s’élargir et se renforcer. Et bien sûr, pour tous les pays qui se sont fixé des stratégies de transformation de leur système énergétique, la maîtrise des chaînes de valeur des technologies bas-carbone est centrale.  Pour l’Algérie, la solution est certainement d’ordre politique. Pour ma part, je considère que ce nouveau défi est une opportunité, car notre pays est en mesure de développer des systèmes énergétiques durables et résilients permettant d’assurer notre sécurité à la fois alimentaire et énergétique tout en intégrant la possibilité d’exporter de l’énergie verte vers les marchés de proximité.

Votre question de savoir qui va arrêter ou seulement orienter les objectifs de la transition énergétique en Algérie est pertinente. J’espère que ce seront des algériens qui donneront la priorité à nos intérêts de long terme et non à ce que vous appelez les « puissances exogènes » qui pourraient choisir d’investir en Algérie dans des systèmes visant exclusivement à assurer leur propre sécurité énergétique. L’histoire ne manque pas d’exemple d’ « investissements économiques » qui se transforme en une mise sous tutelle d’un pays. Dans cette transition énergétique qui s’annonce, l’Algérie, forte d’une volonté étatique souveraine devrait, impérativement, s’appuyer sur des entreprises publiques et privées (lorsque cela est possible) ainsi que sur le partenariat étranger et sur des chaines de valeurs intégrées, tout en menant une politique de soutien direct et indirect, d’une part à des acteurs économiques ciblés en mesure de développer un écosystème d’innovation sur le long terme , et d’autre part aux citoyens à faibles revenus .

 

–Dans quelles mesures les marchés des énergies fossiles pourraient-ils être impactés par cette transition à court, moyen et long termes ?  

La totalité des scénarios climatiques prédisent, au niveau mondial, une baisse de la demande de charbon et un déploiement considérable des énergies renouvelables. Selon ces modèles, la demande globale de gaz naturel va continuer à croître dans presque tous les scénarios. Il faut noter que l’hypothèse de la croissance démographique mondiale est essentielle dans la croissance de la demande d’énergie.

Par contre, il n’y a pas de consensus au niveau des experts sur l’avenir du pétrole. Si le parc des véhicules électriques augmente comme prévu, la demande mondiale pétrolière baissera d’environ 5 à 6 millions de barils par jour à l’horizon 2040. Il est intéressant d’ailleurs de noter que la voiture électrique ne sera peut-être pas le seul vecteur de transition, de nombreuses innovations étant en cours de validation.

Ce qui doit intéresser notre pays, c’est bien sûr l’impact sur le gaz naturel. Ce dernier représente, début 2020, près de 24% de la consommation énergétique primaire mondiale. Au-delà de ce poids relativement limité mais en constante augmentation, cette source d’énergie fait l’objet d’une attention particulière en raison de ses moindres émissions en termes de CO2, soit –pour une même quantité d’énergie produite–, 20% de moins que celles du pétrole et surtout 40% de moins que celles du charbon. La pénétration du gaz naturel dans le mix énergétique, notamment à la place du charbon, a ainsi permis à nombre de pays, tels que les États-Unis, de réduire significativement leurs émissions de GES.

La bonne nouvelle, c’est que depuis 2009, le coût actualisé du solaire photovoltaïque a diminué de près de 90%. Conséquence : la production d’électricité solaire a augmenté rapidement ces dernières années grâce à ces fortes baisses. En 2018, l’énergie solaire a généré 2,3% de l’électricité, mais d’ici 2040, la plupart des projections indiquent une croissance de plus de 10%. Bien que le solaire soit une technologie en évolution rapide, projeter son avenir à long terme est un véritable défi en raison notamment de son utilisation intermittente. Vous avez certainement en mémoire que plusieurs régions en Europe et aux Etats-Unis ont expérimenté cet hiver les aléas liés à l’absence de vent et de soleil.  Malgré tout, les scénarios climatiques les plus ambitieux indiquent que le solaire fournira plus de 20% de l’énergie mondiale en 2040. Les énergies renouvelables, menées par l’éolien et le solaire, devraient à plus long terme jouer un rôle dominant dans la nouvelle production d’électricité dans presque tous les scénarios.

De son côté le Gaz naturel sera la deuxième source du mix de génération électrique. Par contre, essayer de prédire la demande de charbon dans le secteur de la génération électrique est plus problématique. La seule chose que l’on peut dire est que le charbon sera sans nul doute le paramètre d’ajustement des mix énergétiques de certains pays, notamment la Chine et l’Inde. Le poids du charbon dans le mix énergétique de la Chine et de l’Inde constitue donc la principale incertitude à long terme.

 

 -Quelles sont les différentes approches défendues par les acteurs majeurs ?

