Tuer l'esprit Daesh à l'école !



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Telle une antienne, la vidéo réapparaît sur les réseaux sociaux où il est question de sacralisation de l’arabe comme langue unique ! Le fait en lui-même est une vidéo apparue pour la première fois en 2016.  Il aurait pu alors n’être qu’une simple anecdote, un de ces trucs qu'on fait mousser un certain temps sur le Net. Un coup de buzz et puis s'en va ! Sauf que ce bidule-là avait quand même une signification particulière, au point que la ministre de l'Éducation nationale de l’époque, pédagogue de métier, s'en était émue. Et assez pour ordonner une enquête au sujet du machin en question. Car le vrai sujet a trait finalement à la formation des esprits de nos écoliers, surtout à leur ouverture sur le monde.
Ce trucmuche est une vidéo qu’une enseignante d’arabe a postée sur les réseaux sociaux. La prétendue éducatrice s'est filmée dans une classe de primaire et s'adresse à ses élèves par une question innocente en apparence, mais lourde de sens philosophique : «Quelle est la langue des gens du paradis ?» lance-t-elle. «L'arabe !» répondent les élèves. «Cette année, on ne s'exprimera qu'en… ?», demande-t-elle. «Qu'en arabe», répondent en chœur les innocents enfants. La ministre a donc eu raison de se pencher sur la question et de rappeler que «nous sommes dans un secteur sensible». C’est clair, le problème n'est pas l'usage ou la place de la langue arabe dans le système éducatif car la problématique est tranchée dans la Constitution. 
Il réside plutôt dans cet esprit exclusiviste et rétrograde qui veut l'enfermer dans un statut de langue unique dans tous les sens du terme. Cet enfermement linguistique émane de certains esprits censés être formés au pluralisme des idées et des langues. Cette enseignante écervelée participait ainsi à la lobotomisation des esprits au lieu de les éclairer. Il n'est pas normal, comme l'a relevé une internaute algérienne, de «faire vendre la langue arabe ou une autre langue comme langue du paradis à des enfants, car c'est comme ça qu'on fait de l'arabe une langue d'idéologie». La question essentielle qui en découle est de savoir finalement si l'arabe a besoin d'être ainsi sacralisé pour se conserver et se perpétuer ? 
Question subsidiaire : pourquoi les autres peuples n'ont pas eu besoin de recourir au sacré pour préserver et développer leurs langues ? Dans l’absolu, aucune langue n'est sacrée et aucune d'elles n'est celle du Paradis, comme si Dieu était lui-même monolingue ! Et dans le cas, fort improbable, où l'arabe serait l'idiome exclusif de l'Eden, quelle serait alors, à l'inverse, la ou les langues de l'Enfer ? A contrario, aucune langue n'est le véhicule exclusif de la modernité et du progrès. La fonction essentielle d'une langue, quelle qu'elle soit, est de favoriser la réflexion et la raison critique, de développer l'intelligence et de cultiver le goût des belles choses. En un mot et pas en mille, d'éveiller la curiosité et d'ouvrir l'esprit sur les Autres, sur le monde. 
Sur la cristallisation de la langue arabe, c'est-à-dire à propos de sa fixation dans le marbre de l'immobilisme perpétuel, l'écrivain et journaliste Chérif Choubachy, ancien fonctionnaire de l'Unesco et ex-vice-ministre de la Culture égyptien, a écrit un livre édifiant. À sa sortie, Le Sabre et la virgule avait soulevé une tempête médiatique et politique sans précédent sur les bords du Nil. Il lui a valu aussi les foudres d'une vaste coalition de sacralisateurs de la langue d'El Jahiz ailleurs dans le monde arabe. Mal lui en avait pris de se demander alors si la langue du Coran est l'une des causes du déclin de la puissance arabe depuis Salaheddine El Ayyoubi !
Sa grammaire, qui n'a pas évolué depuis quinze siècles, explique-t-elle le retard considérable sur
l'Occident ? Chérif Choubachy y souligne, en rouge, ses archaïsmes et sa complexité qui la rendent impraticable par l'homme de la rue. Du Maroc à l'Irak prospèrent en effet les dialectes les plus variés, laissant la maîtrise de l'arabe classique à des érudits et autres universitaires. Et comme toute langue est la propriété de tous ses locuteurs, Chérif Choubachy milite pour éviter la momification de l'arabe par ceux-là mêmes qui veulent la conserver intacte en la figeant dans le temps. 
Les Arabes seraient-ils capables de moderniser leur langue en élargissant son champ lexical et en dépoussiérant sa grammaire ô combien ardue ? De ce défi titanesque dépendent leur culture et leur survie comme entité civilisationnelle. Et pour cause ! L'arabe est la seule langue dans le monde d'aujourd'hui à n'avoir connu aucune modernisation de sa grammaire depuis plus de 1500 ans : elle est restée gelée au fil des siècles et coagulée dans les «oummahat el koutoub», les énormes sommes des encyclopédistes. Toute tentative de rénovation se heurte par conséquent aux tenants crispés d'un passé à jamais perdu mais sans cesse magnifié, sous prétexte que l'arabe est la langue du Coran et doit rester sacrée. Une sorte de «daéchisation» des esprits. 
Le mérite de Chérif Choubachy aura été d'établir le rapport entre l'immobilisme de la langue et la stagnation des esprits. L'arabe ainsi pétrifié est devenu un carcan qui empêche le développement des esprits. Toute tentative de modernisation doit nécessairement passer par une révision de la langue. Les Israéliens l'ont fait avec l'hébreu qui a cessé d’être un idiome d’usage commun pour devenir une langue liturgique autour de l’an 400, tout comme le latin pour le christianisme. Les Iraniens ont fait de même avec le farsi qui est le descendant linguistique direct de l’ancien persan, au temps de l’empire perse !
N. K.

 


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