Le 8 mai 45, premier 1er Novembre 54 !



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Ce jour du 8 mai 1945 en Algérie, en marge de la célébration officielle de l’armistice en France, les militants du Parti du peuple algérien (PPA, dissout en 1939) manifestent à Sétif pour réclamer la libération de Messali Hadj, emprisonné depuis 1937. Ils défilent pour fêter aussi la victoire contre le nazisme, d’autant que de très nombreux Algériens ont payé de leur vie la libération de la France. Des pancartes où l’on lit « Algérie libre », « Libérez Messali Hadj », ou encore « Indépendance » sont déployées. La foule entonne « Min Djibalina », l’hymne nationaliste de l’époque.

Alors qu’un manifestant, le jeune scout musulman Bouzid Saâl en l’occurrence, déploie le drapeau du nationalisme algérien, la police le tue d’une balle. Ce crime sera à l’origine d’une émeute à grande échelle dans le Nord-Constantinois. Le couvre-feu est instauré et l’état de siège décrété. La loi martiale est proclamée et toute autorité est donnée à l’armée pour rétablir l’ordre, et elle va utiliser des moyens gigantesques : 40 000 hommes dans le périmètre Bougie-Sétif-Bône (Annaba) et Souk Ahras, avec l’aide de la marine de guerre, de l’aviation qui bombarde les mechtas et de nombreuses milices de colons armées. Tous vont commettre des massacres, des exécutions sommaires et se rendre auteurs d’humiliations de grande ampleur qui vont durer jusqu’au 11 mai, mais ne prendront véritablement fin que le 22.

Ces massacres qui firent 45000 victimes, dont 103 colons, en ce qui fut une vaste Saint-Barthélemy, ont donc accéléré le processus de décolonisation, préparant ainsi le lit du déclenchement de la guerre de Libération, le premier novembre 1954. « La guerre d’Algérie a bel et bien commencé le 8 mai 1945 à Sétif », écrit l’historien Mohamed Harbi.

Dans l’histoire de la colonisation, le 8 mai 1945 est à la fois le point d’orgue de luttes cumulatives pour la libération du joug colonial et le début de l’emballement du processus de décolonisation. Elle est le résultat de facteurs internes et d’une conjoncture internationale mis à profit par les nationalistes pour mettre en avant les idées de réforme du système colonial ou de la Libération. En effet, chaque fois que la France coloniale s’est trouvée engagée dans une guerre, en 1871, en 1914 et en 1940, l’espoir d’exploiter la conjoncture pour exiger l’égalité des droits ou l’Indépendance, s’est emparé de l’avant-garde militante. Si, en 1871, en Kabylie et dans l’Est, et en 1916 dans les Aurès, l’insurrection était bel et bien à l’ordre du jour, il n’en était pourtant pas de même le 8 mai 1945, où les intentions étaient pacifistes.

La défaite de la France en juin 1940 a modifié le rapport de force politique et les données psychologiques entre l’ordre colonial et le nationalisme algérien. Avec notamment le débarquement américain en Algérie et en France, le climat se modifie. Les nationalistes prennent au pied de la lettre l’idéologie anticolonialiste de la Charte de l’Atlantique (12 août 1942) et s’efforcent de dépasser leurs propres clivages.
Le courant assimilationniste se disloque.
Aux partisans d’un appui inconditionnel à l’effort de guerre allié, rassemblés autour du Parti communiste algérien (PCA) et des « Amis de la démocratie », selon la formule de Harbi, s’opposent tous ceux qui, tel Messali Hadj, ne sont pas prêts à sacrifier les intérêts nationalistes stratégiques de l’Algérie colonisée au profit de la lutte antifasciste internationaliste.
Vient se joindre aux indépendantistes, de manière inattendue, une des figures les plus prestigieuses de la scène politique : Ferhat Abbas, qui considérait la nation et l’Etat algériens comme une chimère en 1936, se prononce alors pour « une République autonome fédérée à une République française rénovée, anticoloniale et anti-impérialiste ».

L’idée d’assimilation cède donc la place à celle de l’autonomie dans l’association. Mais avant d’en être réduit à cette idée de rupture douce, Abbas avait envoyé au régime de Vichy des mémorandums restés sans réponse. En désespoir de cause, il transmet aux Américains un texte signé par 28 élus et conseillers municipaux qui devient, le 10 février 1943, avec le soutien du PPA et des oulémas, le Manifeste du peuple algérien.

L’ordonnance du 7 mars 1944
En France le pouvoir pétainistes fait la sourde oreille et De Gaulle n’a pas compris la réalité de l’émergence nationaliste dans les colonies. Son fameux discours de Brazzaville, le 30 janvier 1944, n’annonce aucune politique d’émancipation réelle ou d’autonomie même limitée. « Cette incompréhension se manifeste au grand jour avec l’ordonnance du 7 mars 1944 qui, reprenant le projet Blum-Violette de 1936, accorde la citoyenneté française à 65 000 personnes environ et porte à deux cinquièmes la proportion des Algériens dans les assemblées locales », écrit Pierre Mendès France à l’historien André Nouschi. Trop peu et trop tard, dira Harbi : ces réformettes ne remettent pas en cause la domination française et la prépondérance des colons, et l’on reste toujours dans une logique où c’est la France coloniale qui accorde des droits, et au rabais de surcroit.