Tout d’abord il faut bien comprendre que la transition énergétique est considérée par beaucoup comme un défi majeur scientifique et technologique mais surtout politique. Parce que tout simplement les  sociétés et les gouvernements ne sont pas préparés à faire face à des défis qui requièrent une gouvernance globale et donc une parfaite coopération entre les Etats aux intérêts antagonistes. Nous vivons, en effet, une situation inédite où un groupe de scientifiques soutenu par les populations, a réussi, semble-t-il, à dicter un ordre du jour aux gouvernements et à interagir sur des intérêts politiques et économiques majeurs. En effet, force est de constater que face à la logique de la libéralisation des marchés énergétiques et des intérêts économiques de court terme, ce mouvement sociétal s’efforce d’imposer une politique visant des objectifs de très long terme. Dans la mesure où les deux approches obéissent à des idéologies antagonistes, quel compromis peut-on voir émerger entre, d’une part, la recherche du profit entretenu par une croissance économique jugée incontournable et, d’autre part, la protection de l’environnement ?  Autrement dit, les protagonistes en quête d’une solution non conflictuelle, réussiront-ils à s’entendre sur une voie garantissant un équilibre des intérêts économiques et des nécessités environnementales ?

Qu’à cela ne tienne, il faut rassurer les peuples. La plupart des économies, notamment en Europe, se mobilisent pour remplacer les énergies fossiles par des options plus propres, comme l’électricité sans carbone ou d’autres gaz à faible empreinte environnementale (« gaz vert » de biomasse, « hydrogène vert »).

On observe maintenant chez les grands groupes intégrés d’origine européenne une nouvelle stratégie qui s’écarte quelque peu de celle du « BigOil » (tout hydrocarbures). Shell en est la parfaite illustration lorsqu’il déclare qu’il sera le plus grand fournisseur d’électricité au monde d’ici 2030. Par contre, les entreprises américaines comme ExxonMobil ou Chevron, qui ont accès à des réserves d’hydrocarbures nettement plus importantes, continuent à se concentrer sur le cœur de leur métier traditionnel. Jusqu’à présent, les majors américains sont peu enclins à suivre la diversification verte des sociétés européennes. ExxonMobil et Chevron maintiennent leur stratégie « pure play » ou métiers de base axées sur le pétrole et le gaz et partagent une vision optimiste des fondamentaux à long terme du pétrole et du gaz. On peut donc s’interroger sur la  survenance d’un schisme au sein des multinationales ? La plupart des entreprises américaines, choisiront-elles de ne pas prendre les risques de diversification et resteront-elles concentrées sur la maximisation de la valeur des activités pétrolières et gazières ?

 

 -Malgré son potentiel, l’Algérie se retrouve hélas, très en retard dans la transition énergétique. Pis encore, une certaine politique en a hypothéqué même les acquis du secteur. Comment pouvait-on arriver à cette situation de crise et de panne structurelle? Comment pouvait-on rater des tournants très importants et aussi décisifs dans l’évolution des industries d’Oil & Gas ?

Beaucoup de pays ont d’abord définit une vision à très long terme de leur système énergétique en fonction des nouveaux enjeux ; vision qu’ils ont décliné en objectifs stratégiques permettant de décliner  des politiques sectorielles claires et les instruments à mettre en place, et ce en prenant soin de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour orienter l’offre et la demande d’énergie, et généralement en tenant compte de leurs potentiels en ressources naturelles. Le développement des EnR et l’amélioration de l’efficacité énergétique sont deux options que l’on retrouve dans les plans de pratiquement tous les pays, même en l’absence de subventions. Cette tendance lourde s’est amplifiée ces dernières années grâce à plusieurs innovations technologiques qui ont permis une réduction importante des coûts (baisse de prix de 90% entre 2009 et 2014 pour les cellules photovoltaïques). Il est vrai que l’Algérie a d’importants atouts pour le photovoltaïque: un ensoleillement exceptionnel, des terrains désertiques au Sud qui se prêtent à des parcs solaires extensibles (1 ha/MWc), des gisements de silice pratiquement purs (le silicium cristallin représente 90 % du marché mondial des cellules photovoltaïques) et du gaz naturel pour solutionner l’obstacle de l’intermittence. Elle a aussi tout à gagner puisque cette activité, dans ses volets industriels et services pour l’autoproduction, peut créer des milliers d’emplois sur l’ensemble du territoire national. Une industrie de panneaux solaires peut se développer rapidement et exporter des kits vers certains pays émergents, notamment en Afrique et pas seulement.

