L’Oversight Board de Facebook

 Entre volonté d’autorégulation et consolidation d’un super pouvoir



...

L’examen des décisions de modération du réseau social par une cour ad hoc un fait sans précédent qui inaugure une étape nouvelle dans la grande aventure des médias sociaux et impose une nouvelle norme.

Le 5 mai 2021, le Conseil de surveillance de Facebook, une autorité composée de 19 éminents experts sur diverses questions juridique, de censure en ligne, de liberté d’expression et de désinformation, a entériné la décision prise par Mark Zuckerberg, en janvier 2021, d’interdire à l’ancien Président des Etats-Unis, Donald Trump de s’exprimer sur Facebook, l’estimant responsable d’avoir créé le chaos, en incitant ses supporters des mouvances extrémistes à investir le Capitole le 6 janvier 2021.

L’ancien Président américain a «utilisé notre plateforme pour inciter à une insurrection violente contre un gouvernement démocratiquement élu», s’est justifié alors  le patron de Facebook. Installé par Mark Zuckerberg avec pour missions d’examiner les plus importantes décisions de modération de Facebook et d’émettre des recommandations sur sa politique de modération, le Conseil de surveillance a confirmé le choix initial de la plateforme mais a remis la responsabilité de décider du sort final de Trump entre les mains de Mark Zuckerberg et de son équipe.

« En appliquant une peine vague et en renvoyant cette affaire au Conseil pour la résoudre, Facebook cherche à se soustraire à ses responsabilités », a écrit l’organe dans un communiqué de presse accompagnant sa décision.

Arguant que le choix de bloquer Trump ne trouve aucune assise dans les normes communautaires de Facebook et viole les principes de la liberté d’expression, le Conseil a critiqué l’approche générale de la plateforme concernant la modération des dirigeants mondiaux, affirmant que les considérations de notoriété ne devraient pas être prioritaires lorsqu’il est nécessaire d’éviter des dommages importants.

Dans un acte de défiance,  le Conseil a  chargé Facebook de prendre sa propre décision dans les 6 mois à venir sur la question de savoir si Trump devrait être banni définitivement de la plateforme. En refusant de donner un blanc seing à Facebook, le Conseil de surveillance fraichement installé a-t-il cherché à donner l’image d’une instance de contrôle indépendante dans ses décisions ?

Le fait que ses membres aient été choisis par Mark Zuckerberg et que son travail soit financé par l’entreprise, laisse planer le doute et donne l’impression que Facebook, confronté à un torrent de critiques concernant sa politique de modération, et en particulier en ce qui concerne les dirigeants mondiaux, essayerait de se cacher derrière un bouc émissaire.

Car en effet, hommes d’Etat et politiciens ont eu pendant de longues années, toute la latitude pour publier du contenu qui enfreint clairement les règles du réseau social en matière de désinformation, de harcèlement et de discours de haine, sans que Facebook ne bouge le petit doigt, faisant valoir le droit du public de savoir ce que disent ses dirigeants, même dans les cas où leurs déclarations pouvaient être préjudiciables.

« Nous autorisons les gens à partager ce contenu pour le condamner tout comme nous le faisons avec d’autres contenus problématiques, car c’est une part importante de nos discussions sur ce qui est acceptable dans notre société », a écrit Zuckerberg dans un message Facebook pendant l’élection présidentielle américaine de 2020.

Réparer la machine à partage pour éviter l’intervention régulatrice des États

Lors de la huitième « All Things Digital Conference » en 2008, Mark Zuckerberg, jeune PDG au look décontracté d’une entreprise qui n’a déjà plus rien à voir avec la startup lancée 4 ans plutôt dans une chambre d’étudiant, soutenait que la vocation de Facebook était d’aider les gens à partager des informations, des idées, des parties de leur identité, des choses qui les passionnent et à s’ouvrir de manière à être à l’aise les uns avec les autres. Plus les gens partagent, affirmait-il, plus le monde sera connecté et plus il sera ouvert. Partagez, partagez, il en restera toujours quelque chose, semblait dire Zuckerberg.

Lorsque quelques années plus tard, le réseau social se confronte aux nombreuses critiques sur sa politique de protection de la vie privée, sur l’opacité de sa gestion des données personnelles et sur ses algorithmes boîtes noires, Mark Zuckerberg rétorque par des phrases lapidaires que le monde était passé dans l’ère de la post-vie privée, que l’anonymat n’existait plus ou encore que la séparation entre sphère privée et sphère publique n’avait plus de sens. Très tranquillement, grâce à ses millions, puis milliards d’utilisateurs, Facebook a poursuivi son odyssée ascensionnelle, tout en développant une rhétorique de plus en plus complexe sur sa mission de connecter l’humanité pour la rendre meilleure.

Et tandis que l’entreprise continuait de croître de façon vertigineuse, en exploitant tous les ressorts du modèle extractif de la captation de valeur, le réseau virtuel où les gens passaient de plus en plus de temps, aidés en cela par des concepteurs rompus au dark design et aux techniques de manipulation développées par les spécialistes de la captologie, a transformé insidieusement le réel.  Les bubbles filters étudiés par Eli Pariser ont enfermé chacun dans sa vision fragmentée, favorisant les extrémismes, empêchant tout consensus. Un monde violent et polarisé de la « post-vérité »  est inauguré par l’élection de Donald Trump, fin 2016.