Pourtant l’ouverture d’un dialogue réel avec les nationalistes s’imposait, mais Paris continue de les mépriser. Leur riposte à l’ordonnance du 7 mars intervient le 14 : à la suite d’échanges de vues entre Messali pour les indépendantistes du PPA, Bachir El Ibrahimi pour les oulémas et Abbas pour les autonomistes, l’unité des nationalistes se réalise au sein de l’inédit mouvement des Amis du Manifeste et de la liberté (AML). La jeunesse urbaine leur emboîte le pas. Partout, les signes de désobéissance se multiplient et les antagonismes se radicalisent. La colonie européenne et les juifs autochtones prennent peur et s’agitent fébrilement.

En mai 1945, lors du congrès des AML, les élites plébéiennes du PPA, comme les désigne Harbi, affirment leur leadership. La revendication d’un Etat autonome fédéré à la France, conformément au programme d’entente initial des chefs de file du nationalisme, sera abandonnée. La majorité opte pour un Etat séparé de la France et uni aux autres pays du Maghreb, et proclame Messali « leader incontesté du peuple algérien ».

Dans le camp colonial, où l’on redoute de voir les Algériens rejeter les « Européens » à la mer, le complot mis au point par le Gouvernement général pour décapiter les AML et le PPA prend progressivement du poids. L’enlèvement de Messali et sa déportation à Brazzaville, le 25 avril 1945, après son assignation à résidence, attisent l’incendie du soulèvement. Outré par le coup de force contre son leader, le PPA fait de la libération de Messali un objectif majeur et décide de défiler à part le 1er mai, avec ses propres mots d’ordre, d’autant plus que ceux de la CGT et des PC français et algérien étaient mutiques sur la question nationale. A Oran et à Alger, la police et des Européens tirent sur le cortège nationaliste. Il y a déjà des morts, des blessés et de nombreuses arrestations, une semaine seulement avant le 8 mai.

L’appel des AML et du PPA
Le 8 mai, le Nord-constantinois s’apprête, à l’appel des AML et du PPA, à célébrer la victoire des alliés et réclamer la libération de Messali. Objectif politique : rappeler pacifiquement à la France coloniale et à ses alliés occidentaux les revendications nationalistes. Les historiens sont formels : Aucun ordre n’avait été donné en vue d’un soulèvement violent, encore moins armé. Chez les colons, une peur panique succède à l’angoisse diffuse. L’idée d’égalité même relative avec les Algériens leur reste insupportable. Il leur faut à tout prix écarter cette dangereuse alternative. Même la timide ordonnance du 7 mars 1944 les horripile. Unique réponse de leur part, l’appel à la formation de milices et la répression. Ils trouvent donc une écoute chez le SG du gouverneur général Pierre-René Gazagne, chez le préfet de Constantine Lestrade Carbonnel et le sous-préfet de Guelma, le sinistre André Achiary, qui veulent tous en découdre avec les « Indigènes », se donnant pour but de « crever l’abcès ».

A Sétif, la répression sanglante de la manifestation pacifique provoque des émeutes, et l’onde choc s’étend au monde rural, où l’on assiste à une levée en masse des tribus. A Guelma, les arrestations et les exactions des milices déclenchent la spirale des actions-contre-actions. Les civils européens et la police se livrent à des exécutions massives et à des représailles collectives. Pour empêcher toute enquête, ils rouvrent les charniers et incinèrent les cadavres dans les fours à chaux d’Héliopolis. S’agissant de l’armée, qui a mobilisé l’aviation, la marine et les forces terrestres, son intervention massive « se rapproche plus des opérations de guerre en Europe que des guerres coloniales traditionnelles », souligne Jean-Charles Jauffret, spécialiste de l’histoire de l’armée française et de la guérilla en Algérie.

Le bilan des euphémiques « événements » du 8 mai 1945 est d’autant plus contestable que le gouvernement du général De Gaulle a mis brutalement un terme à la commission d’enquête présidée par le général Paul Tubert, et accordé en outre l’impunité aux assassins. Si on connaît le chiffre exact des victimes européennes, celui des victimes algériennes relève d’une arithmétique incertaine. Les historiens algériens continuent légitimement à contester les chiffres avancés côté français. En attendant des recherches historiques impartiales, soulignons avec l’historienne Annie Rey-Goldzeiguer que, pour les 103 morts européens, il y eut tout de même, de façon certaine, des milliers de morts algériens.

D’un point de vue politique, le séisme du 8 mai 1945 a modifié la donne coloniale, changeant les positions et les alliances en Algérie comme en France. Dans l’Hexagone, les forces politiques issues de la Résistance finissent par adhérer aux idées du parti colonial. « Je vous ai donné la paix pour dix ans ; si la France ne fait rien, tout recommencera en pire et probablement de façon irrémédiable », avait averti le général Raymond Duval, maître d’œuvre de la répression sanglante.
Pour sa part, le puissant PCF de Maurice Thorez, qui a qualifié les chefs nationalistes de « provocateurs à gages hitlériens » et demandé que « les meneurs soient passés par les armes », était, malgré son revirement ultérieur, favorable à la colonisation. En Algérie, après la dissolution des AML le 14 mai, les autonomistes et les oulémas accusent le PPA d’avoir joué les apprentis-sorciers et mettent fin à la coalition du camp nationaliste. Les radicaux du PPA imposent à leurs dirigeants la création en février 1947 d’une organisation paramilitaire à l’échelle nationale (l’OS).

Le 1er novembre 1954, on les retrouvera à la tête d’un Front de libération nationale (FLN) hégémonique. La guerre d’Indépendance a bel et bien commencé à Sétif le 8 mai 1945, dira Mohamed Harbi.


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