Quels sont donc les obstacles ? Le premier obstacle, et c’est certainement une des clés de la réussite des programmes, c’est l’absence d’un cadre juridique autorisant l’autoproduction, avec reprise des excédents par le réseau de distribution, au niveau des particuliers, des PME et des agriculteurs.  Le deuxième  obstacle, c’est évidemment le financement des investissements lourds des parcs solaires pour produire de l’électricité EnR et l’engagement d’achat à long terme de l’électricité verte produite par le gestionnaire de réseau et ce, au tarif fixé par l’appel d’offres. Le troisième obstacle, c’est l’absence d’interconnexion entre les réseaux Sud et Nord de transport d’électricité sachant que les meilleurs sites d’implantation des parcs solaires et même éoliens sont localisés au Sud et que la demande est structurellement au Nord. Le quatrième obstacle enfin, c’est la gestion de l’intermittence notamment lorsque le poids des EnR dans le mix électrique sera conséquent.

Votre question mentionne une situation de crise et de panne structurelle. Il y a une panne, c’est évident, puisque jusqu’à ce jour, notre mix électrique continue à dépendre presque exclusivement du gaz naturel. La situation de crise provient de la hausse exponentielle de la demande d’électricité et de gaz naturel alors que les perspectives indiquent une baisse de production d’hydrocarbures conventionnels à moyen terme. Si ces perspectives se confirment, l’Algérie aurait consenti des investissements, en période de crise financière je vous le fait remarquer, pour réaliser des centrales électriques et des raffineries et ce, pour faire face à des pics de demande d’électricité et de carburants qui  risquent de ne pas  tourner  à pleine capacité au-delà de 2030. Cette croissance exponentielle de la demande d’énergie est liée à l’absence d’application sur le terrain d’un modèle de consommation dont les termes ont été définis depuis de nombreuses années. Il faut s’attaquer de manière urgente au gaspillage, encourager l’isolation thermique dans le bâtiment, l’autoconsommation en électricité  solaire et donner une impulsion aux carburants alternatifs notamment le GNV pour freiner les courbes de croissance exponentielle de la consommation de gaz et de pétrole.

La question essentielle est : comment allons-nous gérer l’intermittence de l’énergie solaire à long terme ? Faudra-t-il se préparer à importer du gaz naturel, réaliser des nouvelles filières telles que le  charbon propre ou le nucléaire ou recourir au gaz des gisements non conventionnels ? Quelles que soient les réponses à ces questions, l’Algérie a aujourd’hui des défis urgents à relever. Le climat n’est pas l’essentiel de ses préoccupations, c’est la satisfaction des besoins croissants en énergie à partir de 2030, moteur du développement futur de son économie  et la mise en place urgente d’un nouveau modèle économique et social qui pourra se passer de la rente des hydrocarbures. C’est une tâche vitale qui attend notre pays.

 

-C’est depuis plus d’une année qu’on prépare les textes d’application de la nouvelle loi sur les hydrocarbures 2019. On en est à la publication des premiers textes. Que pensez-vous de ce nouveau cadre juridique, qui pour certains, est susceptible de redorer le blason du secteur de l’Energie, capter et remobiliser l’investissement étranger en Algérie ?

 La  nouvelle loi sur les hydrocarbures a été votée par l’APN en novembre 2019. Le ministère de l’Energie communiquait régulièrement sur l’état d’avancement de l’élaboration des textes d’application. Si mes souvenirs sont bons 38 textes étaient attendus et 32 étaient en cours d’approbation. A ce jour, quelques décrets ont été publiés. Compte tenu du fait que l’essentiel semble en cours de finalisation, il faut espérer que l’ensemble des textes soient publiés durant le deuxième trimestre 2021.  On aura donc à ce moment-là une meilleure idée de l’ensemble du corpus juridique régissant les activités de l’Amont algérien. Je ne ferai donc en attendant que quelques commentaires à caractère général.

Tout d’abord il est utile de rappeler qu’il serait anormal pour un pays pétrolier comme le nôtre, disposant d’un potentiel important en hydrocarbures, notamment dans le non-conventionnel, mais de moyens financiers limités et indispensables à d’autres secteurs de  l’économie, de faire supporter à Sonatrach seule l’effort financier colossal que requièrent les investissements nécessaires et de lui faire prendre les risques y afférents notamment ceux liés à l’exploration. Depuis l’adoption de la loi sur les hydrocarbures de 2005, ses modifications successives  en 2006 et en 2013, notre pays a perdu beaucoup de temps dans la recherche du meilleur cadre juridique et fiscal pour relancer le partenariat dans l’exploration et la production d’hydrocarbures et offrir aux potentiels investisseurs  étrangers un cadre juridique suffisamment attractif, clair et surtout stable sur le long terme en adéquation avec les durées habituelles dans le monde pétrolier. Le tournant pris dans la politique énergétique de l’Algérie à la fin des années 80 avait pourtant permis la conclusion de nombreux contrats de partenariat qui ont participé à la découverte de nouveaux gisements et ont augmenté de manière importante la production algérienne d’hydrocarbures. La plupart de ces contrats arrive à terme dans les 5 prochaines années. Or depuis, et en 15 ans, seuls 4 appels d’offres pour la recherche et l’exploitation d’hydrocarbures ont été lancés avec des résultats mitigées et décevants. En l’absence donc de signature de  contrats d’exploration et de production, et ce depuis de nombreuses années, comment augmenter notre production en déclin ? Que feront nos partenaires actuels ? Et si de nouveaux ne seront même pas envisageables?