Face aux déferlements des discours de haine, du harcèlement en ligne et des incitations à la violence, à la manipulation par les fakes news et d’autres techniques d’astroturfing,  Facebook se retrouve dans une position intenable, acculé à prendre des décisions de plus en plus difficiles sur la façon d’équilibrer les expressions.

Son enfer se cristallise autour du scandale de Cambridge Analytica qui finit de ternir la réputation de l’entreprise et traîne Zuckerberg devant les organes gouvernementaux américains.  Auditionné sept fois par le Sénat américain depuis septembre 2018, le patron de Facebook a sans doute préféré mettre en place une autorégulation pour échapper à un durcissement de la loi.

Le « musellement » de Donald Trump, impensable dix ans plus tôt, est un signal fort aux autres dirigeants mondiaux tentés de suivre la voie ouverte par l’ancien Président américain. Les Modi, Bolsonaro, Dutertre et Erdogan n’ont qu’à bien se tenir ! Sans doute aussi que, dépassé par la situation, le patron de Facebook a dû réévaluer son objectif d’un monde ouvert et connecté, lui préférant un objectif, en apparence plus atteignable, de donner aux gens le pouvoir de créer des communautés et de se rapprocher.

« Dans le monde entier, il y a des gens laissés pour compte par la mondialisation et des mouvements pour se retirer de la connexion mondiale. Il y a des questions quant à savoir si nous pouvons créer une communauté mondiale qui fonctionne pour tout le monde, et si la voie à suivre est de se connecter davantage ou d’inverser le cours. La chose la plus importante que nous pouvons faire chez Facebook est de développer l’infrastructure sociale pour donner aux gens le pouvoir de créer une communauté mondiale qui fonctionne pour nous tous », a écrit Zuckerberg en février 2017.

La création du Conseil de surveillance comme instance d’autorégulation interne à Facebook,  vient soutenir cette ambition de bâtir une communauté mondiale, et répond à la crainte qu’a Mark Zuckerberg  de voir les États se mêler de la régulation du réseau social.  Mais des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour demander que les médias sociaux soient traités, comme des éditeurs, auxquels s’appliquent les normes de régulation spécifiques à ce segment d’activités. Ni plus, ni moins.

Un pas de plus vers l’État mondial ?

Certains voient dans la création de ce Conseil de surveillance, l’incarnation d’un pouvoir législatif, attribut régalien qui manquait au super Etat Facebook, pourvu déjà d’une population de 2,8 milliards d’habitants-utilisateurs et d’une monnaie, la Libra. Indépendant du pouvoir législatif que sont les règles de la communauté Facebook, il en est à la fois le garant et le régulateur.

L’accueil mitigé de cette nouveauté Facebook fait craindre que Zuckerberg ne veuille se poser comme le « leader » d’un nouvel ordre mondial, dans lequel Facebook  deviendrait le principal intermédiaire entre les citoyens et les politiciens.

Un scénario de science-fiction dans lequel un pouvoir supranational existerait au-dessus et au-delà des États-nation et qui, grâce à son interface numérique, se placerait au centre de la vie des gens et s’interposerait entre eux et tout le reste : les amis, les actualités, le monde.

De fait, par percolation, Facebook est déjà largement infiltré dans nos vies, statistiques à l’appui et a disrupté des pans entiers d’activités humaines dont les médias et désormais la politique.

L’entreprise emblématique de l’âge du capitalisme de surveillance que décrit la sociologue Shoshana Zuboff, comme « un nouvel ordre économique qui utilise l’expérience humaine comme la matière première gratuite à des fins de pratiques commerciales », possède déjà le set de données le plus complet sur le comportement humain, selon le MIT Technoly Review et n’hésitera pas à en tirer profit, en façonnant nos comportements à grande échelle.

La crise du Coronavirus qui nous pousse de plus en plus vers une virtualisation accrue de nos échanges nous a enseigné  que l’on n’est jamais qu’à un pas d’un scénario de science-fiction. Dans ce cas, ce serait plutôt un scénario à la « Her » de Spike Jonze où le héros s’appellerait « The big Other », pour reprendre le terme utilisé par Zuboff pour désigner « cette infrastructure computationnelle, ubiquitaire, sensorielle et interconnectée porteuse d’une vision profondément antidémocratique des relations humaines ».

Il suffirait portant d’inverser la dystopie, en imaginant un autre scénario-catastrophe dans lequel une panne majeure affecterait les serveurs de Facebook, pour se rendre compte des conditionnements à l’œuvre. Ce scénario réactualiserait cette blague un peu éculée où l’on verrait dans les rues des gens désespérés brandissant des photos d’eux, dans des coins exotiques du monde visités jadis, suppliant les passants d’y apposer un like ou petit cœur…

Dans un monde en crise ou en mutation, cela reste encore à découvrir, il est important que l’on puisse se poser les questions qui vaillent la peine d’être posées. L’une d’elle, cruciale, est de savoir si nous allons tous travailler pour une machine intelligente ou s’il y aura des personnes intelligentes autour de la machine, avec le souci de préserver nos parts imprescriptibles d’humanité, face aux nouvelles frontières du pouvoir.

Par Monia Zergane.
Journaliste


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