On peut déplorer qu’il ait fallu plus de 5 ans pour élaborer le texte de la nouvelle loi. Pourtant et suite à la guerre des prix lancée par l’Arabie Saoudite à la mi 2014 et l’effondrement des prix qui s’en est suivie, l’idée que le nouvel équilibre du marché pétrolier s’orientait durablement dans la fourchette  50-70 dollars par baril s’est imposée progressivement, et les réflexions avaient été engagées pour apporter les amendements nécessaires, notamment sur le plan fiscal. La nouvelle mouture de la loi aurait donc pu être adoptée dès l’année 2015. Ceci dit la nouvelle loi est maintenant disponible et il faut agir très vite pour des raisons évidentes.

Comment capter et  remobiliser l’investissement ? Rappelons tout d’abord que la nouvelle loi se présente comme une loi simple et claire intégrant l’ensemble des typologies de contrat, et notamment le contrat de partage production qui a prouvé sa pertinence par le passé. Cette loi propose une fiscalité simplifiée et attractive et doit, dans les textes d’application, mettre en place des mécanismes encadrés pour éviter une distorsion de concurrence et d’éventuels contentieux. La séparation et la clarification des rôles d’ALNAFT et de SONATRACH, devraient aussi apparaître clairement dans les textes élaborés, dans une optique de complémentarité et non de concurrence et ce pour le bien du secteur.

Ceci dit, Il faut bien sûr, dans la mise en œuvre de la loi, que les autorités définissent une vision claire et partagée par rapport au bouleversement présent et à venir de l’industrie des hydrocarbures dans le monde. Même si la nouvelle fiscalité améliore substantiellement la rentabilité de l’investisseur, il n’en demeure pas moins que l’investisseur comparera cet avantage par rapport à ceux offerts par d’autres pays et la comparaison visera,  au-delà  de l’aspect fiscal, le risque inhérent au climat des affaires dans son contexte global. Il ne faut pas oublier que l’Algérie subit de manière forte les effets de la concurrence qu’exercent les pays émergents exportateurs d’hydrocarbures. Ces derniers offrent des termes contractuels extrêmement avantageux en raison de  leur besoin d’argent important et impérieux. Les investisseurs étrangers se voient alors octroyer avantageusement des permis sur de larges blocs et de longues durées. Tous ces éléments de compétition doivent être pris en compte, tout en y intégrant les circonstances actuelles de repositionnement stratégique des acteurs sur la scène énergétique mondiale, à la lumière des nouvelles approches liées à la transition énergétique en cours. Les démarches classiques ne seront donc pas suffisantes, et il sera incontournable de repenser la gouvernance de nos ressources naturelles, et à travers cet exercice, d’imaginer et de négocier de nouveaux modèles de partenariat et de relations plus larges avec les investisseurs intéressés qu’il serait trop long de développer ici. Ce n’est qu’à ces conditions que l’on peut espérer impulser une nouvelle dynamique de valorisation du domaine minier algérien et comme vous le dites «  redorer le blason de notre secteur énergétique ».

-Retard dans l’amorcement de la transition énergétique, amenuisement des ressources fossiles selon des déclarations de responsables algériens.  La sécurité énergétique de l’Algérie est-elle réellement menacée?

Depuis le début des années 2000, l’Algérie n’a pas cessé de modifier le cadre juridique et fiscal de l’exploration et de la production d’hydrocarbures. Ces changements, qui ont conduit notamment à la création de l’agence Alnaft, n’ont pas, à ce jour, été concluants, dans la mesure où l’Algérie n’a pas été en mesure d’attirer des investisseurs étrangers pour partager les risques d’exploration et renouveler, voir augmenter, ses réserves d’hydrocarbures. L’exploit des années 90 qui a conduit, grâce à la loi 86-14, à la découverte d’importants gisements dans les régions de Hassi Berkine et d’Ourhoud et à l’augmentation des réserves et de la production algérienne d’hydrocarbures n’a pas été renouvelé. En 2005 l’Etat a en effet retiré à Sonatrach, une de ses  missions essentielles, à savoir le renouvellement des réserves, pour la confier à Alnaft, sans que celle-ci se donne, en 15 ans, les moyens effectifs d’accomplir efficacement cette mission. On observe donc depuis longtemps une baisse de la production et des exportations d’hydrocarbures.

Selon le ministère de  l’énergie, le sous-sol algérien renferme des réserves  prouvées et récupérables d’environ 2500 milliards de mètres cubes de gaz, et la production annuelle de l’Algérie en gaz est d’environ 130 milliards de mètres cubes, dont 85 milliards de mètres cubes m3 sont destinés à la consommation interne et à l’exportation, le reste étant réinjecté dans les gisements. Il avait annoncé que le volume des exportations et de facto, les recettes seront réduites à partir de 2025  et que, si on ne découvre rien d’ici 2030, les ressources du sous-sol seraient réservées au marché national pour assurer la sécurité énergétique. A moyen terme, nous pouvons donc assurer sans problèmes l’approvisionnement gazier du marché national tout en continuant à dégager des volumes substantiels à l’exportation, mais rapidement l’équation risque de changer drastiquement et donc menacer notre sécurité énergétique. Pour garantir notre approvisionnement à plus long terme il nous faut donc non seulement diversifier notre mix énergétique, mais aussi mettre en exploitation de nouvelles réserves de gaz. Il ne faut pas se faire d’illusions, il sera très difficile, (voire impossible), surtout après la crise sanitaire que nous vivons et les bouleversements attendus de l’environnement économique et financier international, de créer en dix ans un modèle où les revenus en devises tirés des hydrocarbures seraient totalement remplacés par la création de richesses à partir d’autres ressources minérales, de notre matière grise et de nos savoir-faire. Il faut l’espérer mais on peut raisonnablement en douter.

-L’exploitation du gaz de schiste peut-elle s’avérer inéluctable et intégrer l’équation du mix énergétique algérien ?

 Il faut d’abord se rappeler que le ministère de l’énergie avait, avec la création de l’agence APRUE en 1985, affirmé la nécessité d’entamer la diversification de nos sources énergétiques et la rationalisation de leur utilisation. Il faut relire les textes de création de cette agence qui restent d’actualité. Personne n’a vraiment pris au sérieux les recommandations de l’époque. Prenez par exemple le raffinage. On savait que l’augmentation de la pollution automobile allait durcir les normes d’émissions et augmenter les investissements dans des unités de traitement pour supprimer le soufre, le benzène etc.. On avait recommandé d’opter pour la bicarburation GPL et GNV pour limiter ces investissements. L’un des investissement jugé prioritaire dans le domaine du raffinage, c’est le projet de conversion en essences et gasoil des 4 millions de t/an de fuel produit à la raffinerie de Skikda qui est régulièrement reporté depuis plus de 20 ans ! Qu’a-t-on fait ?  Exactement l’opposé de tout ce qui a été recommandé. L’utilisation du GPLc n’a vraiment décollé que depuis quelques années, l’utilisation du GNV se fait attendre, le programme EnR, décidé en 2011, en est toujours dans ses balbutiements et je pourrais continuer la liste indéfiniment. Quelles sont les solutions sur la table pour satisfaire la croissance de la demande nationale ?  Aurons-nous à la fin de cette décennie les moyens d’importer du gaz pour faire fonctionner notre parc de centrales électriques sachant que le programme des EnR, qui ne pourra être une solution alternative que lorsque l’on aura réglé le problème de leur intermittence,  peine à décoller et à atteindre une vitesse de croisière soutenue ? Chaque jour qui passe montre l’urgence de se préparer à  répondre à cette question.

Si rien n’est entrepris  dès aujourd’hui, le déclin de l’offre gazière prévu à partir du milieu de cette décennie nous conduira inexorablement à une insuffisance de gaz, et nous ne pourrons plus à la fois continuer à assurer le fonctionnement à long terme de nos centrales électriques en exploitation et en projet, et d’autre part honorer nos contrats à l’exportation.. Autrement dit, en l’absence de nouvelles découvertes importantes de gisements conventionnels de gaz, la mise en production de l’offre gazière actuellement en développement ou planifiée ne pourra pas suppléer au déclin de la production des gisements existants à la fin de la présente décennie. Notre pays n’a donc pas beaucoup de temps pour réagir et sera avant 2030 confronté à un véritable défi : le choix douloureux d’arbitrer entre le marché national et l’exportation. Bien sûr, les échéances de cet arbitrage vont  se rapprocher si on continue à retarder l’autoproduction et les parcs éoliens et solaires pour donner la priorité à l’augmentation de capacité des turbines à gaz. Le ministère de l’Energie avait annoncé publiquement que cet arbitrage allait commencer autour de 2030. Malgré l’adoption de la nouvelle mouture de la loi, Il faudra certainement plusieurs années pour en voir des effets significatifs pour inverser la tendance actuelle dans la production d’hydrocarbures. Je pense que le développement de la production de gaz à partir de gisements non conventionnels, qui eux sont identifiés, pourraient venir progressivement compenser le déclin de la production notamment celle, attendue à moyen terme et malheureusement inexorable, du gisement de Hassi R’mel.

L’Algérie est en effet créditée selon l’agence Alnaft d’un niveau de réserves récupérables d’hydrocarbures non conventionnels d’environ 25 000 milliards m3 de gaz et 16 milliards de barils d’huile. Ces niveaux de réserves récupérables sont considérables et représentent  pour le gaz 8 fois celles de Hassi R’Mel et pour l’huile sont de 30% supérieurs à celles du gisement de Hassi Messaoud.  On a tous en mémoire  que Sonatrach, forte de ces évaluations, a entamé à partir de 2011 les études et la réalisation d’un projet pilote pour confirmer ce potentiel et le premier puits de gaz de schistes foré a effectivement produit 165 000 m3/jour de gaz pendant 18 mois en continu, ce qui au regard de cette performance, permet d’augurer de la confirmation du caractère commercialement exploitable du gaz de schistes en Algérie, à l’image de son exploitation aux  USA. De plus, il faut rappeler et rappeler que, contrairement à d’autres pays, nous disposons déjà de toutes les infrastructures d’évacuations : stockage, gazoducs, usines GNL, méthaniers, … nous serons donc plus compétitifs que beaucoup de nouveaux pays gaziers, conventionnels ou non, qui doivent construire ce que nous avons commencé en 1964. Peu d’experts relèvent ce point essentiel sur le plan économique.

Pour répondre donc plus explicitement à votre question, je pense que le gaz naturel d’origine non conventionnel, sur la base des projections actuelles et du niveau des investissements EnR envisagé, est incontournable si l’on veut assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’économie nationale et les recettes financières minimales pour le développement du pays. Il faut savoir que si le programme des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique annoncé par le ministère de la Transition énergétique est réalisé, les économies de gaz permises par le programme de 15000 mégawatts à l’horizon 2035, bien qu’appréciables, ne dépasseront pas 5 milliards de m3 de gaz par an en phase plateau, et ce face à une demande prévisionnelle, qui dès 2030, est estimée à 68 milliards de m3.

Enfin, Il faut bien sûr ne pas oublier qu’un élément essentiel dans le processus des activités liées aux gisements non conventionnels  est l’acceptation par la société, et en particulier nos compatriotes des zones sahariennes, des opérations de fracturation hydraulique et l’assurance des retombées économiques et financières de cette prise de risques sur ces populations. Au stade actuel de la technologie, cette dernière reste indispensable à la mise en production des puits. Il faut souligner que les risques liés aux activités de fracturation hydraulique ne sont pas plus élevés selon qu’il s’agisse de gisements non conventionnels  ou de gisements conventionnels. En effet les mêmes séries  de coffrages cimentés isolant les zones interceptées par les puits sont utilisés. Rappelons aussi que Sonatrach a exploité, ces 50 dernières années,  plus de 12.000 puits en ayant recours à ces techniques sans rencontrer de problèmes majeurs. Il est cependant indispensable de répondre à l’appréhension des populations locales en expliquant que le risque lié à cette technologie est maitrisé, l’entreprise nationale y ayant recours dans ses gisements conventionnels depuis plusieurs années, pour peu que les opérations soient conduites selon les standards et pratiques de l’industrie pétrolière et dans un strict respect des règles environnementales. L’Algérie pourrait, dans sa démarche visant l’obtention du ‘’permis social’’, s’inspirer des politiques menées dans d’autres pays ayant réussi ce test.

 

-Pourrait-on fixer dès à présent des objectifs prioritaires pour réussir une transition énergétique et identifier les voies et moyens pour les atteindre ?

L´objectif prioritaire, quasiment vital, compte tenu des éléments d´appréciation et d´évaluation dont on dispose aujourd´hui en rapport avec le triptyque ressources/consommation/exportations, est de garantir la sécurité énergétique de notre pays au-delà de 2030. En deuxième lieu et parallèlement, il s´agit de préparer et gérer notre transition énergétique dans un monde qui avance à marche forcée vers la neutralité carbone. Pour faire face aux défis qui nous attendent, et ils sont énormes, il n’y a pas de miracles : il faut sortir de notre léthargie et vaincre l´immobilisme.

Il faut rapidement lancer une réflexion sur l’organisation du secteur de l’électricité. Sonelgaz détient le monopole de la production et de la gestion des réseaux de transport et de distribution électrique. Il faut ouvrir un débat sur l’opportunité de développer une stratégie « d’Unbundling » (séparation) entre les activités de production d’électricité d’une part et la gestion des réseaux de transport et de distribution d’électricité d’autre part, afin d’améliorer l’efficacité de l’offre électrique en introduisant une transparence au niveau des coûts des segments de la chaîne de valeur du producteur jusqu’à la facture d’électricité. A cet effet, Sonelgaz devrait conserver uniquement le monopole du transport et de la distribution d’électricité avec pour missions principales de moderniser et de mettre à disposition les réseaux publics aux différents fournisseurs, y compris les producteurs EnR, de fournir de l’électricité à tous les consommateurs et de gérer les réseaux selon les normes mondiales en minimisant les pertes qui sont actuellement largement supérieures aux standards internationaux.  Bien entendu, il faudra assainir les finances de Sonelgaz à travers cette réorganisation.  Je ne vois pas comment une société de transport et de distribution pourrait garantir l’achat à long terme de l’électricité EnR aux prix des appels d’offres avec sa dette abyssale qui s’est accumulée au fil des années.

La tarification de l’électricité ayant un poids considérable sur la PMA (puissance maximale appelée) et donc sur les investissements de production, je pense qu’il faut lancer la réflexion pour étudier l’idée d’introduire des tarifs horaires dans les factures d’électricité. Avec l’introduction effective de compteurs intelligents, on pourrait  introduire les tarifs heures creuses et heures pleines que le distributeur fixera régulièrement pour chaque zone de consommation.  Au niveau de l’efficacité énergétique dans les secteurs de consommation, le ministère de la transition pourrait mettre en place ou redynamiser des entités chargées d’auditer la consommation énergétique des industries énergivores et de participer à l’élaboration d’une nouvelle tarification et à la lutte contre le gaspillage. Dans le domaine du transport, des mesures d’efficience telles que le développement de réseaux de tramways dans les grandes villes devraient être généralisées. Il est recommandé de poursuivre l’effort d’électrification du rail pour les grandes distances, de promouvoir le transport en commun urbain et interurbain et surtout développer des réseaux régionaux pour décongestionner par rail les grandes villes. Par ailleurs la diésélisation forcée du parc auto est problématique. Je recommande donc d’accorder beaucoup d’intérêt à l‘étude et aux essais entrepris depuis un an par Naftal qui envisage l’acquisition de kits de conversion au GPLc (ou au GNV pour les poids lourds) pour des véhicules Diesel. On pourrait reprendre d’autres  recommandations formulées par de nombreux experts et organisations mais qu’il serait trop long de développer ici.

Le deuxième volet de votre question concerne Sonatrach. Son rôle sera primordial si on lui demande de développer les gisements de gaz non conventionnels pour assurer un niveau de production suffisant et pour gérer le problème d’intermittence des EnR. Dans ce cas précis, elle devra revoir profondément son organisation avec l’objectif d’acquérir le savoir-faire nécessaire. Il lui faudra acquérir de nouveaux appareils de forages en nombre très important et ce au fur et mesure des objectifs de croissance de la production de gaz envisagée. Idem pour les services qui accompagnent les plans de production. Le renforcement de la logistique de transport et de stockage et le développement du contenu local sont aussi à entreprendre sérieusement dans la perspective d’une meilleure maitrise des coûts. Les chantiers à cibler en particulier concerne non seulement l’ouverture des carrières de sable nécessaires à la fabrication du proppant servant à la fracturation hydraulique, mais aussi la réalisation d’usines de fabrication de produits tubulaires. Au-delà de l’aspect maitrise des coûts, ces actions visent aussi la création d’emplois qui fait cruellement défaut dans les régions du Sud et des Hauts plateaux.

La capacité de formation de ses instituts spécialisés dans les domaines de l’amont des hydrocarbures devra être renforcée. Le personnel spécialisé dans le cœur de métier de Sonatrach est stratégique et est très recherché par les pays du Golfe et par les nouveaux acteurs africains et  l’absence de ce personnel, attiré par de meilleures conditions de travail, sera pénalisante et il sera difficile de remobiliser les hommes et les former à nouveau. Sonatrach sera certainement amenée aussi à réfléchir à de nouvelles formes de partenariat, adaptées à cette nouvelle activité. Comme vous le voyez la tâche est immense et plus on tardera à  prendre en charge les actions nécessaires, plus il sera difficile de respecter les échéances correspondant à la nécessite absolue de mettre à disposition la nouvelle production de gaz.

 

-La compagnie nationale d’hydrocarbures a été secouée par plusieurs scandales. Sa gestion  a brouillé ses priorités et ses perspectives. Le rachat de la raffinerie d’Augusta en Italie, la construction d’une raffinerie à Hassi Messaoud dont le coût s’élèverait à 4 milliards de dollars en sont symptomatiques. Que faut-il faire pour remettre la machine sur les rails ? 

Les turbulences que Sonatrach a traversées depuis plus de 20 ans ont conduit avant tout à la perte de son dynamisme et de son esprit d´initiative, démobilisant grandement ses cadres à tous les niveaux et figeant ceux en responsabilité dans une sorte d’attentisme paralysant, dans une ambiance générale de suspicion. Ceci a forcément conduit à une perte de vision et d’anticipation face aux évolutions technologiques, aux enjeux des marchés énergétiques et aux positionnements des principaux acteurs. Il en résulte effectivement une perte d’identification des priorités et des perspectives autour de projets à même de mobiliser et fédérer toutes les énergies. C´est un constat malheureux qui perdure et pourtant le temps, encore une fois, nous est compté. Il faut sans délai rattraper tout ce qui a été perdu en termes de mobilisation, d’engagement et d’utilisation des compétences au savoir-faire avéré, mais souvent marginalisées. Les échos qui nous parviennent ne permettent pas de dire que le management de Sonatrach s’est résolument engagé dans cette démarche.

Concernant l´achat de la raffinerie d´Augusta, je voudrais juste apporter quelques éléments révélateurs du manque de professionnalisme-je m’en tiendrais à cet aspect- ayant entouré l’examen de l’opportunité de cette transaction. En effet l’acquisition de ce complexe et le cadre contractuel fixant les conditions de son exploitation et de commercialisation des produits qui en sont issus reposent dès le départ sur deux hypothèses fondamentales erronées ou biaisées, pour ne pas dire mensongères : Premièrement le fait que la raffinerie devait être appréhendée, bien que délocalisée à l’étranger, comme partie intégrante du système de raffinage du territoire national et donc traiter le mélange saharien. Deuxièmement que l’acquisition de cet outil de raffinage à un coût présenté comme avantageux, devait permettre d’arrêter de dépenser près de deux milliards de dollars par an pour couvrir les importations requises de carburants en raison du déficit de la production nationale et donc éviter de grever la balance des paiements du pays de ce même montant.

Présentés de cette manière, chacun peut, de bonne foi, croire à la pertinence d’une telle transaction. Or pour le premier point, n’importe quel ingénieur spécialisé  en raffinage du pétrole, examinant les unités de traitement de cette raffinerie constate que cette dernière  a été conçue pour traiter des pétroles bruts beaucoup plus lourds que le pétrole algérien et donc que l’utilisation de ce dernier ne pourrait s’envisager qu’au prix d’une réduction importante de sa capacité de traitement et d’une modification ou adaptation  de nombreux équipements pour être en mesure d’assurer les rendements et la qualité des produits finis, ce qui est couteux, et pour une raffinerie de 70 ans, problématique. Le deuxième argument est tout aussi inexact. Présenter le chiffre de 2 milliards de dollars comme une hémorragie de devises, en oubliant de dire que la valeur des ventes de pétrole brut non raffiné en Algérie par manque de capacités de traitement est presque équivalente  est troublant ou alors la preuve d’un manque flagrant de maitrise des mécanismes de valorisation des hydrocarbures.

La présentation de la panoplie de chiffres justifiant la transaction réalisée me rappelle cette phrase du célèbre économiste et démographe, Alfred Sauvy : « Les chiffres sont des êtres fragiles qui, à force d’être torturés, finissent par avouer tout ce qu’on veut leur faire dire ». Si l’on ajoute les conditions désavantageuses pour Sonatrach des contrats convenus sur dix ans de commercialisations des produits, impliquant un déficit budgétaire structurel de l’exploitation de la raffinerie, il faut au plus vite arrêter l’hémorragie de devises que cette acquisition controversée fait subir au pays.  Quant au projet  de raffinerie à Hassi Messaoud, que puis-je vous dire simplement.

Un contrat a été attribué en 2019 pour mettre en place un schéma de traitement sophistiqué d’une capacité de traitement de cinq millions de tonnes/an, d’un montant de l’ordre de quatre milliards de dollars. Je pense que nonobstant la situation financière que vit notre pays, une raffinerie beaucoup moins coûteuse, de type hydroskiming, permettrait de satisfaire les besoins en carburants de la région sud.Que faut-il faire pour remettre la machine sur les rails dites-vous ? Commencer par penser les projets à partir d’études sérieuses et approfondies, associant tous les domaines de compétences et mobilisant de vraies équipes aguerries, maitrisant la gestion des projets, contrats et techniques de négociations,  comme l’avait toujours fait Sonatrach. L’erreur est humaine et la prise de risque est partie intégrante de tout projet. La rigueur et le professionnalisme implique de faire passer à chaque projet  et contrat les tests de validation à toutes les  étapes décisionnelles. C’est à ce prix que l’on pourra minimiser tous les risques et éviter de vivre des situations de type Augusta.

 

 

 


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